De nombreuses mesures de politique sociale et environnementale sont désormais sur la sellette. Il en va de même pour les dépenses massives en faveur de l’industrie, comme les subventions publiques pour les entreprises fortement consommatrices d’énergie et le soutien aux grands groupes producteurs de puces électroniques. Pourtant, selon toute expérience, ces mesures devraient perdurer. Finalement, elles ne bénéficient pas seulement du soutien de Habeck et des industriels, mais aussi de représentants de l’opposition conservatrice. Ainsi, l’ancien ministre de la santé Spahn veut supprimer l’augmentation prévue de l’allocation citoyenne et la mesure sur le financement du chauffage. Selon lui, l’argent ainsi économisé par le gouvernement devrait plutôt servir à renforcer l’économie et à accorder des subventions aux usines de puces électroniques dont la construction est prévue à Magdebourg et à Dresde.
Jusqu’à en perdre toute vergogne
Les subventions prévues par le gouvernement de coalition pour l’industrie dépassent de loin tout ce que l’on aurait pu imaginer. Il y a tout d’abord un cercle privilégié de 350 entreprises grandes consommatrices d’électricité qui sont particulièrement choyées. Pour ces grands groupes, la taxe sur l’électricité et les redevances pour l’utilisation des réseaux doivent être réduites. De plus, elles recevront une nouvelle compensation tarifaire pour les cinq prochaines années.
En outre, il y a encore un petit groupe de 90 entreprises particulièrement énergivores qui, sous le label « super-cap », recevront des cadeaux financiers supplémentaires de la part de l’Etat. Selon le journal Handelsblatt, ces groupes devraient recevoir des aides financières de 28 milliards d’euros d’ici 2028. Si l’on ajoute à ces subventions le supplément pour les frais de réseau et la suppression déjà effective de la charge de soutien aux énergies renouvelables électriques, on obtient une véritable « douche chaude » de 76 milliards d’euros - rien que jusqu’en 2028.
Selon le ministère fédéral de l’économie, le prix de l’électricité pour les entreprises à forte consommation d’énergie baissera donc à moins de 6 centimes par kilowattheure. Les secteurs moins privilégiés de la société ne peuvent qu’en rêver. C’est ainsi que l’électricité pour les pompes à chaleur, importante sur le plan écologique, coûte presque cinq fois plus cher et que le tarif pour les particuliers dépasse même les 40 ct/kWh.
En plus de la réduction du prix de l’électricité industrielle, le gouvernement de coalition entend également subventionner l’industrie des puces électroniques de manière éhontée. Il est prévu de lui faire des cadeaux à hauteur de 20 milliards d’euros. Le groupe américain Intel devrait recevoir dix milliards d’euros pour l’implantation d’une nouvelle usine à Magdebourg. Juste derrière, on trouve le groupe taïwanais TSMC, à qui l’on a promis 5 milliards d’euros pour une nouvelle usine à Dresde.
A cela s’ajoutent des subventions publiques d’un milliard d’euros pour une nouvelle usine d’Infineon à Dresde et de 0,7 milliard pour une nouvelle usine de semi-conducteurs du fabricant de puces Wolfspeed dans la Sarre. Les responsables politiques de la coalition expliquent à un public dubitatif de quoi il s’agit : l’Allemagne doit devenir un des centres de l’industrie mondiale des semi-conducteurs. « Nous avons besoin de semi-conducteurs, de beaucoup de semi-conducteurs, de semi-conducteurs et encore de semi-conducteurs ». Telle est la déclaration de haute teneur intellectuelle du chancelier fédéral SPD.
La consommation de plastique subventionnée
De nombreux électeurs du gouvernement de coalition ne comprennent pas pourquoi ces entreprises se voient gratifiées de moyens financiers aussi importants. Chez Habeck, des Grünen, on peut supposer au premier abord des motifs écologiques. Selon son argumentation, il faut des prix de l’électricité bas pour permettre la conversion écologique de l’industrie. Mais on en est très loin. Il suffit de jeter un coup d’œil aux entreprises qui bénéficient de cette manne financière.
Il s’agit des groupes chimiques, des secteurs de l’acier et de l’aluminium, de l’industrie du ciment ainsi que des fabricants de verre et de papier. Toutes ces entreprises ont un point commun : une consommation d’énergie élevée et des émissions de CO2 énormes. A cela s’ajoute, pour beaucoup d’entre elles, une gamme de produits extrêmement contestable sur le plan écologique. Les groupes chimiques, par exemple, consacrent la majeure partie de leur consommation d’énergie à la production de matières plastiques. La majeure partie de ce plastique se retrouve dans des emballages éphémères, dans les équipements intérieurs et dans les pneus du parc automobile allemand, qui compte aujourd’hui près de 60 millions de voitures. Au lieu d’en encourager la réduction, sa consommation en est même subventionnée grâce au prix de l’électricité industrielle.
La production d’engrais azotés par les grandes entreprises de la chimie, intensive en électricité, est également critiquable. D’abord, les champs sont saturés d’engrais, ensuite ce sont les éléments azotés qui s’infiltrent peu à peu dans les nappes phréatique dans des combinaisons toxiques. Ou bien ils se retrouveront dans la mer via les rivières. Aujourd’hui, des parties entières de la mer Baltique sont devenues des zones quasiment stériles, dépourvues d’oxygène en raison de l’apport continu d’engrais. Au lieu de promouvoir une agriculture alternative, le gouvernement subventionne la production d’engrais azotés.
