POLITIQUE - Les critères sont-ils remplis ? En nommant Michel Barnier, ancien négociateur du Brexit et homme de droite à Matignon, Emmanuel Macron n’échappe pas aux accusations de « hold-up démocratique » par la gauche. Mais le nouveau chef du gouvernement de 73 ans satisfait à d’autres demandes du président de la République.
À commencer par le critère principal : éviter la censure à l’Assemblée nationale. Michel Barnier n’aura pas le soutien des partis du NFP. Mais au sein du camp présidentiel, le risque d’opposition généralisée semble limité - sans exclure quelques grincements dans l’aile gauche. À droite, l’ex-candidat à la primaire LR pour 2022 est assuré d’avoir le soutien des troupes de Laurent Wauquiez. Reste le Rassemblement national, devenu un « arbitre » de la situation. Contrairement à Xavier Bertrand ou Bernard Cazeneuve, le RN a fait savoir qu’il ne s’opposera pas par principe à Michel Barnier. « Nous jugerons sur pièces », a fait savoir Jordan Bardella suivant ses conditions : « respect » des électeurs du RN, consultations pour le budget 2025, débat sur la proportionnelle, et engagement sur le pouvoir d’achat, l’insécurité et la lutte contre l’immigration.
Pas un blanc-seing donc, mais pas un mauvais départ pour autant. Car au cours de sa longue carrière, Michel Barnier a tenu des positions susceptibles de ne pas déplaire à l’extrême droite. « Il semble répondre au moins au premier critère que nous avions réclamé, c’est-à-dire un homme qui soit respectueux des différences forces politiques et capable de pouvoir s’adresser au Rassemblement national de la même façon qu’aux autres groupes », a d’ailleurs réagi Marine Le Pen au micro de LCI.
Voile, sécurité et référendum sur l’immigration
S’il tient le même discours qu’en 2022, les positions de Michel Barnier sur l’immigration parleront effectivement au RN. En septembre 2021, quelques mois seulement après son départ de Bruxelles et en pleine course pour l’investiture LR pour la présidentielle, il fustigeait la Cour de justice européenne, estimant qu’il fallait en matière d’immigration « retrouver notre souveraineté juridique ». Comme un écho aux positions du RN qui défend la primauté du droit français sur le droit européen.
L’ex-commissaire européen proposait aussi un référendum sur l’immigration, l’instauration de quotas annuels de visas, le durcissement de l’accès aux aides sociales ou encore la suppression de l’aide médicale d’État (AME) « sauf urgence ». Soit des points défendus par l’extrême droite pendant les débats sur la loi immigration.
En outre, dans ses propositions pour « garantir la sécurité des Français », Michel Barnier proposait « l’expulsion systématique des prisonniers condamnés à de la prison ferme » - le principe de la « double peine ». Du miel aux oreilles de Marine Le Pen qui, en mars 2024, réclamait sur France Inter que « lorsqu’un étranger est en situation irrégulière, (...) lorsqu’il commet un délit, il doit ne pas pouvoir rester sur le territoire. » Et un discours pas non plus désagréable à entendre pour certains cadres Renaissance, dont le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
En mai 2021, Michel Barnier a aussi plaidé pour « réaffirmer clairement que les signes religieux ne peuvent pas entrer dans l’espace public », dans l’émission le Grand Jury pour RTL-Le Figaro-LCI. L’interdiction du voile dans l’espace public est depuis 2017 au programme du Rassemblement national. Lors de la campagne présidentielle 2022, le parti a légèrement amendé la forme de son discours - sans toucher au fond.
Sur l’Europe et les retraites, des atomes crochus avec Macron
Au-delà des gages potentiels donnés aux troupes de Marine Le Pen, Michel Barnier partage aussi certaines visions d’Emmanuel Macron. Sur l’Europe notamment, à propos de laquelle il valide le terme d’« Europe puissance » utilisé par Emmanuel Macron. En avril 2024, il se disait également « d’accord » avec le chef de l’État sur la nécessité pour les 27 d’investir davantage dans l’économie européenne, face aux rivaux américains et chinois. Idem sur l’idée macroniste d’une « initiative de défense européenne ».
Quid de la politique nationale ? Aux yeux d’Emmanuel Macron, Michel Barnier a un avantage de taille : celui de ne pas détricoter la réforme des retraites, mesure phare du second quinquennat. Car moins de deux ans avant la réforme portée par le camp présidentiel, Michel Barnier proposait de repousser l’âge légal de départ à 65 ans, soit un an de plus que les 64 ans imposés par la Macronie.
Outre ces convergences de fond, Michel Barnier peut aussi faire valoir son expérience : quatre fois ministre, président du Conseil général, conseiller politique (de Nicolas Sarkozy), eurodéputé, sénateur et député. Sans oublier ses quatre ans comme négociateur européen du Brexit. Une compétence plus qu’utile, au vu de la coloration de l’Assemblée nationale.
Jade Toussay