Le soir de son élection, Nicolas Sarkozy lançait un appel « à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et les dictatures, à tous les enfants et les femmes martyrisés dans le monde, pour leur dire que la France sera à leur côté, qu’ils peuvent compter sur elle ». Ces déclarations trouveront-elles leur traduction dans les faits ? Pour le moment la réponse est incertaine. Dans la lettre de mission du président de la République à monsieur Hortefeux, aucune indication sur les mesures à prendre pour mieux protéger les réfugiés. Rien non plus dans le projet de loi sur l’asile et l’immigration qui sera présenté à l’Assemblée nationale à la rentrée.
Pourtant, les déclarations présidentielles imposeraient des réformes ambitieuses. La première réforme que le gouvernement doit engager sur l’asile est celle du discours. Il ne peut d’un côté s’engager à aider ceux qui fuient la tyrannie, et de l’autre, soupçonner les personnes qui souhaitent demander l’asile en France d’être des « faux réfugiés ». Il ne peut se féliciter que la demande d’asile ait baissé de plus de 40 % en deux ans en France comme s’il s’agissait d’une victoire sur l’immigration irrégulière. Ce satisfecit est d’autant plus surprenant que selon le HCR le nombre de réfugiés dans le monde augmente et a récemment atteint 10 millions.
Dans ce contexte, s’il veut être à la hauteur de ses engagements internationaux, le gouvernement doit redéfinir ses modes d’action pour protéger les réfugiés. Si la France est aux côtés des persécutés, elle doit créer des voies d’entrée légale pour ceux qui se heurtent aujourd’hui aux barrières érigées contre l’immigration irrégulière. Elle doit dire qu’il est inacceptable que des patrouilles de l’Union européenne interceptent des bateaux en mer et leur fassent faire demi-tour sans s’être assuré qu’il n’y avait pas de réfugiés à leur bord. Elle doit s’opposer à la collaboration de l’UE dans le domaine du contrôle de l’immigration avec la Libye qui n’a pas ratifié la convention de Genève de 1951, qui emprisonne les réfugiés et les renvoie vers les régimes les plus répressifs d’Afrique.
Protéger les « persécutés », implique aussi de prendre en compte le fait que 70 % d’entre eux sont bloqués depuis des années dans des pays du Sud, sans perspective d’intégration ni de retour dans leur pays d’origine comme les Afghans au Pakistan, les Congolais en Angola et en Tanzanie, ou les Birmans en Thaïlande. Aujourd’hui, ce sont les Irakiens qui risquent de se retrouver bloqués dans les pays frontaliers.
Sur les 2,2 millions de réfugiés irakiens, 1 million sont actuellement en Syrie et 750 000 en Jordanie, alors qu’ils n’ont été que 20 000 à demander l’asile en Europe en 2006 et seulement 99 en France. Or, leurs perspectives de retour à moyen terme sont quasi inexistantes. La France ne peut plus se contenter de contribuer financièrement à des opérations humanitaires. Face à un afflux de réfugiés tel que celui que connaissent la Jordanie et la Syrie en provenance d’Irak, elle doit trouver d’autres moyens de participer à l’effort international pour leur protection et répondre aux appels répétés lancés par le HCR aux pays donateurs pour qu’ils accueillent sur leur territoire des Irakiens qu’il a reconnus réfugiés dans les pays limitrophes de l’Irak et qui sont particulièrement vulnérables — ils seraient plusieurs dizaines de milliers dans ce cas selon l’agence des Nations unies.
Ce mécanisme s’appelle la « réinstallation », instrument de protection internationale que la France a déjà mis en œuvre dans les années 70 en accueillant 15 000 réfugiés du Sud-Est asiatique. On se souvient que la France a participé à l’évacuation des réfugiés kosovars des camps en Macédoine. Si des pays comme l’Argentine ou l’Uruguay vont chercher volontairement des réfugiés bloqués dans des pays du Sud, si le Brésil peut réinstaller, comme il l’a annoncé début juillet, cent réfugiés palestiniens bloqués à la frontière irako-jordanienne, on voit mal ce qui pourrait justifier le refus de la France, de réinstaller à son tour, des réfugiés. Elle doit prendre position et s’engager à aller chercher et à accueillir des réfugiés irakiens. Il y a urgence car protéger les réfugiés, ce n’est pas qu’une « obligation morale », comme le déclarait le ministre de l’Immigration, c’est une obligation internationale que la France a souscrite délibérément, on pourrait même dire « choisie ».