Il est 21 h 01, dimanche 9 juin. Élodie Jacquier-Laforge est assise sur son canapé devant la télévision, entourée de son conjoint et de ses deux adolescents en larmes. Emmanuel Macron vient d’annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale. La vice-présidente MoDem au Palais-Bourbon reste interdite quelques secondes avant de prendre ses fils dans les bras. Le coup est aussi rude qu’inattendu.
« J’étais rapporteure d’une mission, je rédigeais une proposition de loi sur la parité au Sénat, une autre sur le funéraire, on travaillait bien sur la loi sur la fin de vie, raconte celle qui se désistera trois semaines plus tard, dans l’entre-deux-tours des législatives, pour ne pas laisser l’extrême droite gagner sa circonscription en Isère. J’étais lancée comme une balle et ce soir-là, tout s’arrête, je ne suis plus députée. C’est comme si j’avais roulé à fond sur une autoroute et que j’avais heurté un arbre de plein fouet. »
Ce même dimanche soir, l’ex-députée Renaissance Mireille Clapot est à la préfecture de la Drôme : « C’est comme ça qu’on livre sur un plateau la France au fascisme », a-t-elle immédiatement pensé. Au même moment, à plusieurs centaines de kilomètres de là, son collègue des Yvelines, Bruno Millienne, saisit son portable, cherche « PR » – pour président de la République – dans ses contacts et pianote à Emmanuel Macron : « Vous avez fait tapis, j’espère que vous avez la bonne main. »
Élodie Jacquier-Laforge, Mireille Clapot, Bruno Millienne, Jean-Marc Zulesi, Caroline Janvier et Laurence Maillart-Mehaignerie, anciens députés du parti Renaissance. © Photomontage Mediapart avec l’AFP
Pour lui comme pour tant d’autres de ses collègues de l’ancienne majorité présidentielle, le coup de poker du chef de l’État s’est avéré perdant. Qu’ils se soient désistés pour permettre à leur adversaire de battre l’extrême droite ou qu’ils aient perdu au second tour, ils sont 133 à avoir fait les frais d’une campagne qu’ils n’ont pas désirée et qu’ils ont, pour la plupart, hésité à mener. Avec, au bout du compte, une défaite historique.
Presque un mois a passé depuis le choc de la dissolution, mais à travers le combiné, la voix de l’ancien président de la commission développement durable est toujours chancelante. « Ça ne va pas très bien », reconnaît Jean-Marc Zulesi. Le 7 juillet, ce macroniste de la première heure est arrivé second dans sa circonscription des Bouches-du-Rhône, derrière un nouveau député du Rassemblement national (RN). Depuis, c’est « le grand vide », confie-t-il.
Abîme de perplexité
Pourtant, sa campagne était « belle ». Arpenter les rues de sa circonscription depuis le petit matin jusqu’à la nuit tombante, dans une atmosphère de solidarité militante et d’urgence démocratique. Des heures de porte-à-porte, de tractage, de rencontres. Parfois terrifiantes, dans ces tranquilles villages provençaux où le racisme a désormais pignon sur rue, alors qu’il n’y a « ni un Noir ni une femme voilée à l’horizon ». « J’ai vu les mécanismes des années 1930, tout a été balayé par le RN avec l’assentiment tacite des élus Les Républicains locaux, qui n’ont pas osé se mouiller, voire ont fait campagne contre moi », raconte Jean-Marc Zulesi.
Comme beaucoup d’autres, Caroline Janvier a eu maille à partir avec une droite à laquelle elle avait ravi la deuxième circonscription du Loiret en 2017. Entre des élus Les Républicains (LR) avides de savonner la planche à cette macroniste qui les avait privés de leur rente électorale, une dynamique très forte à gauche et une extrême droite à la fois violente et silencieuse, le mandat de la députée a fait long feu. Elle se souvient d’une réunion publique, un soir de juillet, avec deux personnes pour tout public. « Ce qui a été très curieux lors de ces trois semaines, c’est que les gens étaient très en colère contre Macron, mais très empathiques avec moi. C’est comme si j’avais assisté à mon propre enterrement », dit-elle.