L’industrie de l’aluminium profite également de la baisse des prix de l’électricité industrielle. Mais la plus grande partie du métal léger et des alliages est destinée à la production automobile allemande. Les carrosseries de plus en plus lourdes et volumineuses doivent ainsi perdre un peu de leur poids. On pourrait immédiatement mettre fin à cette subvention absurde en imposant une taxe pénalisante drastique sur la fabrication des SUV.
La situation est un peu différente en ce qui concerne la production d’acier. Cette matière première est aujourd’hui utilisée d’une part pour une production automobile en pleine expansion, mais elle est d’autre part également très utile pour le développement futur de l’infrastructure ferroviaire ou pour la fabrication d’éoliennes.
Toutefois, si l’on injecte de grosses quantités d’argent du contribuable dans les groupes sidérurgiques, il n’est pas acceptable qu’un groupe comme Thyssen-Krupp tente parallèlement de vendre son activité sidérurgique au plus offrant. Si ces groupes sont nourris par l’argent public, il faut veiller, en contrepartie, à ce que des droits de propriété soient transférés à la société. Ce ne serait que justice.
Le numérique - la grande bataille
Un autre secteur soutenu à coups de milliards par le gouvernement de coalition, c’est l’industrie des semi-conducteurs. La numérisation est ainsi encouragée, car c’est la grande bataille du capitalisme au 21e siècle. Le capitalisme allemand veut en être à la pointe.
Les grandes entreprises du pays misent sur l’Internet des objets. À l’aide de microcontrôleurs, les biens de consommation, les équipements techniques et les machines sont dotés de fonctions de plus en plus intelligentes. Et tout sera connecté à tout. Les groupes automobiles adhèrent également à cette perspective. Les véhicules doivent communiquer avec Internet, avec des feux triclolores intelligents, avec des systèmes de gestion de la circulation et entre eux. Les voitures hautement et entièrement autonomes en sont un élément.
Pour y parvenir, les véhicules, les feux de signalisation et les systèmes de guidage sont bourrés de micro-ordinateurs, de transmetteurs, de caméras numériques et de capteurs. De la même manière, tous les autres domaines doivent être intégrés dans la numérisation : Les environnements industriels, les chaînes d’approvisionnement, les plates-formes de distribution ou les achats en ligne. Cela explique la promotion des géants du secteur des puces électroniques à coups de milliards. Tous les grands partis sont enthousiastes et n’y voient que des avantages. Les problèmes sont tout simplement occultés. Mais quels sont-ils ?
L’industrie automobile, tout particulièrement, est au cœur de la numérisation. Aujourd’hui déjà, les composants de commande électroniques représentent environ 30 pour cent du coût total des véhicules. Leur système informatique se compose de circuits imprimés, de capteurs et aussi d’actionneurs. Ils contiennent un grand nombre de matières premières problématiques : des terres rares, des platinoïdes, du cobalt ou des semi-conducteurs. Les quantités sont considérables. Pour s’en convaincre, il suffit de transposer une étude réalisée en Suisse aux véhicules de notre pays : on arrive alors à 90 millions de tonnes de ces matériaux critiques dans le parc automobile allemand.
Selon l’Öko-Institut, la part de matières premières critiques dans les voitures les plus récentes est même deux fois plus importante. Les conséquences sur le plan écologique sont considérables : l’extraction de ces matériaux rares nécessite le bouleversement de territoires entiers. Cela entraîne des destructions massives de l’environnement qui s’accompagnent d’une forte consommation d’énergie.
30 pour cent de l’électricité pour les seuls centres de calcul ?
Mais qui veut promouvoir les usines à puces et la numérisation doit aussi supporter d’autres conséquences. Ainsi, de plus en plus de centres de données sont mis en service en Allemagne. Ce sont les lieux où le « cloud » a son siège physique. On y consomme une quantité particulièrement importante d’électricité - avec une tendance à la hausse rapide. Le directeur général de Cisco Allemagne a récemment souligné dans un article pour le journal Handelsblatt que les centres de données pourraient consommer jusqu’à 30 % de l’électricité totale d’ici quelques années. Le principal moteur de cette augmentation est la soif d’énergie croissante des nouvelles technologies d’intelligence artificielle.
Ces dernières années, des scientifiques ont souligné avec une insistance toujours plus grande que de plus en plus de secteurs du système écologique terrestre dépassent un seuil critique. La promotion effrénée de l’industrie par le gouvernement fédéral ne tient aucun compte de tout cela, tant en ce qui concerne la réduction du prix de l’électricité industrielle que la construction de nouvelles usines de puces électroniques.
Le ministre vert de l’Économie ne veut pas voir que la raison de la crise environnementale mondiale est la saturation de notre planète sous de multiples formes. Et que la réponse ne peut pas consister en une nouvelle accélération de la croissance économique, mais uniquement en un démantèlement contrôlé et planifié de la production et des infrastructures.
Klaus Meier