Le président de la République a nommé, jeudi 11 janvier, une nouvelle équipe ministérielle teintée par la continuité, ancrée à droite et marquée par l’arrivée de Rachida Dati, l’ancienne garde des Sceaux désormais chargée de la culture. Seuls onze ministres de plein exercice et trois ministres délégués ont été annoncés, en attendant une deuxième salve de nominations prévue ultérieurement.
À rebours des promesses de « régénération » d’Emmanuel Macron, les ministres les plus importants conservent leur poste. Ainsi, Bruno Le Maire (économie et finances), Gérald Darmanin (intérieur), Sébastien Lecornu (armées) et Éric Dupond-Moretti (justice) seront toujours les « poids lourds » d’un gouvernement où continuent également de figurer Christophe Béchu (transition écologique) et Marc Fesneau (agriculture).
En tout, ce sont déjà dix ministres du dernier gouvernement d’Élisabeth Borne qui composent le premier gouvernement de Gabriel Attal. Amélie Oudéa-Castéra, jusque-là ministre des sports, récupère le portefeuille stratégique de l’éducation nationale et de la jeunesse, laissé libre par le nouveau premier ministre. Le tout donne l’impression d’un grand jeu de chaises musicales et révèle l’indigence du vivier dont dispose le chef de l’État.
Stéphane Séjourné, Gérald Darmanin, Gabriel Attal, Bruno Le Maire, Rachida Dati et Éric Dupond-Moretti. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart
À défaut de renouvellement, Emmanuel Macron continue de s’appuyer sur le noyau très masculin qui l’accompagne depuis plusieurs années. L’énumération vient percuter les promesses sur la « grande cause » du quinquennat que serait l’égalité hommes-femmes : à compter de ce soir, le premier ministre, le ministre de l’intérieur, le ministre de l’économie, le ministre de la justice, le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères sont tous des hommes.
La précédente cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, est remerciée au profit de Stéphane Séjourné, le patron du parti Renaissance. Aurore Bergé, jusque-là ministre des solidarités, est rétrogradée au rang de ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Parmi les onze ministres, sept sont des hommes. Pour donner l’apparence d’une parité, l’Élysée a ajouté trois ministres déléguées à cette première liste ; toutes des femmes, toutes placées sous la tutelle de Gabriel Attal.
L’autre élément distinctif de ce nouveau gouvernement est son ancrage à droite, plus que jamais depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. En plus d’Élisabeth Borne, deux ministres issus de la gauche quittent l’exécutif : Olivier Dussopt, le ministre du travail, affaibli par la réforme des retraites et menacé d’une condamnation judiciaire le 17 janvier, ainsi que Rima Abdul Malak, la ministre de la culture, humiliée publiquement par le chef de l’État dans l’affaire Depardieu.
Dati, l’arrivée sous la menace d’un procès
À leur place arrivent deux anciennes ministres de droite. Catherine Vautrin, la présidente (Horizons) de l’agglomération de Reims, est nommée ministre du travail, de la santé et des solidarités. Un grand ministère du social qui avait été proposé, dans des contours quasi similaires, à Gérald Darmanin. L’ancienne ministre de Jacques Chirac (2004-2007) finit donc par rejoindre le gouvernement d’Emmanuel Macron, elle qui avait été à deux doigts d’être nommée première ministre en mai 2022.
Mais la plus grosse surprise du remaniement s’appelle Rachida Dati. L’ancienne ministre de la justice de Nicolas Sarkozy hérite du portefeuille de la culture, une nomination que personne n’avait vue venir et qui laissait pantois, jeudi soir, les conseillers de l’exécutif et élus interrogés par Mediapart. « J’en suis très heureux, a défendu Gabriel Attal au journal télévisé de TF1. C’est une femme qui ne laisse personne indifférent parce qu’elle est une femme d’engagement, d’énergie. Toute sa vie, elle s’est battue pour obtenir ce qu’elle voulait. »
Cheffe de file de l’opposition de droite à Paris, également maire du VIIe arrondissement de la capitale, Rachida Dati a eu ces dernières années des mots durs contre le président de la République et ses soutiens, « des traîtres de droite et des traîtres de gauche ». Dès l’annonce de sa nomination, elle a été exclue du parti Les Républicains (LR) auquel elle appartenait depuis deux décennies.
Sa nomination interpelle d’autant plus que Rachida Dati est mise en examen depuis 2021 pour « corruption » et « trafic d’influence passif par personne investie d’un mandat électif public ». Elle est sous la menace d’un procès, le Parquet national financier (PNF) devant livrer ses réquisitions dans les semaines ou les mois à venir. « Dans notre justice, il y a un certain nombre de grands principes, dont la présomption d’innocence, a balayé Gabriel Attal. Une mise en examen n’est pas une condamnation. »
Pour le premier ministre, attirer Rachida Dati au gouvernement n’est pas dénué d’intérêt politique. L’ancienne ministre de la justice est la principale opposante à Anne Hidalgo, candidate déclarée aux élections municipales de 2026 à Paris… que surveille aussi de près Gabriel Attal. Alors que l’alliance entre le camp présidentiel et la droite est un serpent de mer de la politique parisienne, difficile de ne pas lire cette nomination à ce prisme.
Un pouvoir en manque d’oxygène
Au-delà du cas Dati, l’ancrage de ce nouveau gouvernement est un pas supplémentaire dans la longue marche entamée par Emmanuel Macron sur les terres de la droite. Du point de vue de Nicolas Sarkozy, le casting a même quelque chose d’émouvant : son ancien conseiller économique, Emmanuel Moulin, est le nouveau bras droit du premier ministre, à la tête d’un gouvernement où ses anciens amis et soutiens ont définitivement pris le pouvoir.
S’il a le mérite de mettre en cohérence les orientations politiques de celles et ceux qui les incarnent, ce nouveau coup de barre ne paraît pas d’un immense intérêt stratégique. La majorité présidentielle est toujours relative à l’Assemblée nationale et recruter Rachida Dati ou Catherine Vautrin ne fera bouger aucun député de l’opposition. Pire, le pouvoir prend le risque de braquer LR, pourtant indispensable au Palais-Bourbon. « Je déplore les tambouilles politiciennes et les débauchages individuels », a cinglé Éric Ciotti, le président du parti, dans la foulée du remaniement.
Pour un président de la République qui cherchait un nouvel élan, au terme d’une année marquée par la réforme des retraites, la révolte des quartiers populaires et la loi immigration, l’affaire semble mal amorcée. Deux jours à peine après la nomination à Matignon d’un ministre jeune et apparemment populaire, la composition du gouvernement révèle l’étonnante stabilité d’un pouvoir en manque d’oxygène.
La promesse d’un nouveau « rendez-vous avec la nation » et la surprise Rachida Dati peineront donc à cacher l’essentiel. Emmanuel Macron continue avec le même entourage, le même secrétaire général, les mêmes ministres principaux et la même ligne politique. Le maigre changement n’est pas vraiment à son avantage. Contrairement à sa prédécesseuse, portée par un programme – même sommaire –, Gabriel Attal arrive avec une feuille de route encore floue. La perspective des Jeux olympiques, censés donner un élan à l’exécutif, semble encore très lointaine.
Ilyes Ramdani