Soit Emmanuel Macron se disait […] que les plus forts survivraient, soit il était totalement inconscient du sentiment de rejet qu’il inspirait au pays.
Jean-Marc Zulesi n’en veut pas à la terre entière. Juste à Emmanuel Macron : « Le seul responsable de ce gâchis, c’est lui », lâche-t-il. La semaine dernière, un autre macroniste de la première heure manquait de s’étrangler d’émotion, en évoquant le chef de l’État sur BFMTV : « On avait tout abandonné pour le suivre, on est partis au combat avec un espoir et un enthousiasme exceptionnels. Et de voir comment, au bout de sept ans, le rêve se fracasse, c’est d’abord une immense tristesse et un examen de conscience : comment avons-nous pu autant nous tromper ? », interrogeait l’ancien président du groupe parlementaire La République en marche (LREM), Gilles Le Gendre, défait à Paris.
La sortie a été abondamment relayée dans les boucles internes. Comme un écho à cet abîme de perplexité qui demeure. « Globalement, la Macronie a été en dessous de tout en matière de relationnel : arrogante, hautaine, faisant des bras d’honneur à tout le monde et avec zéro programme depuis 2022 », cingle l’ex-député du MoDem Bruno Millienne, qui parle d’un président de la République « enfermé dans sa tour d’ivoire machiavélique au château, entouré de sa cour ». « C’est un mec incroyable sur le plan intellectuel, mais qui manque totalement d’empathie », décrit celui qui, durant l’épisode Benalla, a observé, sidéré, « le PR entouré de gens qui lui cirent les pompes ».
L’affaire Benalla, le mouvement des « gilets jaunes », la pandémie, la majorité relative de 2022… « Depuis 2017, je ne sais pas ce qui a été normal », glisse Élodie Jacquier-Laforge. Mireille Clapot, elle, a revisité le mandat du chef de l’État à l’aune de cette dissolution « brutale, impulsive, inopportune ». Sa façon d’imposer la réforme des retraites, ses changements de pied sur l’international… « Tout cela donne rétrospectivement l’impression d’un contentement dans la brutalité, souligne-t-elle. Soit Emmanuel Macron se disait, avec une pointe de sadisme, que les plus forts survivraient, soit il était totalement inconscient du sentiment de rejet qu’il inspirait au pays. »
Et qu’importe si l’ex-députée de la Drôme avait tenté de cultiver sa différence au sein de Renaissance, votant contre la loi immigration ou faisant entendre, mezza voce, une ligne critique du tropisme pro-Israël de la direction du groupe. « Les électeurs n’ont pas fait dans le détail », dit-elle.
Un début de bilan
Pour parfaire le tableau, tout le monde évoque un parti absent, déserté par les militants, qui n’a jamais donné les moyens à ses députés de se développer localement et qui les a lâchés en rase campagne, ne leur attribuant pas un euro pour les législatives… Caroline Janvier a elle aussi tenté de tirer l’alarme pour rappeler que non, la politique ne se fait pas qu’avec les sondages et les tableaux Excel : « Aujourd’hui, je ne vais pas tirer sur l’ambulance, mais… », commence-t-elle, ravalant la suite.
Pendant ses deux semaines de campagne, Jean-Marc Zulesi a d’ailleurs pris soin de se tenir à bonne distance du « national ». Pas de demande de visite ministérielle, pas de photos de l’exécutif sur sa propagande électorale. « Tout le travail qu’on a pu faire pendant le début de mandat a été balayé du simple fait qu’on avait le tampon “majorité” collé à la peau. Ça appelle forcément à beaucoup d’humilité… », reconnaît-il.
Surtout lorsqu’en face, les candidats d’extrême droite l’ont emporté sans avoir dit un mot, mis un pied sur le terrain, ou même leur visage sur les tracts. Une « dinguerie », souffle Jean-Marc Zulesi, qui rappelle que s’il fut lui aussi élu sur la vague Macron de 2017, au moins avait-il pris la peine de travailler sur les enjeux locaux. « Dans mon espèce de traversée du désert, je me dis que tout ça n’est pas ma conception de la politique, et que peut-être que ce n’est finalement pas fait pour moi », philosophe-t-il. Même interrogation pour Bruno Millienne, consterné par « le niveau général du monde politique ». Ou pour Mireille Clapot, « écœurée » par cette politique du coup de com’ permanent et ce qu’elle charrie de nauséabond.
