Ce 26 février, Israël doit présenter à la Cour internationale de justice un rapport « sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour exécuter » l’ordonnance du tribunal onusien rendue un mois plus tôt, le 26 janvier. Parmi ces mesures provisoires contraignantes figurent celles permettant « la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».
Israël devait donc faciliter le passage des convois humanitaires, l’accès aux soins, à la nourriture, à des abris, à l’eau, à l’électricité, bref à ce qui relève de la vie la plus basique.
Les ONG et les agences onusiennes présentes dans la bande de Gaza n’ont pas noté d’amélioration. Au contraire, ces dernières ont publié le 21 février un communiqué commun intitulé « Les civils de Gaza sont en grand danger tandis que le monde regarde : dix conditions pour éviter une catastrophe encore plus grave ». Les mots claquent : « Les maladies sévissent. La famine menace. L’eau arrive au compte-gouttes. Les infrastructures de base ont été décimées. La production alimentaire s’est arrêtée. »
Camp de réfugiés palestiniens à Rafah, 24 février 2024. © Abed Zagout / Anadolu via AFP
Sur les réseaux sociaux se multiplient les appels à financement collaboratif en provenance de la bande de Gaza. Ici un musicien demande des milliers de dollars pour faire sortir sa femme et ses enfants de l’enclave. Comme l’a documenté une enquête du regroupement de journalistes d’investigation OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) et du média égyptien Saheeh Masr, des courtiers ou des agences de voyage égyptiennes fournissent un « ticket de sortie » pour lequel il faut débourser entre 4 500 et 10 000 euros par tête. Là, des personnes se mobilisent pour une famille, indiquant juste qu’elle a tout perdu et n’a plus de quoi vivre.
Un même sentiment d’urgence ressort des déclarations des acteurs humanitaires internationaux, exaspérés de leur impuissance et de la surdité volontaire d’Israël et de ses alliés, et des Gazaoui·es, qui ne savent plus vers qui se tourner.
À quoi ressemble la vie à Rafah ? De quoi sont faits les jours et les nuits dans ces quelques dizaines de kilomètres carrés où s’entassent, depuis déjà des mois, 1,4 million de personnes, souvent déplacées plusieurs fois ?
Des abris bricolés, des boîtes de conserve
« J’ai construit un abri avec des morceaux de bois, des bâches de plastique et du tissu, explique Adam, un jeune infirmier. C’est si dérisoire. » Il y vit avec ses parents, sa femme et ses deux petits garçons depuis qu’il a dû fuir Nousseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Avant cela, lui qui travaillait dans le département d’oncologie de l’hôpital Al-Shifa, avait déjà été déplacé de Gaza City.
Sur une courte vidéo envoyée le 24 février, il fait « visiter [sa] maison ». Au sol, posés directement sur le sable, des sacs en plastique pour l’isolation. Des matelas en mousse, des couvertures sont roulés dans un coin, les deux gamins assis dessus. Le plus petit, à peine plus de 1 an, ressemble à un bonhomme Michelin, tant il est engoncé sous des couches superposées de pulls. À côté, la tente de ses parents, de même facture. Et puis la « cuisine », un âtre creusé dans le sol, et la « salle de bains », qu’il s’excuse de montrer, un trou dans le sol derrière une bâche, et un jerricane pour se laver.
Il a presque de la chance, Adam. Il a un semblant de toilettes à côté de sa tente.
« Ma femme, mes filles, mes belles-filles, elles attendent la nuit tombée pour aller se soulager, parce qu’elles doivent se rendre jusqu’à la mosquée qui est à presque un kilomètre du camp. Dans la journée, il faut faire la queue longtemps », raconte Ismaïl. Dans cette société conservatrice où la pudeur est une valeur cardinale, se rendre aux toilettes et y attendre au vu et au su de tous est pour les femmes une humiliation. Même si les conditions de vie plus que précaires ont bouleversé les coutumes.
L’intimité est un luxe. Ismaïl, 73 ans, fonctionnaire de l’Autorité palestinienne à la retraite, a été déplacé deux fois, comme Adam, de Gaza City à Nousseirat, puis de Nousseirat à Rafah. Lui aussi a construit une tente, avec du bois, des bâches, des morceaux de tissu. Elle lui a coûté 1 700 shekels (433 euros). Elle abrite toute la famille, 25 personnes. Il pleut à l’intérieur.
Son nouveau chez-lui, lui et ses nouveaux voisins l’appellent le « camp de Siyam », du nom de la famille à laquelle appartient le terrain. Car partout à Rafah ont poussé des tentes, souvent bricolées. Une parcelle libre, un terrain vague avant la guerre, et voilà un camp. Il y a quelques semaines, de jeunes hommes sont allés récupérer des barbelés le long du mur frontalier avec l’Égypte. Ils voulaient ainsi protéger leur « camp ».
« On leur donne des noms, comme en 1948. À l’époque, on a appelé le rassemblement de tentes “camp de Shati”, parce qu’il était à côté du quartier Shati, “camp de Jabaliya” à côté du quartier de Jabaliya. Aujourd’hui, c’est pareil », soupire Rami Abou Jamous, un journaliste gazaoui lui aussi déplacé à Rafah. C’est en 1948 que la bande de Gaza, jusque-là provinciale et champêtre, a vu affluer des dizaines de milliers de personnes chassées de leurs villes et villages par les milices juives qui deviendront l’armée du jeune État d’Israël. Les abris bricolés d’aujourd’hui sont, dans l’esprit des Gazaoui·es, une terrible réminiscence.
Dans le « camp de Siyam », les habitant·es ont mis en place un comité. Il s’occupe de relever leurs besoins et d’organiser la collecte des biens de première nécessité, notamment la nourriture, auprès des ONG et surtout de l’UNRWA, l’agence onusienne d’assistance aux réfugiés palestiniens, principale pourvoyeuse d’aide dans la bande de Gaza aujourd’hui.