Depuis l’assaut brutal du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et l’invasion génocidaire de Gaza par Israël, on parle beaucoup de la possibilité d’une guerre régionale au Moyen-Orient, dans le contexte d’une administration américaine qui n’est pas disposée à appeler à un cessez-le-feu immédiat.
En tant que militante féministe socialiste irano-américaine ayant des liens avec des militant·es en Iran, aux États-Unis, en Israël et en Palestine, ces événements m’ont horrifiée, tant en raison de la brutalité et de la perte de vies humaines innocentes que de l’étouffement des voix des véritables progressistes.
Il se peut qu’une guerre plus large soit à nos portes avec les frappes militaires américaines du 2 février contre les forces iraniennes et les milices soutenues par l’Iran en Irak et en Syrie, qui ont tué 39 personnes, dont des civils, et les frappes américaines du 7 février à Bagdad, qui ont tué un haut dirigeant d’une milice soutenue par l’Iran et deux de ses escortes. Les dernières frappes américaines sont une réponse à une attaque de drone menée par des milices irakiennes soutenues par l’Iran contre une base américaine en Jordanie, qui a tué trois soldats américains et en a blessé des dizaines d’autres. Le gouvernement iranien a mis en garde contre des représailles.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont également lancé une nouvelle série de frappes contre les milices houthies au Yémen, en réponse aux attaques des Houthis contre des navires commerciaux et militaires en mer Rouge. Les Houthis affirment à leur tour qu’ils ont lancé leurs attaques en solidarité avec les Palestinien·nes.
Les attaques de drones et de missiles menées par l’Iran et ses milices contre des cibles américaines dans la région se poursuivent depuis plusieurs années, dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement iranien depuis des décennies pour s’affirmer comme une puissance régionale. Le gouvernement iranien fournit une assistance militaire, logistique et autre au Hamas, aux milices chiites en Irak, aux milices houthies au Yémen, au Hezbollah au Liban et au gouvernement de Bachar Assad en Syrie.
Dans le même temps, les États-Unis fournissent à Israël une aide militaire de 3,8 milliards d’euros par an, vendent des armes à l’Arabie saoudite, à l’Égypte et à d’autres régimes arabes, et disposent de bases militaires dans la région, notamment au Qatar, à Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, ainsi que de plus petits avant-postes dans d’autres parties du monde. Les troupes américaines ont occupé l’Afghanistan de 2001 à 2021. Les troupes américaines ont également occupé l’Irak de 2003 à 2011. La Russie est également un important fournisseur d’armes pour divers États de la région, dont l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie. Elle dispose d’une base navale et de forces terrestres en Syrie. Elle soutient également la production de missiles et de drones par l’Iran, des armes que la Russie a utilisées lors de son invasion de l’Ukraine.
Depuis plus de quatre décennies, la République islamique d’Iran utilise l’antisémitisme et son opposition à l’impérialisme américain et à l’occupation israélienne comme moyen de promouvoir ses propres ambitions impérialistes régionales, qui impliquent des objectifs économiques, idéologiques et stratégiques, et qui ont entraîné l’exploitation de la classe ouvrière et des peuples opprimés de la région. En 2018, dans un discours public, le président Rouhani a déclaré clairement que les frontières stratégiques de l’Iran sont le sous-continent indien à l’est, le Caucase au nord, la mer Rouge au sud et la Méditerranée à l’ouest.
Toutefois, avant la création de la République islamique en 1979, l’agression d’Israël contre le peuple palestinien et son refus de reconnaître le droit des Palestinien·nes à l’autodétermination avaient créé l’une des plaies les plus profondes de la région. L’occupation des terres palestiniennes, qui dure depuis 56 ans, a fourni un ennemi extérieur que les dirigeants autoritaires de la région ont utilisé pour dissimuler les contradictions internes de l’exploitation de classe, du patriarcat, du racisme et d’autres formes de préjugés et de domination qui existent dans chaque pays.
Le monde a commencé à voir les masses populaires du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord remettre en question certaines de ces contradictions internes lors du printemps arabe de 2011, du soulèvement syrien de 2011 et de la vague de protestations de 2019 au Soudan, en Algérie, en Irak, au Liban et en Iran. Toutefois, ces efforts ont été écrasés par des régimes autoritaires. Le régime d’Assad – qui a brutalement écrasé le soulèvement syrien de 2011 et détient plus de 100 000 personnes dans ses prisons, où la torture à l’échelle industrielle a été documentée – continue de prétendre qu’il soutient les Palestinien·nes alors qu’en réalité il a réprimé la population palestinienne en Syrie qui a défendu le soulèvement de 2011. Divers dirigeants arabes, iraniens et turcs, qui prétendent également défendre l’autodétermination des Palestinien·nes, ont brutalement écrasé les populations kurdes dans leur pays en raison de la demande d’autodétermination des Kurdes.
