Remettre cent fois l’ouvrage sur le métier, surtout si l’ouvrage en question devient de plus en plus complexe, c’est le métier des diplomates. Antony Blinken, secrétaire d’État et à ce titre premier diplomate des États-Unis, en fait la démonstration avec sa neuvième tournée proche-orientale depuis le 7 octobre 2023.
Avant Le Caire mardi 20 août, où doivent reprendre les négociations, il a fait escale lundi 19 août à Tel-Aviv, pour rencontrer d’abord le président israélien, à la fonction essentiellement honorifique, puis le premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui a jugé « positif » leur long entretien de plus de deux heures et demie.
Le message délivré publiquement par Antony Blinken est limpide : « Il s’agit d’un moment décisif, probablement la meilleure, voire la dernière occasion de ramener les otages chez eux, d’obtenir un cessez-le-feu et de mettre tout le monde sur la voie d’une paix et d’une sécurité durables », a-t-il assuré dès son arrivée à Tel-Aviv.
Et d’ajouter : « Nous travaillons pour nous assurer qu’il n’y a pas d’escalade ni de provocations ni aucune action qui pourrait d’une manière ou d’une autre nous éloigner de cet accord ou élargir le conflit à d’autres endroits ou augmenter son intensité. » Lundi en fin de journée, Antony Blinken a assuré que le premier ministre israélien avait accepté le « plan de compromis » américain et enjoint le Hamas à faire de même. Seulement, le contenu de ce « plan de compromis » est inconnu.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken avec le ministre israélien de la défense Yoav Gallant à Tel-Aviv (Israël) le 19 août 2024. © Photo Ariel Hermoni / IMoD / Handout / Anadolu via AFP
Mais l’équation est posée. Les négociateurs des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte tentent de mettre leurs interlocuteurs d’Israël et du Hamas d’accord sur un plan de cessez-le-feu permettant l’arrêt des activités militaires, la libération des otages israéliens détenus par les factions palestiniennes dans la bande de Gaza et celle de centaines de prisonniers palestiniens.
Ce n’est pas la première tentative.
Les précédentes ont échoué, et celle-ci est encore plus complexe : nombre d’acteurs se sont rajoutés à l’équation ces dernières semaines.
Un cessez-le-feu pour éviter l’embrasement
L’assassinat, le 31 juillet à Téhéran (Iran), d’Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas et négociateur principal tué dans une frappe attribuée à Israël, menace d’embraser toute la région, l’Iran et ses alliés ayant promis des représailles.
La République islamique, en particulier, ne peut laisser impunie une telle violation de sa souveraineté et de son statut de puissance régionale. Le Hezbollah libanais et les Houthis du Yémen ont conditionné depuis octobre 2023 l’arrêt de leurs actions contre Israël pour les premiers, contre Israël et tous ceux qui soutiennent les intérêts de l’État hébreu pour les seconds, à un arrêt de la guerre contre la bande de Gaza.
Washington est persuadé que seul un cessez-le-feu à Gaza peut calmer les ardeurs guerrières de Téhéran et de ses alliés, et donc éviter un embrasement régional aux conséquences imprévisibles.
D’où l’appel d’Antony Blinken à éviter l’escalade et le sentiment d’urgence qui semble l’animer.
Seulement, la mécanique semble bien près de se gripper. Une fois de plus.
Un court moment d’optimisme s’était fait jour le 10 juin, avec l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution soutenant un plan inspiré par la présidence des États-Unis. Cette initiative prévoit trois phases. La première doit voir la libération des otages les plus vulnérables et un cessez-le-feu temporaire, qui durera aussi longtemps que nécessaire pour consolider la deuxième phase. Celle-ci doit voir la libération de tous les otages, le retrait complet des forces israéliennes de l’enclave palestinienne et une cessation permanente des hostilités. La troisième doit être consacrée à la reconstruction du territoire détruit.
Les détails n’ont cependant pas été dévoilés et, chacun le sait, c’est là qu’aime à se nicher le diable.
Depuis, c’est cependant grosso modo le cadre de départ des négociations qui, à ce jour, n’ont pas débouché.
Benyamin Nétanyahou pose de nouvelles exigences
En juillet, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a publié un document intitulé « Principes pour un accord sur la libération des otages ». À l’encontre du plan Biden endossé par le Conseil de sécurité, il n’est pas question de cessez-le-feu permanent. Il exige qu’Israël puisse à tout moment reprendre les hostilités pour atteindre ses buts de guerre, à savoir la destruction du Hamas, pour empêcher le trafic d’armes à la frontière égyptienne et le retour d’hommes armés vers le nord de la bande de Gaza.
Les négociateurs se sont inquiétés de ces nouvelles exigences auprès de leurs interlocuteurs israéliens, rapportait le quotidien israélien Haaretz.
