Une malle géante a été installée sur le toit de la Samaritaine pour abriter une « terrasse éphémère » lors des Jeux olympiques et paralympiques. © Document Mediapart
La slackline devrait être installée dans la nuit du 22 au 23 juillet, entre le toit de la Samaritaine et une grue de 34 mètres de haut située quai des Grands-Augustins. Pour l’occasion, le Pont-Neuf sera fermé à la circulation de 22 heures à 6 heures. Dans la nuit, un test de la traversée de la Seine devrait être réalisé par le funambule. Interrogés, ni LVMH, ni Paris 2024, ni Paname 24, société chargée de l’organisation de la cérémonie d’ouverture, n’ont répondu à nos questions.
Quant à la « terrasse éphémère », son installation a été autorisée par la mairie de Paris et la préfecture de police pour une période allant du 8 juillet au 7 octobre, soit un mois après la fin des Jeux paralympiques. Émile Meunier, conseiller municipal écologiste, habitué à ferrailler avec le groupe de luxe, prépare un recours devant le tribunal administratif pour faire annuler cette autorisation. Il s’appuie sur un décret du Conseil d’État qui précise les conditions d’application de l’article du Code de l’urbanisme régissant les autorisations de constructions temporaires.
Ce décret dispose que le délai maximum de trois mois prévu par la loi – c’est celui qu’a demandé LVMH – est porté à seulement quinze jours quand le bâtiment se situe à proximité d’un monument historique. L’élu vert argue que c’est le cas de la Samaritaine, proche de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, qui jouxte en effet le grand magasin. L’élu local déposera prochainement un référé, une procédure accélérée qui pourrait aboutir à une décision rapide, afin d’obtenir des éclaircissements avant la cérémonie d’ouverture.
Encore une fois, les écologistes parisiens risquent de se retrouver bien seuls dans cette bataille puisque, comme Mediapart l’avait documenté récemment, il est rare que la mairie et la préfecture disent non à Bernard Arnault. En juin 2023, après des années de demandes infructueuses, il avait notamment obtenu d’organiser un fastueux défilé Louis Vuitton sur le Pont-Neuf.
Le plus vieux pont de Paris, situé à un jet de pierre du Louvre et de Notre-Dame, est devenu un symbole incontournable aux yeux de LVMH, puisqu’il débouche sur une placette accueillant la Samaritaine, le grand magasin dont LVMH a fait son étendard depuis sa réouverture luxueuse il y a trois ans, et le siège social de Louis Vuitton.
Des Jeux siglés LVMH
Si LVMH se paye le luxe d’accueillir l’un des « tableaux » les plus attendus de la cérémonie d’ouverture des Jeux, le groupe n’a pas attendu le 26 juillet pour se mettre en avant. Partout en France, l’entreprise de Bernard Arnault, devenu « partenaire premium » contre un chèque de 150 millions d’euros, a usé du parcours de la flamme comme d’un tremplin publicitaire pour quelques-unes de ses 75 marques. À l’image des autres sponsors, comme EDF, Orange, Carrefour ou Sanofi, certes, mais de manière plus décomplexée et plus voyante.
Dès le coup d’envoi du parcours français de la flamme, le 8 mai à Marseille, le nageur Florent Manaudou a extrait la torche olympique d’une grande malle Louis Vuitton, au damier marron et noir très reconnaissable, conçue pour l’occasion. Le 23 mai, alors que la flamme
Le lendemain, la flamme est opportunément passée devant la maison Hennessy à Cognac (Charente), puis devant le musée Christian-Dior à Granville (Manche) le 30 mai. Un mois plus tard, elle faisait arrêt devant le siège de Moët & ; Chandon à Épernay (Marne). Autant de joyaux du groupe.
Rebelote à Paris, où l’ancien footballeur Thierry Henry a sorti la torche de son écrin Vuitton sur les Champs-Élysées le 14 juillet. La malle a même été ouverte par deux salariés de la marque, dont l’un des descendants du fondateur. Le soir même, la flamme a fait un détour devant le siège de Louis Vuitton, en face de la Samaritaine.
Vuitton s’incruste aux remises de prix
Plus tard dans la soirée, une zone de célébration a été installée sur la place de l’Hôtel-de-Ville pour la fin du parcours de la journée. L’enseigne de parfumerie Sephora y a tenu un stand durant l’après-midi et toute la soirée.
Dans les quatre plus grandes villes-étapes, la marque s’est en effet installée au cœur même des zones de célébration, avec de grands espaces à ses couleurs officiellement « destinés à célébrer le lien entre la beauté et le sport ».Le PDG de Sephora et cinquante de ses salarié·es ont aussi été choisi·es pour porter la flamme.
Le 15 juillet, la flamme a passé une partie de son après-midi avec Bernard Arnault lui-même, dans la Fondation Louis Vuitton, le magnifique musée privé du groupe installé dans le bois de Boulogne. Le danseur étoile Germain Louvet a fait passer la flamme devant le tableau Olympic Rings, œuvre conjointe de Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, sous les yeux de la maire de Paris Anne Hidalgo, du PDG de LVMH et de son fils Antoine, du président du Comité international olympique Thomas Bach et du président du Comité d’organisation des Jeux olympiques Tony Estanguet. La flamme est ensuite passée par le Jardin d’acclimatation, le parc d’attractions voisin, lui aussi propriété du groupe.
Le 15 juillet, la flamme olympique était à la Fondation Louis Vuitton, en présence du PDG de LVMH et de son fils, Antoine Arnault, ainsi que de la maire de Paris Anne Hidalgo, du président du CIO Thomas Bach et du président de Paris 2024, Tony Estanguet. © Photo Guillaume Ruchaud / Paris 2024 via AFP
Tout au long des Jeux, le groupe et ses marques resteront omniprésentes. Les costumes des athlètes français pour les cérémonies d’ouverture et de clôture ont été créés par Berluti, tandis que Moët Hennessy fournira vins, champagnes et autres cognacs pour les réceptions VIP.
Les remises de médailles, dessinées par Chaumet, le joaillier du groupe, devraient elles aussi porter l’empreinte de LVMH : les bénévoles apportant les médailles seront également habillé·es par Berluti, et les trophées seront apportés sur des plateaux Louis Vuitton. Si le règlement olympique proscrit tout logo visible, l’esthétique de ces plateaux sera, une fois de plus, très largement inspirée des malles Vuitton : toile enduite, damier et coins en métal.
Une manière de s’asseoir sur le devoir de neutralité censé être respecté par les équipementiers du CIO. Auprès du Monde, Antoine Arnault a reconnu que les plateaux sont « très Vuitton ». Le dauphin désigné de son père a tranquillement assumé l’« astuce »permettant à son groupe d’imposer son image, puisqu’il est « important que le groupe LVMH soit aussi présent pendant les cérémonies sportives ». Pas question de risquer d’être éclipsé face aux « centaines de millions de paires d’yeux [qui] seront braquées » sur Paris le temps des Jeux.
Dan Israel et Khedidja Zerouali