Cette nouvelle législature va être un enfer.
Partout, les candidats fantômes du RN ont hanté la campagne. En Isère, la candidate lepéniste, cheffe d’entreprise dans le Rhône n’habitant pas la circonscription, avait écrit « candidate de l’Ain » sur ses affiches, raconte Élodie Jacquier-Laforge. Cela n’a pas empêché l’extrême droite de gagner 15 000 voix en deux ans. « Cette nouvelle législature, ça va être un enfer pour tout le monde », prédit Bruno Millienne.
Plus difficile encore que ce début de mandat chaotique ? Il n’a certes pas été simple de défendre sur le terrain la réforme des retraites ou la loi immigration. La permanence de Jean-Marc Zulesi, à Salon-de-Provence, recouverte d’affiches et d’autocollants au moment du fiasco de la loi sur la réforme des retraites, mais aussi les remarques sur les marchés ont laissé de mauvais souvenirs. « Même si on a certainement été insuffisants, on est loin d’avoir tout raté », se console Laurence Maillart-Méhaignerie, qui, malgré sa défaite, reste aux manettes à la tête du groupe local de Renaissance en Bretagne.
Au titre des bons points sont cités, pêle-mêle, la baisse des émissions à effets de serre en cours de mandat, le dédoublement des classes en primaire, le recul du chômage ou le versement automatique par la CAF des pensions alimentaires pour les femmes divorcées… « J’ai le sentiment d’avoir été utile », estime Laurence Maillart-Méhaignerie, qui, si elle n’attend « aucune reconnaissance », voudrait tout de même que l’opinion publique prenne conscience du travail acharné des parlementaires.
Le retour à la vie normale
Pour cette ancienne éditrice comme pour les autres, la page est tournée et le retour à « la vie normale » se précise. En attendant, tous ont dû faire avec le licenciement des collaborateurs, le rendu des permanences parlementaires, le déménagement des bureaux du Palais-Bourbon et, pour certains, la vente sur Le Bon coin des meubles qui ornaient leurs locaux…
À part la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet – qui s’est fendue d’un appel à son ex-collègue du perchoir Élodie Jacquier-Laforge –, ni Emmanuel Macron ni le premier ministre ni même Sylvain Maillard, ex-président du groupe Renaissance, ou Jean-Paul Mattei, ex-président du groupe MoDem, n’ont daigné envoyer un mot aux recalés de la dissolution. « Ça fait drôle, après sept ans d’engagement au détriment de ma vie sociale, professionnelle et familiale », confie Élodie Jacquier-Laforge, qui, après avoir tout coupé, de ses réseaux sociaux à ses contacts médias, relativise sa situation en savourant « le goût de la liberté retrouvée ».
Afin d’accélérer le « travail de deuil », Mireille Clapot, bénéficiant d’une formation d’ingénieure, s’est immédiatement inscrite sur LinkedIn, dans l’espoir de retrouver un travail à l’étranger, loin de ses anciens administrés drômois, qui ne la regardent plus de la même manière. Caroline Janvier, elle, pourrait renouer avec la politique, « mais pas forcément avec une étiquette », à l’occasion des municipales de 2026. Jean-Marc Zulesi entend se laisser le temps de réfléchir quand il court ou sur son vélo.
Quant à Bruno Millienne, qui se fait fort d’avoir été « le premier sortant de France à se désister », il a commencé à chercher un emploi dès l’entre-deux-tours. Même si ce défenseur de la réforme des retraites le sait : à 64 ans, il ne sera pas simple de retrouver un patron ou d’emprunter des fonds pour lancer sa propre boîte. Après son retrait, l’ancien cadre dirigeant à M6 a lancé une perche à Emmanuel Macron. « Bon, ben pour moi, c’est end of the game. Si t’as du boulot… Hasta la vista ! », lui a-t-il écrit, non sans une pointe de sarcasme. Il n’a jamais eu de réponse.
Pauline Graulle