Àune semaine du premier tour des législatives, des milliers de féministes ont défilé dimanche 23 juin à Paris pour faire blocage au Rassemblement national (RN) et dénoncer « l’imposture » du parti de Jordan Bardella, qui se présente désormais comme le garant des « droits et libertés [de] toutes les femmes de France ».
Des cortèges ont aussi été organisés dans une cinquantaine d’autres villes du pays pour faire retentir « les alertes féministes » à l’appel d’un collectif unitaire de plus de 200 signataires – un front plus large que lors des traditionnels défilés féministes organisés, notamment pour le 8 mars.
« Nous avons mis nos différends de côté : au-delà des sensibilités variées au sein du mouvement féministe, nous sommes toutes tombées d’accord sur un mot d’ordre, faire barrage à l’extrême droite. C’est en soi historique », relève Clémence Pajot, présente dans le carré de tête de la manifestation parisienne en tant que directrice de la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. Dans la capitale, la préfecture de police a dénombré 13 000 personnes, et les organisateurs 75 000.
Manifestation féministe contre l’extreme droite à Paris le 23 juin. © Photo Quentin De Groeve / Hans Lucas via AFP
« Nous sommes là pour alerter la population dans son entier, les femmes tentées de voter RN, mais pas seulement, sur le fait que c’est une imposture, un ravalement de façade, un faux-semblant ! », avance de son côté Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. « Exactement comme il y a une imposture sociale, il y a une imposture féministe du RN », renchérit Sophie Binet, à la tête de la CGT.
Beaucoup des activistes avec lesquelles Mediapart a échangé ce dimanche renvoyaient au vote du 4 mars dernier, au Congrès, sur l’inscription dans la Constitution française de « la liberté garantie » de recourir à l’IVG. Si Marine Le Pen a voté pour, 11 élu·es RN s’y sont opposé·es, à quoi s’ajoutent 20 abstentions et 14 absent·es. « C’est le groupe qui a le moins voté pour la constitutionnalisation de ce droit », tranche Sophie Binet.
La syndicaliste poursuit : « Comme l’extrême droite est dans une stratégie de séduction, d’accession au pouvoir, elle ment, en s’engageant à respecter le droit à l’IVG. Mais on sait ce qu’il s’est passé en Hongrie ou en Italie [où l’extrême droite gouverne - ndlr] : ils n’ont pas attaqué frontalement le droit à l’IVG, mais mis en place un harcèlement des femmes pour les empêcher, dans les faits, de pouvoir avorter. »
« Nous étions déjà inquiètes avant, mais l’arrivée du RN serait dramatique », résume de son côté Sarah Durocher, la présidente du Planning familial, qui redoute des coupes dans les subventions, mais aussi une recrudescence d’attaques visant les locaux de l’association.
De son côté, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, principal syndicat d’enseignant·es dans les collèges et lycées, rappelle que « l’éducation nationale est féminisée à 73 % » et qu’elle « peut clairement devenir une cible des politiques anti-féministes du RN ». Elle s’inquiète du devenir, en particulier, d’un plan en chantier sur l’égalité femmes-hommes au sein de l’Éducation nationale, à la fois sur les enjeux de salaires et de prévention des violences.
Angoisses du moment
Hors du carré de tête, le cortège semblait déterminé, mais largement moins fourni que lors de la journée du 15 juin, organisée par l’intersyndicale. « Un ministère des affaires ménagères, c’est non ! », lit-on sur une des pancartes les plus copiées, tandis que des militantes distribuent un peu partout des affiches en forme de main, détournées du slogan de SOS Racisme : « Touche pas à ma pote. » Ailleurs, une manifestante réclame « - de RN, + de lesbiennes », quand une autre ose « Bardella=Patriarcaca ».
Vers l’arrière du cortège, Salomé Hocquard, vice-présidente de l’Unef, assure que « le fascisme veut imposer une société faite d’inégalités ». « Oser dire que le RN est engagé pour la cause des femmes est totalement faux », gronde-t-elle.
À la différence de l’appel des féministes à l’origine de la manifestation, qui ne plaide pas explicitement pour un vote pour le Nouveau Front populaire (NFP), l’Unef a explicitement pris position pour le front des gauches. Casquette rouge vissée sur la tête, cette étudiante en sciences politiques de 24 ans glisse encore : « Je n’arrive pas à envisager une société où on va avoir les fascistes au pouvoir dans deux semaines. C’est hyper angoissant. Alors on essaie de militer partout où l’on peut. »
Dans le défilé, des citoyen·nes sont aussi venu·es, pas tant pour défendre les droits des femmes en particulier que pour exprimer leur inquiétude plus large d’un RN au pouvoir. Le cortège est un instantané des angoisses, urgences et crispations du moment. « Décolonisez la Palestine et la Kanaky », dit une pancarte. « N’oublions pas Nahel », demande une autre, en référence à ce jeune homme abattu il y a un an par un policier à Nanterre.
Benjamin, 35 ans, a confectionné sa pancarte juste avant de venir, sur un coup de colère. « R Haine, va à la niche », clame-t-il, en référence à la sortie raciste captée à Montargis (Loiret) par une caméra d’« Envoyé spécial » – séquence que Marine Le Pen, elle, n’a pas jugée raciste. « Le RN s’est policé, a normalisé son discours. Mais s’ils accèdent au pouvoir, cela va libérer énormément de violences, racistes, homophobes, patriarcales, dit ce manifestant. J’ai peur de vivre dans une société où ces formes de domination, que l’on essaie déjà tant bien que mal de réguler en temps normal, seront encore plus violentes. »
Déjà présente dans la rue la semaine dernière, Anouk, militante écolo de 29 ans du réseau Action justice climat, a elle aussi répondu présente, aux côtés de nombreux autres collectifs écologistes. « C’est la question des alliances que l’on construit pour un monde plus juste et plus durable : la justice sociale et la justice climatique sont liées », espère-t-elle.
Couvrant un peu ses paroles, la sono crache : « Hanouna, rends l’antenne, arrête de cracher ta haine », avant d’enchaîner avec la reprise d’une chanson révolutionnaire écrite par Louise Michel pendant la Commune de Paris. « Le tonnerre de la bataille gronde sur nous… Amis, chantons ! »
Ludovic Lamant