L’égalité professionnelle reconnue par la loi est loin de s’appliquer dans les faits : inégalités dans l’accès à l’emploi, inégalités des salaires, inégalités dans l’accès à la formation, aux qualifications, inégalités dans le déroulement de carrière… mais aussi inégalités devant le chômage et les contrats précaires. Les organisations syndicales ont du pain sur la planche.
Mais, malheureusement, elles ne semblent pas avoir encore mesuré toute l’urgence d’intervenir sur ces questions. Comme elles n’ont pas su lire ce que portaient les luttes des femmes des dernières années. Que disaient par exemple les infirmières en lutte en 1988 ? La CFDT dénonçait l’aspect corporatiste de leur mouvement. La CGT rechignait à soutenir une lutte dont elle n’avait pas la maîtrise. Organisées dans le cadre d’une coordination unitaire rassemblant presque toute leur profession, les infirmières, comme les assistantes sociales trois ans plus tard, remettaient en cause l’austérité budgétaire dont elles étaient victimes et revendiquaient aussi fortement la reconnaissance de leur qualification. Même s’il ne concernait qu’une catégorie des salariées, ce mouvement a été symboliquement très important. Il a témoigné de l’évolution de la place des femmes dans le salariat. Pour la première fois, sur le terrain du travail, des femmes étaient à la tête d’une lutte d’ampleur nationale. Leur slogan, « Ni bonnes, ni connes, ni nonnes », exprimaient le refus que leurs professions soient assimilées aux idées de dévouement, de vocation, de bénévolat. Il exprimait leur volonté d’être reconnues comme des salariées à part entière.
Aujourd’hui, le droit au travail des femmes est lentement, insidieusement, remis en cause. l’aggravation de la crise n’épargne personne mais les statistiques démontrent que les femmes sont les premières concernées, les plus touchées par la pauvreté, le chômage et les difficultés d’insertion. Et la remontée de l’ordre moral est loin d’être une coïncidence. En période de crise, qui devrait rentrer au foyer, accomplir les tâches ménagères auxquelles elles seraient finalement destinées ? Qui devraient libérer une place indûment arrachée à un chômeur ? Les femmes. Sous-jacente l’idée qu’elles ne seraient finalement qu’une armée de réserve sur le terrain du travail, appelée à retourner au bercail à la première occasion. Elles ne seraient pas des travailleurs comme les autres. A aucun moment ne sont remis en cause la place des uns et des autres dans la société, les rapports hommes-femmes, la répartition des tâches domestiques et les attributions de chacun.
Perdre son travail, pour une femme, c’est perdre un inestimable outil d’autonomie financière et morale, un moyen de peser dans sa vie domestique, d’exister en dehors de la famille, de pouvoir décider.
Le temps partiel est souvent imposé, il peut parfois être « choisi » par des femmes, notamment dans la fonction publique, qui veulent aussi libérer du temps pour leurs loisirs mais surtout pour leurs enfants et leurs tâches domestiques. L’APE (allocation parentale d’éducation) s’est largement développée ces dernières années (appliquée dès le deuxième enfant depuis 1994). Entre, d’un côté un bas salaire et de mauvaises conditions de travail, la flexibilité des horaires, les temps de transport, les acrobaties incessantes pour faire garder les enfants et, de l’autre, la possibilité de bénéficier de cette allocation parentale… difficile de résister. Mais c’est un poison redoutable. Il accentue la précarité, il accentue les inégalités entre les hommes et les femmes, il remet en cause leur droit au travail.
Les derniers chiffres publiés par la Caisse nationale d’allocations familiales sont éloquent : depuis 1994, le taux d’activité des jeunes mères a chuté de 10% ! Le marché du travail en cirse les renvoie dans leur foyer.
Seule une démarche collective pour la réduction du temps de travail pour toutes et tous permettra d’échapper au piège du temps partiel qui, inévitablement, retombe avant tout sur les femmes. Pour cela, il faudrait que les femmes, au sein de leurs syndicats, parviennent à s’organiser pour peser en ce sens.
Avant les lendemains qui chantent
Pourquoi les femmes devraient-elles s’organiser dans des structures qui leur soient spécifiques ? Leur investissement syndical ne suffit-il pas ?
Les organisations syndicales ont toujours eu beaucoup de mal à s’approprier les questions féministes. Le salariat féminin a longtemps été minoritaire et les bastions traditionnels du syndicalisme étaient des secteurs masculins comme Renault, les mines, la métallurgie… Plus généralement, dans tout le mouvement ouvrier, prédominait l’idée que la lutte des classes primait sur toute autre revendication. Et l’on remettait aux lendemains qui chantent l’émancipation des femmes. Les années 70 ont contribué à modifier la donne et la CFDT, la première, s’est ouverte à ces questions initiant la mise en place de commissions féminines syndicales dans les entreprises. La CGT a pris le train en marche quelques années plus tard avant de se refermer sur elle-même dans les années 80.
Même si de nombreuses femmes ont maintenant des responsabilités importantes, la vie syndicale, comme la vie politique, reste malgré tout dirigée et représentée par des hommes. Obtenir qu’il y ait autant de femmes que d’hommes ne suffit pas. Encore faudrait-il que soient présentes dans la réflexion et les luttes les préoccupations liées à la transformation des rapports hommes-femmes. Ce n’est pas toujours les cas, loin de là. Très souvent, les femmes qui ont des responsabilités dans les mouvements sociaux préfèrent s’auto-censurer sur ces questions que d’être accusées de diviser la classe ouvrière, de diviser le syndicat, de porter des revendications spécifiques dans le cadre d’un mouvement général, d’être rejetées dans le particulier. Cette censure pèse lourdement sur la vie politique et sociale. Les femmes se trouvent confrontées dans leurs engagements à de fortes contradictions, parfois insupportables. Comment accepter, supporter ce statut d’emmerdeuse dans leur organisation ? Elles veulent être des syndicalistes comme les autres, aussi compétentes que les autres, et dans tous les domaines. Alors, souvent, elles refusent de s’engager sur le terrain des droits des femmes, d’être enfermées dans cette image de la « féministe de service ».
Si les femmes restent des personnes isolées, même reconnues comme dirigeantes, elles resteront confrontées à cette contradiction. D’où la nécessité de s’organiser collectivement, à l’intérieur du mouvement syndical, sous quelque forme que ce soit, pour réfléchir, poser les problèmes, apporter des propositions qui puissent peser sur le syndicat dans ses orientations mais aussi dans son fonctionnement. Celles qui participent à ce type de démarche ont le sentiment douloureux d’être enfermées dans une sorte de comité de vigilance à qui on ne reconnaît pas la possibilité d’être partie prenante, au même titre que les autres, des orientations et des actions syndicales. Je pense que cette situation pèse sur le renouvellement des équipes militantes dans la lutte féministe aujourd’hui. Les jeunes femmes ne tiennent pas à ce statut qui ferait d’elles des personnes en opposition permanente.
De toute façon, quel que soit le choix des femmes, elles sont en porte-à-faux, en permanence. Car, si aucune femme ne s’engage pour faire progresser la place et le droit des femmes dans le syndicat, personne ne le fera à leur place. Mais quand les femmes veulent assumer leur double engagement féministe et syndicaliste, elles en font alors trois fois plus que les autres.