C’est un texte bien étrange qui a été publié ce matin à la clôture de la COP28. Un accord qui laisse transparaître les contorsions diplomatiques qui ont été nécessaires pour obtenir une approbation par consensus de près de deux cents pays.
Après des négociations prolongées jusque tard dans la nuit à Dubaï, les pays se sont accordés autour d’une version définitive du Global Stocktake, une réponse technique et politique du tout premier « bilan global » de la mise en œuvre de l’accord de Paris de 2015 et publié par l’ONU en septembre dernier. Ce mécanisme d’évaluation, prévu tous les cinq ans, doit servir à redéfinir une feuille de route pour le renforcement des plans climat nationaux afin de garder la limitation du réchauffement à + 1,5 °C à portée de main.
Dans ce Global Stocktake, les États « appellent » à « une transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, organisée et équitable, en accélérant l’action climatique dans cette décennie critique, de manière à atteindre la neutralité d’ici à 2050 ».
L’entrée de la séance plénière de la COP28, à Dubaï, le 13 décembre 2023. © Photo Peter Dejong / AP via Sipa
Une formulation bien éloignée de celle, plus ambitieuse, portée notamment par l’Union européenne, le Costa Rica ou la Colombie qui défendaient « une sortie juste et coordonnée des énergies fossiles ». C’est que la combustion de charbon, de pétrole et de gaz est à l’origine de près de 90 % des émissions mondiales de CO2.Et le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) martèle depuis trois décennies que la « réduction substantielle » des énergies fossiles fait partie des moyens les plus efficaces pour contenir le réchauffement. Mais tout au long des pourparlers, l’Arabie saoudite ou l’Irak ont rejeté fermement l’idée d’inscrire dans le texte une sortie à terme des énergies fossiles.
Un texte « progressif et non transformationnel »
À la lecture de l’accord, il apparaît que si les énergies fossiles sont mentionnées dans une décision finale pour la toute première fois dans l’histoire des COP, elles sont cependant dispensées de tout calendrier de sortie précis et contraignant. Pourtant, les derniers rapports climat de l’ONU ont estimé début novembre que les États prévoient de produire deux fois plus de combustibles fossiles en 2030 que nécessaire pour contenir l’emballement du climat et que les plans climat actuels des pays mettent la planète sur une trajectoire d’élévation des températures estimée entre 2,1 et 2,8 °C.
« Nous pensons que le texte n’apporte pas l’équilibre nécessaire pour renforcer l’action mondiale en vue d’une correction de trajectoire sur le changement climatique,a déclaré l’Alliance des petits États insulaires (Aosis), déjà menacés de disparition par la montée des eaux. En ce qui concerne la sauvegarde des 1,5 °C de réchauffement, le texte est certainement un pas en avant. [Mais] il est progressif et non transformationnel. »
Simon Stiell, secrétaire exécutif de l’ONU Climat, s’est toutefois félicité : « bien que nous n’ayons pas tourné la page de l’ère des combustibles fossiles à Dubaï, ce résultat marque le début de la fin », dit-il, rappelant qu’au début de l’année 2025, les pays devront fournir aux Nations unies de nouveaux plans climat plus ambitieux. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a de son côté salué un accord qui « marque le début de l’ère post-fossiles ».
Au sein du texte final figure également le triplement de la production des énergies renouvelables et le doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030. Ces mesures énergétiques d’importance font partie des préconisations piliers avancées par l’Agence internationale de l’énergie pour réussir la transition énergétique. Cependant, elles sont adossées à une constellation d’éléments de langage de greenwashing utilisés par l’industrie fossile. La décision fait en effet référence aux « circonstances nationales » de chaque pays, suggère que le gaz fossile peut être une énergie de transition, et mentionne les carburants dits « de transition » ou encore les technologies de capture du carbone.
Ces dernières sont brandies par les pétroliers et les États producteurs d’énergies fossiles comme la solution miracle pour sauver le climat. Mais ces dispositifs technologiques restent très onéreux et peu performants. Une semaine avant l’ouverture de la COP28, Fatih Birol, le patron de l’Agence internationale de l’énergie, avait rappelé que la capture du carbone relevait du « fantasme » et nécessitait 3 500 milliards de dollars d’investissement pour répondre au défi climatique.
