Le brésilien Cosan, deuxième producteur mondial d’éthanol, veut vendre des actions à Wall Street. Objectif : récolter 1,5 à 2 milliards de dollars pour se renforcer au Brésil et se transformer en multinationale. Parmi les projets : une expansion en Asie et dans les pays caribéens qui peuvent en partie exporter aux Etats-Unis sans taxes. Après quoi Cosan s’implanterait aux USA, premier consommateur mondial, où la fièvre de l’éthanol fait rage [1]. Le gouvernement fédéral offre un subside de 13,5 cents/litre. De plus en plus d’agriculteurs de la « ceinture du maïs » travaillent pour les raffineries (l’Iowa en compte pas moins de 28 !). La poule aux œufs d’or attire aussi les producteurs de viande, qui envisagent de développer une sous-filière d’engraissement du porc avec les résidus [2]…
Changement climatique oblige, tout le monde se rue sur la biomasse : biocarburants, matériaux de construction, combustible, « puits de carbone », matière première pour de nouveaux polymères. On brûle du blé, on fabrique du plastique avec des betteraves, on plante des eucalyptus pour fixer du carbone. Money, money : tout un business « vert » se développe. « Vert » entre guillemets, car la biomasse ne peut pas à la fois remplir toutes ces missions et… nourrir l’humanité. Les prix du maïs s’envolent, tirés par ceux du pétrole. Les stocks de céréales sont tombés à 19% de la consommation mondiale, selon la FAO [3]. Le problème des superficies disponibles et des impacts socio-écologiques est posé. Selon l’Agence Européenne de l’Environnement, la biomasse ne peut couvrir plus de 15% des besoins énergétiques de l’UE (mais sans normes strictes, même une production plus modeste serait écologiquement néfaste) [4]. On se tourne donc vers le Sud, où les garde-fous sont, disons, plus légers. Pour l’AIE, la seule canne à sucre pourrait couvrir jusqu’à 10% de la consommation mondiale d’essence et 3% de la consommation de diesel en 2020 [5]. C’est ce créneau que Cosan veut occuper, avec le soutien du gouvernement Lula. Au prix de la création de véritables « déserts verts ».
Toute cette folie cherche à contourner l’obligation de réduire radicalement la demande primaire d’énergie, alors que cet objectif pourrait être atteint assez facilement en luttant contre le gaspillage, en sortant du transport par route et en optant pour une électricité décentralisée. A long terme, l’échec sera au rendez-vous. Mais à court terme les conséquences sont terribles. Ecologiquement, l’affaire pourrait tourner au cauchemar. Socialement, le cauchemar a commencé : au Brésil, la « durée de vie utile » des travailleurs de la canne est tombée à 12 ans. Elle était de 15 à 20 ans à la fin de la période esclavagiste [6]. Difficile de ne pas évoquer ce bon vieux Marx : « Le capitalisme épuise les deux seules sources de toute richesse, la terre et le travailleur ».