Le mouvement « Femme, vie, liberté » qui a émergé en Iran à l’automne 2022 a été une lueur d’espoir pour l’ensemble de la région. Les femmes et les hommes qui ont manifesté pendant des mois et ont été arrêté·es, tué·es, aveuglé·es et violées ne demandaient pas seulement la fin du hijab obligatoire. Elles et ils réclamaient le droit des femmes à disposer de leur corps, le droit à une éducation fondée sur l’esprit critique, la fin de la peine de mort, les droits des minorités nationales opprimées et les droits du travail. Elles et ils s’opposaient au fondamentalisme religieux, à la violence entre les sexes et l’État, au militarisme et à l’impérialisme, et appelaient à une coexistence pacifique avec les autres États de la région. Plusieurs déclarations de participant·es à ce mouvement ont appelé à dépasser les divisions ethniques, religieuses et de genre utilisées par les régimes autoritaires de la région.
Le contenu affirmatif du mouvement « Femme, vie, liberté » est également visible dans les efforts inlassables de Narges Mohammadi, la militante féministe iranienne des droits de l’homme qui a reçu le prix Nobel de la paix en octobre 2023. À l’exception d’une pétition de PEN America demandant sa libération, elle a été relativement peu couverte par les médias occidentaux, et peu de rapports en langue anglaise ont mentionné sa déclaration de prison concernant la Palestine et Israël, qui condamnait « les agressions contre les sans-abri, le massacre d’enfants, de femmes et de civil·es, les prises d’otages, [et] le bombardement d’hôpitaux, d’écoles et de zones résidentielles ». Mohammadi demande « un cessez-le-feu immédiat, la fin de la guerre… le respect des droits des êtres humains et la création des conditions d’une coexistence pacifique des peuples ».
Face à la résistance continue des féministes comme Mohammadi, à la résistance des jeunes dans les prisons, les écoles et les rues, et à la résistance des travailleurs et des travilleuses, des enseignant·es, des infirmières, des minorités nationales, des retraité·es et des personnes handicapées, le gouvernement iranien a intensifié sa répression. Il a imposé une loi sur le hijab et la chasteté qui a sévèrement alourdi les peines infligées aux femmes qui ne portent pas le « hijab approprié ». Il a exécuté davantage de jeunes Kurdes, Baloutches et Arabes, y compris des jeunes arrêtés lors des manifestations « Femme, vie, liberté ». L’Iran a le deuxième taux d’exécution le plus élevé après la Chine.
Les dissident·es iranien·nes, qu’iles soient en prison ou non, entament à leur tour une grève de la faim pour s’opposer à la peine de mort. Les grévistes de la faim, les féministes et d’autres dissident·es ont écrit des lettres ouvertes à Nada al-Nashif, haut-commissaire adjoint des Nations unies aux droits de l’homme, lui demandant d’annuler son voyage en Iran parce qu’elle ne serait pas autorisée à rencontrer les prisonnier·es politiques et les familles des personnes exécutées. Elle serait également contrainte de porter le hijab. Les signataires des lettres ouvertes adressées à Mme al-Nashif souhaitaient qu’elle attende les résultats d’une mission d’enquête de l’ONU sur les meurtres et les viols commis par le gouvernement iranien à l’encontre des manifestants du mouvement « Femme, vie, liberté ». Au lieu de cela, elle a poursuivi son voyage et a annoncé qu’il ne s’agissait pas d’une mission d’enquête visant à rendre visite aux prisonnier·es et à leurs familles, mais d’un voyage officiel destiné à rencontrer les responsables de la République islamique.
Les forces progressistes en Iran n’appellent pas à des visites officielles occidentales pour rencontrer les dirigeants du gouvernement ou à une intervention militaire américaine. Elles tendent horizontalement la main aux forces progressistes de base du monde entier pour obtenir un soutien moral et matériel dans leur lutte contre le militarisme, l’autoritarisme et le fondamentalisme religieux.
Compte tenu des mouvements de guerre actuels et de l’intensification de la confrontation entre les États-Unis et l’Iran, il est extrêmement important que ceux qui s’opposent à l’impérialisme américain et à la guerre d’Israël contre Gaza s’opposent simultanément aux frappes américaines dans la région, exigent un cessez-le-feu à Gaza et défendent la lutte en cours pour les droits des femmes et les droits des êtres humains en Iran.
Les militant·es progressistes en Iran travaillent dur pour s’opposer à la peine de mort et à l’incarcération de masse, pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps et pour défendre les droits des Kurdes, des Baloutches et des minorités nationales arabes, ainsi que des minorités religieuses telles que les Baha’is et les migrant·es afghan·es en Iran. Elles tendent la main aux femmes afghanes qui résistent aux talibans et aux autres forces religieuses fondamentalistes en Afghanistan. Leur travail est essentiel pour détourner le Moyen-Orient de l’autoritarisme et de la guerre.
Les progressistes américain·es qui partagent ces objectifs peuvent commencer par se joindre à l’appel à la libération de Narges Mohammadi et de tous les prisonnier·es politiques. Mais plus largement, elles et ils peuvent s’efforcer de relier horizontalement ces luttes au mouvement américain contre la violence sexiste et la violence d’État, au mouvement abolitionniste contre l’incarcération de masse, au mouvement pour les droits à la reproduction et à l’avortement, ainsi qu’à la lutte actuelle contre le militarisme.
Frieda Afary