Des militant.e.s du secteur « images » de B’Tselem en Cisjordanie. Crédit : Helen Yanovsky
Sans B’Tselem, nous en saurions beaucoup moins sur tout ce qui touche à l’occupation. Pour la plupart des Israéliens et des médias israéliens, cela ne changerait rien : ils refusent de savoir et d’informer, mais cela jouerait grandement sur l’image d’Israël et sa réputation morale. Lorsqu’on nous demande de trouver quelque chose de bien à dire à propos d’Israël, B’Tselem est une réponse de choix.
Le harcèlement de B’Tselem n’a pas commencé hier, mais maintenant la gauche et les défenseurs des droits de l’Homme y prennent part. [A les en croire] B’Tselem n’a pas respecté les règles : l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme n’a pas suffisamment condamné les événements du 7 octobre, suite à sa première dénonciation le 9 octobre.
Aujourd’hui, il est impossible de s’opposer à la guerre, d’être bouleversé par l’ampleur des exactions, d’être horrifié par le sort de Gaza, d’éprouver de la compassion pour ses habitants, sans commencer par condamner les crimes du Hamas.
Anat Kamm déclare (dans un article sur cette page) qu’Orly Noy et Yuli Novak, respectivement présidente et directeur exécutif de l’organisation, n’ont pas « accordé au massacre l’attention appropriée ». (Quand ils parlent de massacre, ils se réfèrent uniquement au 7 octobre), Kamm cite Novak, qui a présenté le massacre comme « un acte de résistance ou de rébellion contre le régime d’apartheid israélien », mais Eyal Hareuveni, chargé de recherche à B’Tselem, a déclaré que Novak avait clairement indiqué qu’il s’agissait d’un acte de résistance illégitime.
Effectivement, le massacre du 7 octobre était un acte illégitime et criminel de rébellion et de résistance contre une occupation et un régime d’apartheid qui n’est pas moins illégitime et criminel. Nous sommes encore loin d’une chasse aux sorcières maccarthyste contre B’Tselem. Non seulement B’Tselem reste une organisation légitime, mais la mobilisation pour préserver son existence devrait être renforcée aujourd’hui, en ces jours terribles de crimes de guerre, de violations du droit international et de droits de l’Homme foulés aux pieds.
Non, Anat Kamm, il n’y a pas lieu de choisir entre les droits de l’Homme et le nationalisme palestinien. Il est fort douteux que le massacre ait été perpétré au nom du nationalisme. La haine est alimentée principalement par l’occupation. S’il faut choisir, c’est entre un État juif et un État démocratique, car il n’est plus possible d’avoir les deux.
Ces deux combats, contre la guerre à Gaza et contre l’apartheid israélien, se mènent non pas au nom du nationalisme palestinien, mais plutôt au nom de la morale et du droit international. Je n’ai rien à voir avec le nationalisme palestinien, et B’Tselem non plus.
Non, Anat Kamm, les dirigeants de B’Tselem n’ont pas oublié que c’est une « organisation de défense des droits de l’Homme et non un mouvement pour la libération de Gaza », ainsi que vous l’avez écrit, et vous n’avez pas à « le leur rappeler ». Il est impossible de se présenter comme une organisation de défense des droits de l’Homme sans être un mouvement pour la libération de Gaza, car il n’y a pas de droits de l’Homme sans la libération de Gaza.
La libération de la bande de Gaza et de la Cisjordanie est un point clé ; il faut se battre pour cela, et c’est ce que fait B’Tselem - elle est l’une des dernières à le faire en Israël. La gauche devrait s’incliner avec admiration devant B’Tselem, et non lui faire la morale parce qu’il ne se conforme pas à la norme.
Je suis un « utilisateur fréquent » de B’Tselem. La plupart de mes propres enquêtes sur le terrain sont basées sur celles de ses équipes de chercheurs sur le terrain. Je ne me suis jamais rendu dans ses bureaux, mais presque chaque semaine, je pars en Cisjordanie accompagné par l’un des remarquables, fiables et professionnels enquêteurs et enquêtrices palestinien.es de l’organisation. Elles et eux, qui ont tout vu, pleurent parfois - surtout ces derniers temps. Elles et eux, qui ont tout vu, ne renoncent jamais à la vérité ; ils sondent et fouinent.
C’est peut-être la raison pour laquelle certains d’entre elles et eux ont mis en doute les rapports israéliens relatifs au 7 octobre. J’étais mal à l’aise. Mes discussions avec eux ont été âpres et j’en étais vraiment désolé, mais c’est ainsi lorsque vous êtes exposé pendant des décennies aux mensonges de l’occupation.
La semaine dernière, lorsque j’ai demandé à la directrice des relations internationales en fonction, Sarit Michaeli, de me fournir des données sur les Palestinien.es tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre, elle n’a pu me donner que des chiffres pour la période qui va jusqu’à la fin du mois de février. Ils n’ont pas encore entièrement terminé leurs investigations sur les meurtres du mois de mars. À l’étranger, et même dans les milieux militaires israéliens, B’Tselem est réputé pour sa rigueur ; c’est la raison pour laquelle les données de l’organisation sont considérées comme extrêmement fiables.
La polémique qui a éclaté au sein de la gauche à propos de B’Tselem masque des problèmes plus profonds. Cette gauche ne cesse de chercher à trouver des justifications à la guerre atroce et à son silence honteux à son sujet. Cette gauche veut aussi détourner l’attention des crimes de la guerre. B’Tselem ne lui donnera pas ce qu’elle veut.
Gideon Levy