Philippe Lazzarini au siège européen des Nations Unies à Genève, 13 février 2024.
Pour saisir le sens de cette campagne, il faut faire référence à quelques données historiques. L’UNRWA, créée en 1949, fait suite à l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leurs territoires, ce que Ilan Pappé a qualifié de nettoyage ethnique dans son ouvrage intitulé The Ethnic Cleansing of Palestine, Oneworld Publications, 2007. Il s’agit de la Nakba pour les Palestiniens. Dès lors se posait un problème : pourquoi les réfugiés « produits » par la Nakba – qui peuplent aujourd’hui l’essentiel de l’enclave de Gaza – n’ont pas relevé de l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), agence de l’ONU, créée en 1946 et remplacée en 1952 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ? La réponse : l’OIR se devait de gérer la masse des réfugiés provoquée par les massacres et les déplacements de populations au cours de la Seconde Guerre mondiale. La mission de l’OIR était, comme Pierre Jacobsen l’indique dans la revue Population (n° 1, 1951) « d’assumer la protection juridique des personnes déplacées et des réfugiés placés sous son mandat, mais elle doit également leur fournir une assistance matérielle et trouver une solution durable pour eux, soit en les rapatriant, soit en les aidant à s’incorporer à une communauté nouvelle ».
Dès lors, pour le gouvernement israélien et ses proches alliés, il fallait éviter que l’OIR prenne en charge les réfugiés palestiniens avec les objectifs de l’OIR mentionnés. D’où la création en décembre 1949 de l’UNRWA qui ne prend en charge que les réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Il s’agissait ainsi d’un « cas à part ».
Au moment où la consolidation coloniale – qu’Henry Laurens, professeur au Collège de France, qualifie de « colonisation de refoulement » – se fait tous les jours plus manifeste, la mise en question radicale de l’UNRWA s’insère dans le programme politique du gouvernement israélien. Les accusations de complicité présumée de 12 employés de l’UNRWA (sur 13’000 présents à Gaza) avec le Hamas lors des massacres et crimes du 7 octobre 2023 permettent une nouvelle escalade contre l’UNRWA.
Campagne internationale et lobby diplomatique doivent être déployés afin d’étouffer financièrement l’UNRWA et donc d’étrangler les centaines de milliers de réfugiés palestiniens. Philippe Lazzarini, le jeudi 22 février, ne pouvait dès lors que déclarer : « C’est avec un profond regret que je dois aujourd’hui vous informer que l’Agence a atteint un point de rupture, avec les appels répétés d’Israël à son démantèlement et le gel des financements de donateurs face à des besoins humanitaires à Gaza sans précédent… La capacité de l’Agence à remplir son mandat donné par la résolution 302 de l’Assemblée générale est désormais gravement menacée. »
L’actualité de cette agression contre l’UNRWA et les « barrières administratives » contre les ONG internationales, comme le mentionne Amira Hass dans son article du 25 février, est encore renforcée par le prétendu « plan d’après-guerre à Gaza » présenté par le premier ministre israélien le jeudi 22 février. A ce propos, Jean-Philippe Rémy et Hélène Sallon, dans Le Monde daté du 25 et 26 février, écrivent : « La volonté israélienne de faire place nette à Gaza va au-delà de l’UNRWA. La responsabilité de l’administration, dans le futur, devrait en effet être confiée, selon le plan de Benyamin Netanyahou, à “des entités locales ayant une expérience de la gestion des affaires”, lesquelles ne doivent pas avoir été affiliées à “des Etats ou des organisations soutenant le terrorisme”. Cela exclut les fonctionnaires locaux qui auraient été associés au Hamas, de près ou de loin, au risque de créer un vide que les “entités locales”, concept flou, risquent de ne pas combler. Aucune mention n’est faite du rôle futur de l’Autorité palestinienne. »
Il serait temps, pour ne pas dire opportun, que les médias dits d’information – et les porte-parole de forces politiques « de gauche » et syndicales, en Suisse par exemple – saisissent la dimension historique et politique de la campagne contre l’UNRWA. Est-ce trop demander ? L’exigence d’intelligibilité historique semble en la matière difficile à être satisfaite. (26 février 2024)
Charles-André Udry