« Après des décennies de dérobade, la COP28 a enfin braqué les projecteurs sur les véritables responsables de la crise climatique : les combustibles fossiles. Cependant, la résolution est entachée de lacunes qui offrent à l’industrie des combustibles fossiles de nombreuses échappatoires, en s’appuyant sur des technologies non éprouvées et peu sûres », avance Harjeet Singh, responsable de la stratégie politique mondiale au Réseau Action Climat International.
Le président de la COP28, Sultan al-Jaber, à droite, célèbre l’adoption du bilan mondial avec le chef des Nations unies pour le climat, Simon Stiell, à gauche, et le directeur général de la COP28, Adnan Amin, le mercredi 13 décembre 2023, à Dubaï. © Photo Kamran Jebreili / AP via SIPA
Cette prégnance dans la décision finale de mots tout droit issus de la grammaire business as usual s’explique par les pressions exercées par les pays pétroliers comme par le lobbying fossile durant cette COP28. Dans une lettre qui a fuité dans la presse le week-end dernier, le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (l’Opep) a demandé à ses vingt-trois nations membres de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles. Parmi ces membres : les Émirats arabes unis, pays qui hébergeait la COP28.
Par ailleurs, au moins 2 456 lobbyistes des énergies fossiles ont été accrédités à Dubaï. Un record dans l’histoire des COP. Le gouvernement français a été jusqu’à intégrer le PDG de TotalEnergies à sa délégation officielle. Enfin, des lourdes suspicions de « double agenda » ont plané sur Sultan al-Jaber, président de la COP28 mais aussi PDG d’Adnoc, la compagnie pétrogazière nationale émiratie. Selon une enquête de la BBC de fin novembre, al-Jaber a eu pour but de profiter du sommet pour conclure des marchés d’énergies fossiles avec le Canada ou l’Australie pour la firme qu’il dirige.
Financements insuffisants
Autre ombre au tableau de cette COP28 : les pays émetteurs historiques tels que la France ou les États-Unis rechignent encore à mettre suffisant d’argent sur la table en matière de justice climatique.
Comme le souligne Friederike Röder, vice-présidente de Global Citizen : « L’abandon progressif des combustibles fossiles ne sera possible qu’avec un niveau de financement adéquat. Malgré un bon départ à la COP avec la création du fonds pour les pertes et dommages, le paquet financier n’est pas à la hauteur des attentes et il est loin de la réalité des pays pauvres et vulnérables. »
Le sommet onusien avait en effet démarré sur les chapeaux de roue avec, dès le premier jour, la concrétisation d’un fonds pour les « pertes et dommages », c’est-à-dire les dégâts irréversibles causés par les événements climatiques extrêmes. Ce mécanisme de solidarité des pays riches à l’égard des États les plus touchés par les dérèglements climatiques a été acté l’an dernier à la COP27 mais son opérationnalisation était l’objet d’intenses débats.
À la sortie de cette COP28, les pays ont promis au total près de 700 millions de dollars pour abonder ce fonds – la France a fait une promesse de 100 millions d’euros.
Une goutte d’eau dans l’océan de la justice climatique, car le coût des destructions liées au chaos climatique pourrait atteindre les 580 milliards de dollars par an d’ici à 2030. Les sommes promises à cette COP28 pour les pertes et dommages (400 millions de dollars) équivalent à peine au salaire des trois footballeurs les mieux payés au monde.
Les gouvernements n’ont pas non plus été au rendez-vous sur la question de l’adaptation. La COP28 est parvenue à rassembler à peine 160 millions de dollars de plus pour aider les pays du Sud à s’adapter aux canicules ou aux pluies diluviennes qui deviennent, avec l’élévation des températures, plus intenses et plus fréquentes.
Le texte final prévoit de doubler les financements pour l’adaptation au changement climatique d’ici à 2025, les faisant passer de 20 à 40 milliards de dollars par an. Or, d’après un récent rapport du programme des Nations unies pour l’environnement, ce serait encore dix fois moins que ce que les nations les plus pauvres devraient percevoir. « Les 55 économies les plus vulnérables du point de vue climatique ont déjà subi des dommages à hauteur de plus de 500 milliards de dollars au cours des deux dernières années », rappelle l’ONU.
