Paul Blanquart nous a quitté. Nous ressentons une grande tristesse. Il a tellement apporté à toutes celles et tous ceux qui l’ont connu et accompagné !
La voix de Paul était puissante. Il savait la mettre au service des engagements et des luttes. Il aimait aussi s’engager dans des discussions vives pour partager et pour convaincre. Paul était un homme d’engagement complet et total. Il savait discuter, il savait écouter et mettre sa grande culture et son savoir philosophique au service de ses engagements.
La vie de Paul était intense et engagée. Paul était un chrétien marxiste. La contradiction ne l’effrayait pas ; elle lui permettait d’explorer des voies nouvelles. Et quand il s’engageait, il était prêt à aller jusqu’au bout de ses engagements. En 1966, il s’engage pour la libération du peuple vietnamien. En 1968, au Congrès culturel de La Havane, il fait partie des quatre prêtres catholiques présents qui, signeront un manifeste qui déclare que « malgré les divergences existantes entre le christianisme et le marxisme sur l’interprétation de l’homme et du monde, c’est le marxisme qui donne l’analyse scientifique la plus exacte de la réalité impérialiste et des stimulants les plus efficaces pour l’action révolutionnaire des masses ». Après mai 1968, il s’engage avec les dominicains les plus engagés comme Jean Raguenès, secrétaire général des LIP en autogestion et Henri Burin des Roziers, l’avocat des sans terres brésiliens. A LIP, il rencontrera Alain Desjardins engagé dans la lutte du Larzac et dans la coopérative LIP. Il travaillera avec Henri Desroches, un des animateurs de l’éducation populaire et le fondateur du Collège coopératif de Paris.
Paul était un homme de grande culture et il savait mobiliser sa culture au service de ses engagements. Il avait participé très activement à l’aventure de Politique Hebdo, de 1970 à 1976 et il avait contribué à donner à ce journal engagé et militant une ouverture culturelle remarquable. En 1978 et 1979, il participe à La gueule ouverte. Il est très sensible à l’importance des rapports entre la culture et la science. De 1982 à 1984, il dirigera le Centre de création industrielle du Centre Pompidou.
Paul aimait écrire et il écrivait très bien. Il a produit un nombre d’articles considérables et plusieurs livres, souvent collectifs. Parmi lesquels Politique et prophétisme, mai 1968, en 1968. En Batardise, itinéraire d’un chrétien marxiste, en 1981 ; Autonomie de l’individu, sens et représentations du politique avec François Pierre Boursier, Joel Cadiere et Pierre Merle, en 2010. Il a publié, en 1997, aux Editions La Découverte, un livre très important et auquel il tenait beaucoup : Une histoire de la ville. Pour repenser la société. Il y décortique les plans urbains qu’il présente comme un système de représentation culturelle. Il amorce une réflexion qui occupera une grande place dans sa pensée sur les rapports entre les luttes sociales et les luttes écologistes.
Paul Blanquart était souvent interrogé sur la théologie de la libération qu’il avait accompagné en Amérique Latine. Il n’hésitait pas à en discuter les fondements et c’était un de ses meilleurs connaisseurs. Nous l’interpellions souvent sur ce thème et il partait alors sur de longs développements sur les rapports entre la religion, la philosophie et la politique. Ces derniers temps nous étions interpellés, et nous en discutions souvent, de la montée des extrêmes-droites dans le monde.
Nous discutions beaucoup, avec Paul, de la question des religions et des alliances stratégiques. J’insistai beaucoup sur ma découverte, au temps du PSU, de l’alliance entre les courants marxistes et la gauche chrétienne. Paul avait sa longue histoire de chrétien marxiste. Nous réfléchissions à la nouvelle période. Les nouvelles droites se sont reconstruites à partir des courants intégristes dans les religions. L’échec du projet socialiste et communiste a créé un vide sur la question du sens de l’Histoire, et par extension du sens de la vie. Les religions et les spiritualités s’en sont emparées. Le marxisme sur cette question avait été rapide dans ses jugements. Si on reprend le texte de Marx sur la religion, la première partie sur « le soupir des peuples opprimés » proposait une analyse percutante ; la fin du texte, « la religion est l’opium du peuple » correspondait à la période de montée en puissance de la bourgeoisie. Dans les luttes pour la décolonisation, des approches plus complètes ont été proposées. Que l’on pense à la théologie de la libération en Amérique Latine, à la place des courants musulmans dans la lutte du mouvement de libération algérien. De même aujourd’hui, différents courants religieux populaires jouent un rôle important dans la création de la Via Campesina.
Les nouvelles droites se sont imposées dans chacune des religions en s’appuyant sur les intégrismes. Que l’on pense à l’islamisme radical dans l’islam ; aux catholiques intégristes, malgré la divine surprise du Pape François ; aux évangélistes et aux pentecôtistes extrêmes chez les protestants ; aux juifs intégristes dans le sionisme ; aux hindouistes de Modi ; aux boudhistes extrêmes en Birmanie ; sans oublier les laïcards chez les athées. Il faut repartir du débat dans chacune des religions entre les extrêmes et les tenants d’une universalité solidaire. Nous pouvons mobiliser dans chaque religion des personnes qui sont engagées dans des politiques d’ouverture et d’émancipation. En donnant la parole à celles et ceux qui s’opposent aux divers intégrismes et à leurs prolongements vers les extrêmes-droites. C’est une alliance de long terme, analogue à celle qui avait relié les mouvements de libération nationales et les mouvements communistes pendant la première phase de la décolonisation.
Paul par son engagement, sa réflexion, son amour du débat nous a beaucoup apporté et continuera à nous soutenir. Il avait la curiosité de l’engagement qu’il développait dans son travail avec la Fondation Un monde par tous qui était devenu, avec Patrick et Régine, son engagement continu. Paul restera présent dans nos mémoires et dans nos cœurs et continuera de nous inspirer.
gustave massiah
ipam,
7 février 2024