Pour comprendre sa trajectoire, il convient donc d’observer non seulement sa performance gymnastique et sportive, mais aussi ses actes et leurs répercussions en dehors de l’univers de la gymnastique et dans le milieu médiatique.
Dans une perspective théorique féministe, sa trajectoire en tant que gymnaste met en lumière la relation entre le processus d’émancipation d’une sportive et la docilité conditionnée par les lois du patriarcat.
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La meilleure du monde
Depuis ses débuts à l’international en 2013, Biles est la meilleure gymnaste du monde (en anglais : « GOAT », acronyme de « greatest of all time »). Elle n’a perdu aucune compétition nationale ou internationale, jusqu’aux Jeux olympiques de Tokyo 2020, et reste la gymnaste la plus décorée de l’histoire.
Aujourd’hui âgée de 27 ans, elle a réalisé des acrobaties qu’aucune autre n’a su exécuter (comme le double salto arrière groupé avec triple vrille au sol, le Biles II (FX)) et certaines que personne n’a même tentées. Mais, en un cycle olympique, celle qui avait accédé à la plus haute marche du podium à Rio de Janeiro, en 2016, en devenant la deuxième Afro-américaine à décrocher une médaille d’or au concours général de GAF, quatre ans après Gabby Douglas à Londres, a été contrainte d’abandonner la compétition au milieu des finales par équipe lors des jeux de Tokyo 2020 en raison de problèmes de santé mentale.
Vidéo : Résumé de la participation de Simone Biles à Rio de Janeiro en 2016.
Pendant cette période, les agents chargés de la promotion de la GAF et les médias ont écrit l’histoire de la gymnaste dans une perspective patriarcale et capitaliste.
En 2018, elle a révélé être l’une des nombreuses survivantes du prédateur sexuel Larry Nassar. Cet ex-médecin de l’équipe féminine états-unienne a été condamné pour de multiples chefs d’accusation d’agression et d’abus sexuels à l’encontre de plus d’une centaine de gymnastes.
Les grandes espérances
En dépit de cela, à l’ouverture des Jeux de Tokyo (célébrés en 2021 avec de lourdes restrictions, suite à la pandémie de Covid-19), on attendait énormément d’elle : tout le monde espérait qu’elle raflerait l’ensemble des médailles d’or et qu’elle conduirait l’équipe des États-Unis.
Elle était alors la seule à participer à des événements coordonnés par les organismes impliqués dans ce scandale, qui avaient permis à Larry Nassar de commettre ses agressions sans être inquiété. Au moment des Jeux olympiques de Tokyo, elle était l’une des nombreuses gymnastes à avoir porté plainte pour faire reconnaître la responsabilité de USA Gymnastics dans les agressions sexuelles perpétrées par Nassar.
Pendant les phases préliminaires des Jeux, en juin 2021, elle écrivait sur son compte Instagram : « Parfois, j’ai vraiment l’impression de porter le poids du monde sur mes épaules. »
En déclarant forfait, elle a révélé la fatigue et l’épuisement mental générés par les oppressions patriarcales et potentiellement racistes qu’elle subissait, et défié tous les pronostics. D’un point de vue féministe, son acte peut être considéré comme une tentative de remise en question des normes sportives et des discours qui ont toujours réifié les gymnastes, dans une discipline qui se débat encore avec l’héritage de décennies d’agressions.
En réagissant ainsi, Simone Biles a poussé la gymnastique féminine à se réinventer.
Son retour sur la scène internationale à l’occasion du Championnat mondial de gymnastique artistique qui s’est tenu à Anvers à l’automne 2023 a marqué une nouvelle étape dans sa carrière. Elle a ainsi manifesté non seulement sa maîtrise technique dans chaque acrobatie, mais aussi sa capacité à élaborer un discours fondé sur son expérience personnelle.
Simone Biles veut démontrer qu’elle vaut mieux que n’importe quelle réussite sportive, en affirmant sa volonté face à la déshumanisation des représentants de la GAF. Elle défie ainsi, par petites touches, les discours dominants et les structures de pouvoir qui tentent de la contrôler depuis 2013.
Un retour selon ses propres termes
Il faut reconnaître que, bien qu’elle maîtrise ses figures acrobatiques, ses prestations sportives ont toujours fait l’objet d’un contrôle externe. À tel point qu’à plusieurs reprises, au cours de sa carrière, elle a dû opter pour des exercices moins risqués plutôt que d’exprimer ses capacités maximales, ses efforts n’étant pas récompensés.