L’annonce d’un groupe de travail pour instaurer des taxes afin de financer l’action climatique est néanmoins à souligner. Cette « task force » est composée de cinq gouvernements – la France, le Kenya, la Barbade, Antigua-et-Barbuda et l’Espagne –, de la Commission de l’Union africaine et de la Commission européenne. Les ONG écologistes espèrent que la taxation des multinationales fossiles ou du très émetteur transport maritime débouchera de ces discussions.
Fanny Petitbon, responsable du plaidoyer pour l’ONG de solidarité internationale Care France, détaille : « Les industries des énergies fossiles [...] ont engrangé suffisamment de profits entre 2000 et 2019 pour couvrir près de 60 fois les coûts des pertes liées au changement climatique dans 55 des pays les plus vulnérables. »
« La COP28 a été doublement décevante parce qu’elle n’a pas mis d’argent sur la table pour permettre aux pays en développement de passer aux énergies renouvelables. Les pays riches ont une nouvelle fois manqué à leur obligation d’aider les populations touchées par les pires conséquences du dérèglement climatique,conclut Nafkote Dabi, responsable de la politique sur le changement climatique d’Oxfam International. La COP28 a été à mille lieues des résultats historiques et ambitieux qui avaient été promis. »
Promesses creuses
Enfin, cette COP28 aura été marquée par pléthore d’initiatives climatiques non contraignantes. À titre d’illustration, la « Charte de la décarbonisation du pétrole et du gaz », signée le 2 décembre par une cinquantaine de compagnies pétrogazières et saluée par le président de la COP28 comme « un premier pas important » pour contenir le réchauffement planétaire, ne comporte aucune mention sur l’urgence de réduire la production d’énergies fossiles. La société civile, à l’instar de l’ONG Oil Change International, a qualifié cette initiative de « distraction dangereuse ».
Autre exemple : à l’initiative de la France et des États-Unis, un appel à tripler le parc nucléaire d’ici 2020 pour réduire la consommation d’énergies fossiles n’a été signé à Dubaï que par une vingtaine de pays, et sans la Russie ou la Chine, qui sont pourtant les deux principaux constructeurs mondiaux de réacteurs.
« En réalité, le potentiel de développement du nucléaire est extrêmement limité au niveau mondial,commente Gaia Febvre, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat. C’est une énergie à la fois coûteuse, très lente à mettre en œuvre, comparativement aux énergies renouvelables mais aussi dangereuse pour des pays où la stabilité géopolitique n’est pas assurée. »
Signe de la faible portée climatique de ces initiatives diplomatiques, l’Agence internationale de l’énergie a alerté le 10 décembre sur le fait que « le respect intégral » des principaux engagements volontaires pris à cette COP « ne représente qu’environ 30 % de l’écart qui doit être comblé pour mettre le monde sur une trajectoire compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C ».
« Les résultats de la COP ont ouvert la voie à un monde sans combustibles fossiles, mais cette route est pleine de nids-de-poule, de distractions dangereuses et, si on laisse faire, elle pourrait mener à une impasse » résume Tasneem Essop, directrice exécutive du Réseau Action Climat International.
Alors que la première COP s’est déroulée en 1995, les émissions globales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter irrémédiablement. La communauté scientifique a officiellement annoncé le 7 décembre, en pleine COP28, que 2023 serait l’année la plus chaude jamais enregistrée sur Terre.
Invitée ce matin à l’antenne de France Inter, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, ancienne coprésidente d’un des groupe du travail du Giec, a rappelé de façon cinglante la réalité politique de cet accord au prisme de la science : « Les promesses, si elles se réalisent toutes, impliqueraient une baisse de 5 % des gaz à effet de serre à horizon 2030, alors que pour limiter le réchauffement largement sous 2 °C il faudrait une baisse de 43 %. »
L’an prochain, la COP29 sera hébergée par l’Azerbaïdjan, un pays dont près de 90 % de l’économie dépendent du pétrole et du gaz. De quoi remettre de nouveau sur la table des négociations la fin des énergies fossiles.
Mickaël Correia