L’étau se resserre autour du premier ministre Benyamin Nétanyahou. Le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé le 20 mai avoir soumis une requête pour la délivrance d’un mandat d’arrêt international contre le premier ministre israélien et le ministre de la défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans la bande de Gaza.
« Sur la base des éléments de preuve recueillis et examinés par mon bureau, j’ai des motifs raisonnables de croire que Benyamin Nétanyahou, le premier ministre d’Israël, et Yoav Gallant, le ministre de la défense d’Israël, portent la responsabilité pénale de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire de l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) à partir du 8 octobre 2023 au moins », a indiqué dans un communiqué le procureur de la CPI.
Parmi les crimes allégués, le procureur général accuse les deux responsables israéliens de morts intentionnelles de civils, de recourir à la famine de la population gazaouie comme méthode de guerre et de persécutions contre les civils. Plus de 35 000 personnes sont mortes à Gaza depuis l’attaque terroriste menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre, selon les autorités du Hamas.
Dans la même déclaration, le procureur général a requis également des mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas : Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, Mohammed Deif, commandant des Brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas, et Yahya Sinouar , chef du Hamas dans la bande de Gaza.
Pour le procureur de la CPI, ces trois responsables du Hamas « portent la responsabilité pénale des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire d’Israël et de l’État de Palestine à compter du 7 octobre 2023 ». Ceux-ci sont accusésd’« actes de torture », d’« extermination », de « viols », de « prise d’otages », d’« atteinte à la dignité ». « Nous affirmons que ces crimes contre l’humanité s’inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique menée par le Hamas », écrit le procureur général dans sa déclaration. « D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis. »
Afin de balayer les accusations de partialité, le procureur général a rappelé qu’il avait mené une longue enquête à charge et à décharge et s’était entouré d’experts et de spécialistes pour l’aider dans ses investigations. Les juges de Cour pénale internationale devront déterminer si les conditions sont réunies ou non pour donner suite aux requêtes du procureur général.
Le procureur général de la Cour pénale internationale Karim Khan. © Luis ACOSTA / AFP
Israël-Hamas : mêmes réactions indignées
« Faire un parallèle entre les responsables d’un pays démocratique déterminé à se défendre face au terrorisme avec des chefs d’une organisation terroriste assoiffée de sang est une profonde distorsion de la justice et une faillite morale flagrante », a réagi sur X Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien et opposant à Benyamin Nétanyahou. « La position du procureur de requérir des mandats d’arrêt est en elle-même un crime de dimension historique dont on se souviendra pendant des générations. »
À sa suite, les réactions indignées des responsables israéliens s’enchaînent. Le président israélien Isaac Herzog condamne cette décision de « mauvaise foi » et espère que « tous les responsables du monde libre condamneront et rejetteront cette procédure ». Le ministre des affaires étrangères Israël Katz parle d’une procédure « scandaleuse » représentant une nouvelle attaque contre les victimes du 7 octobre. Tout en nuances, le ministre des finances Bezalel Smotrich estime que cette annonce est « le dernier clou pour le démantèlement de ce tribunal politique et antisémite ».
Les réactions palestiniennes sont tout autant furieuses. Sami Abu Zuhri, un officiel du Hamas, s’indigne que la décision revienne à mettre les victimes sur le même plan que les attaquants et encourage Israël à poursuivre « sa guerre d’extermination » à Gaza. Un des responsables de l’OLP, Abu Youssef Wasel, estime que cette procédure est porteuse de confusion sur les victimes réelles, considérant que le « peuple palestinien a le droit de se défendre ».
Le scénario redouté par Benyamin Nétanyahou
Depuis plusieurs semaines, la presse israélienne se fait l’écho des craintes du premier ministre israélien d’être frappé par un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale. Dans un message sur X, Benyamin Nétanyahou avait affirmé le 26 avril qu’« Israël n’acceptera jamais aucune tentative de la CPI de porter atteinte à son droit inhérent à la légitime défense ». Il poursuivait en insistant sur le fait qu’une telle mesure créerait « un dangereux précédent » menaçant « les soldats et les responsables de toutes les démocraties luttant contre le terrorisme sauvage et les agressions gratuites ».
Certains observateurs ont également interprété la prise de distance du ministre de la défense Yoav Gallant et ses déclarations publiques pour marquer son opposition à l’installation « d’un régime militaire » à Gaza , comme une façon de se démarquer, au cas où les responsables israéliens seraient poursuivis pour crimes de guerre.
De son côté, la Maison-Blanche a fait savoir à plusieurs reprises son opposition à toute poursuite des responsables israéliens devant la CPI, estimant que cela ne pouvait que nuire aux discussions pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza. « Nous sommes très clairs au sujet de l’enquête de la CPI : nous ne la soutenons pas. Nous ne croyons pas qu’ils aient le mandat pour le faire », a affirmé la porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre en avril. Plusieurs parlementaires américains ont déjà averti que si la CPI engageait des poursuites contre des responsables israéliens, ils prendraient des sanctions contre les responsables de la CPI.
Menaces sur la CPI
Au début du mois, la CPI a demandé de mettre un terme aux menaces brandies contre les membres de la cour. « Toute tentative visant à entraver, intimider ou influencer les agents doit cesser immédiatement », avait indiqué la CPI dans un communiqué sur X, sans donner plus de précision.
La CPI est une cour indépendante instituée dans le cadre d’un traité de 2002. Sa mission est d’enquêter et juger les responsables militaires ou civils, soupçonnés de crimes contre l’humanité.
Les États-Unis comme Israël ne sont pas signataires de ce traité et ne reconnaissent pas la CPI. Mais les 124 États qui ont accepté ce traité sont obligés de se conformer aux décisions de la CPI et d’appliquer les mandats d’arrêt émis contre les responsables politiques. En 2023, la juridiction internationale a ainsi émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes contre l’humanité en Ukraine : le président russe ne peut plus se déplacer que dans quelques pays ne reconnaissant pas la CPI, comme la Chine ou l’Iran.
En 2015, la CPI a reconnu l’État de Palestine comme membre signataire du traité, même si celui-ci n’est pas admis à l’ONU. Elle s’estime donc compétente pour instruire ce qui se passe à Gaza. « Aujourd’hui, nous réaffirmons qu’aucun État ne peut se soustraire aux normes prévues par le droit international et le droit des conflits armés », rappelle le procureur général. « Aucun soldat, aucun commandant, aucun dirigeant civil, nul ne peut agir en toute impunité. »
Martine Orange