Sans surprise, le Hamas les a refusées. Il est aussi resté inflexible sur le nom de certains prisonniers devant être libérés dans le cadre de l’accord, notamment des six qu’il a mis en haut de sa liste depuis le début des négociations. En tête, Marwan Barghouti, condamné à quatre peines de prison à vie, que les Israéliens ne veulent absolument pas laisser sortir.
L’assassinat d’Ismaïl Haniyeh a rajouté des obstacles à la tâche, déjà ardue, des négociateurs. Le Hamas n’a d’ailleurs pas participé aux deux jours de discussions, à Doha (Qatar), en fin de semaine dernière. Il a été informé de leur teneur par les intermédiaires.
Aussi les déclarations à leur issue semblent-elles relever d’un optimisme volontaire. Vendredi 16 août, le président des États-Unis, Joe Biden, a assuré que l’accord était en vue, « beaucoup beaucoup plus près » qu’avant le début de cette nouvelle phase. Les médias ont embrayé : le cessez-le-feu était à portée de main.
Dès le dimanche, cependant, l’enthousiasme est devenu plus tiède.
Le premier ministre israélien a, en effet, ajouté de nouvelles exigences, révèlent le quotidien américain The New York Times et l’Israélien Haaretz : l’État hébreu veut garder le contrôle du corridor de Philadelphie, à la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte, ce qui est en contradiction avec les accords signés avec Le Caire, et maintenir une présence militaire sur celui de Netzarim. Cette route est-ouest établie à coups de bulldozers au cours de l’hiver dernier sépare l’enclave palestinienne en deux. Elle permet d’empêcher tout mouvement entre le sud et le nord du territoire.
Ces deux revendications sont l’application des « principes » publiés en juillet par le bureau du premier ministre et, en l’état, ne peuvent que mener à l’échec des négociations.
Dimanche 18 août, le Hamas, dans un communiqué, a accusé les Américains d’avoir accepté les exigences israéliennes et de les avoir intégrées dans leur texte soumis à l’accord des parties : « La nouvelle proposition répond aux conditions posées par Nétanyahou et s’aligne sur elles, en particulier son rejet d’un cessez-le-feu permanent, d’un retrait complet de la bande de Gaza et son insistance à continuer d’occuper la jonction de Netzarim, le passage de Rafah et le corridor de Philadelphie », écrit le mouvement islamiste, cité par Al Jazeera. Il ajoute, visant toujours Benyamin Nétanyahou : « Il a également posé de nouvelles conditions dans le dossier de l’échange de prisonniers et a reculé sur d’autres points, ce qui empêche la conclusion de l’accord d’échange. »
Offensives israéliennes en cours
De son côté, le premier ministre israélien anticipe un échec, en rejetant la faute sur le Hamas : « Le Hamas, jusqu’à présent, s’en tient au refus [...] Il n’a même pas envoyé de représentant aux pourparlers de Doha et, par conséquent, la pression devrait être dirigée vers le Hamas et Sinouar, et non vers le gouvernement israélien. La forte pression militaire et diplomatique est la voie à suivre pour obtenir la libération des otages. »
Sur le terrain, la pression militaire est en effet plus forte que jamais. Alors que le bilan du ministère de la santé de la bande de Gaza fait état lundi 19 août en milieu de journée de 40 139 Palestinien·nes tué·es par l’armée israélienne depuis octobre, cette dernière mène des offensives terrestres et aériennes contre les villes de Khan Younès, Nousseirat et Deir el-Balah, poussant la population à fuir vers des zones de plus en plus exiguës et surpeuplées.
Les factions palestiniennes ont, elles aussi, décidé d’augmenter la pression. Le Hamas et le Jihad islamique ont revendiqué une explosion survenue dimanche soir à Tel-Aviv. L’homme qui portait la bombe a été tué par la détonation inopinée de ses explosifs, blessant un passant. Il visait très probablement un lieu beaucoup plus fréquenté.
Le porte-parole du Hamas à Beyrouth, Ossama Hamdan, a annoncé la reprise des attentats suicides en cas d’échec des négociations : « L’intransigeance israélienne poussera la résistance à une nouvelle escalade sous plusieurs formes », a-t-il assuré sur la télévision qatarie privée Al Arabi, citant « l’opération Tel-Aviv ».
Une des principales qualités des diplomates est la ténacité, dit-on. Une autre l’optimisme.
Il faut espérer qu’Antony Blinken et ses collègues chargés de faire les intermédiaires entre le gouvernement israélien et le Hamas en sont très largement pourvus. La crédibilité de Washington est en effet fragilisée par son soutien à l’État hébreu : il y a une semaine, le mardi 13 août, les États-Unis ont annoncé avoir accepté de vendre pour 18 millions d’euros d’armement à Israël.
Gwenaelle Lenoir