On connait tous la vieille histoire du syndrome de la grenouille. Plongez une grenouille dans un marmite d’eau froide, faites-la chauffer à feu doux. A la fin , elle explose. A aucun moment elle n’aura tenté de sauter. Bien sûr au bout d’un moment, elle aura bien senti que l’eau était un peu trop chaude mais en fait ce sera déjà trop tard.
En tant que grenouille dans la marmite, je le dis, dans la nuit du mardi 19 décembre au mercredi 20 décembre, ce qui s’est passé autour de la loi Darmanin-LR-RN est un point de non-retour. Si la loi est promulguée, alors c’est en effet les valeurs minimales d’égalité et de fraternité qui seront bafouées.
Nous qui accompagnons les plus fragiles - entendez par là, les exilé.es, réfugié.es, étranger.es - nous observons jour après jour et depuis plusieurs années, les dégâts d’une politique folle qui prive de droits, enfants, jeunes, familles, étudiant.es, personnes âgées, malades, travailleuses et travailleurs. Et les caps de l’inhumanité administrative sont passés degré par degré créant des clandestins, des sans-droit , des miséreux.
Il serait trop long de faire la liste de tout ce que la loi contient comme injustices. Les procédures de régularisation sont encore restreintes et le cap est passé en ce que les étrangers en situation régulière sont eux aussi soumis à des mesures scandaleuses. Les puissants légifèrent pour prendre les dernières miettes à celles et ceux qui n’avaient déjà rien. Avec ce rien, on ne remplira aucune caisse de l’Etat mais ce n’est pas grave, ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est de montrer aux yeux d’une population soi-disant d’accord que nous faisons régner un soi-disant ordre contre des soi-disant profiteurs.
A coup de chiffres, d’enquêtes, d’arguments, les spécialistes des migrations, jour après jour expliquent qu’il n’y a pas de « crise migratoire » et que l’immigration rapporte plus que ce qu’elle coûte. Je ne reprendrai pas ces explications, mais j’ai choisi trois exemples pour expliquer qu’aucun migrant, aucune migrante ne traverse les déserts, les mers et les frontières pour l’AME ou pour finir sa vie avec une aide sociale. Aucune mère ne met au monde un enfant pour toucher des allocations familiales. Aucun jeune ne vient chez nous pour devenir un délinquant. NON et encore NON.
Premier exemple. « La France respecte le droit du sang et le droit du sol. » Voilà ce que nous disons , nous, professeurs d’EMC à nos élèves. Et bien avec cette loi, ce ne sera plus le cas. Il y aura donc deux catégories d’enfants. Celles et ceux qui seront né.es avec des parents étrangers devront faire une « demande expresse » pour devenir français. Et pour justifier cette décision, on nous explique que déjà sous Pasqua, c’était ainsi et qu’il y a des restrictions à Mayotte. Comme si les injustices passées ou d’ailleurs justifiaient les injustice de chez nous.
Deuxième exemple. Vivre avec des problèmes de papiers est un long chemin de peurs et d’injustices. Lors de la première vague de COVID, mon père qui n’est plus tout jeune est tombé malade. Alors que je l’avais au téléphone, il me dit : « Si ça tourne mal, tu sais où sont les clefs du coffre ? ». Dans ce coffre, il doit sans doute y avoir une petite enveloppe avec quelques billets mais surtout il y a les PAPIERS, ceux qui prouvent que nous sommes bien français. C’est à cela que pensait mon père entre deux quintes de toux.
Troisième exemple. Le Réseau éducation sans frontière, auquel j’appartiens, tient des permanences pour permettre la scolarisation qui est un droit universel. Dans ces permanences, nous recevons des jeunes qui nous arrivent les mains et le ventre vides. Quand on leur demande ce qu’ils ou elles veulent, ils nous répondent : « une formation ». Ils le demandent dans toutes les langues. A la dernière permanence, à un jeune homme de vingt-trois ans, je réponds « Désolée, Monsieur, vous êtes trop âgé pour obtenir une place à l’école ». Ses yeux se remplissent de larmes. Il venait d’arriver à Marseille, dormait à la rue. Il avait sans doute faim et avait attendu deux heures dans un froid glacial pour s’entendre dire « Désolé Monsieur, vous êtes trop âgé ». Alors il ajoute : « j’ai fait la route pendant sept ans et j’arrive trop tard ». Et lorsque je lui ai proposé des affaires scolaires, il m’a remerciée, prenant dans son sac à dos les cahiers de CP de la Mairie et des crayons-papier et me remerciant. « Il faut que j’apprenne à lire et à écrire. »
Qui peut penser qu’un jeune homme qui part avec des cahiers et des stylos dans son sac à dos est venu pour voler le pain des français ? Qui peut penser cela ?
A la première, à la deuxième, à la troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigré.es !
Il faut nous en souvenir et refuser le sort qui nous est fait.
En tant que grenouille dans la marmite, je vous le dis, l’eau est déjà très chaude.
Signez la pétition.