Lors du Championnat mondial d’Anvers, elle a réalisé avec succès un saut Yurchenko double carpé, une première féminine dans une compétition internationale de gymnastique, après quoi la figure a été renommée « Biles II ». Cependant, la Fédération internationale de gymnastique lui a retiré 0,5 points pour un motif technique, car son entraîneur avait retenu le matelas du pied pour assurer la sécurité de la gymnaste.
À Paris 2024, Simone Biles a réalisé un Yurchenko double carpé, dimanche dernier, lors des qualifications. C’est la première fois qu’une athlète réalise cet exploit aux Jeux Olympiques. Lors des qualifications du concours général, c’était la première fois qu’il concourait sans l’aide et la supervision de son entraîneur. Le jury ne l’a donc pas pénalisé et lui a attribué 15 800 points sur les 16 400 possibles.
Chacun de ses mouvements est examiné sous toutes les coutures et lui vaut des critiques et des jugements de valeurs permanents, (comme son apparence physique, son corps étant qualifié par certains de « trop musclé »). Consciente de ces pressions médiatiques sur son physique, elle répond par des déclarations fermes : « Sans ce corps, je n’aurais pas gagné toutes ces médailles. Il y a différents types de beauté. On peut être belle tout en étant musclée ».
En février 2020, elle a publié une lettre sur Twitter dans laquelle elle écrivait :
Parlons de compétition. Et notamment de celle à laquelle je ne me suis jamais inscrite, et dont je sens qu’elle est quasiment devenue un défi quotidien pour moi. Je ne crois d’ailleurs pas être la seule.
En gymnastique, comme dans beaucoup d’autres professions, il existe une compétition de plus en plus grande qui n’a rien à voir avec la performance elle-même. Je parle de la beauté plastique. Pour une raison que j’ignore, certains semblent vouloir définir la beauté de quelqu’un en fonction de leurs propres critères.
[…] Aujourd’hui, je dis stop à la compétition en matière de normes de beauté, et à la culture toxique de ceux qui vous trollent quand ils ont l’impression que leurs attentes n’ont pas été comblées. Personne n’a à vous dire, ou à me dire, ce qui est beau ou non.
Cette prise de position défie les stéréotypes traditionnels de genre et d’ethnicité, en montrant que la force et la musculature peuvent aller de pair avec une féminité entendue comme multiple et non plus comme le simple négatif de la masculinité. Simone Biles appelle de ses vœux l’avènement d’une gymnastique plus mûre, plus diverse et plus audacieuse, en combinant les aspects artistique et acrobatique, en inspirant de nouvelles générations de gymnastes, et en faisant de la gymnastique pour elle-même, comme elle l’a déclaré après les épreuves par État de son pays, en mai 2024
Les Jeux olympiques de 2024
Comme elle le dit dans le nouveau documentaire Netflix qui lui est consacré, Simone Biles : Rising, elle n’admet pas qu’on veuille lui dicter sa conduite.
Elle revient, à 27 ans, un âge avancé pour une gymnaste, forte d’une vie personnelle et professionnelle indépendantes de la gymnastique. « Les gens vous mettent sur un piédestal. Moi, je veux simplement que l’on me considère comme un être humain », explique-t-elle. Pour les Jeux olympiques de Paris, elle a limité son interaction avec les médias et les réseaux sociaux, en désactivant notamment les commentaires sur son Instagram et en restreignant son compte X.
Vidéo : Bande-annonce du documentaire Simone Biles : Rising.
Son entraîneuse, Cécile Landi, déclare dans le documentaire : « Je remercie la presse de l’intérêt qu’elle porte à Simone, mais il faut la laisser tranquille, et ne pas lui mettre la pression. C’est contre-productif. Laissez-la faire et profitez du spectacle. »
En revenant concourir aux Jeux olympiques, elle défie non seulement les limites du sport et de la gymnastique, mais aussi ce que l’on dit d’elle.
Si Simone Biles est une championne, c’est non seulement en raison de ses réussites sportives, mais aussi du courage dont elle fait preuve en montrant qu’elle est humaine dans un monde qui exige la perfection au détriment du bien-être. Son cas nous invite à reconsidérer la façon dont nous appréhendons les athlètes, et à donner la priorité à leur bien-être général plutôt qu’à la simple accumulation de médailles.
Ester Checa Corcoy, Doctora en estudios de género, Universitat de Vic – Universitat Central de Catalunya ; Eva Espasa Borrás, Catedrática de traducción, Universitat de Vic – Universitat Central de Catalunya et Montserrat Martin, Senior lecturer, Universitat de Vic – Universitat Central de Catalunya
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