Après des mois d’hésitation, l’Allemande Sahra Wagenknecht a finalement sauté le pas. Quatre ans après le lancement raté du mouvement Aufstehen (“Debout”), inspiré de La France insoumise française et de Podemos, la charismatique parlementaire de gauche a quitté son ancien parti, Die Linke, au côté de neuf autres personnalités de la gauche radicale. Ce lundi 23 octobre, elle a annoncé la création de sa propre formation, le Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW, “Alliance Sahra Wagenknecht”).
“Un grand risque politique”, d’après la Frankfurter Allgemeine Zeitung, pour qui “sa carrière politique risque de finir définitivement aux oubliettes” si le BSW ne rencontre pas le succès escompté. Mais surtout, estime Die Tageszeitung, un aveu d’impuissance de la part d’une gauche allemande “qui ne parvient pas à surmonter ses propres contradictions, lesquelles sont en train de causer sa perte”.
Avec le BSW, Sahra Wagenknecht entend remettre la gauche radicale au centre de la politique nationale allemande. Mais en est-elle capable ? se demande Der Spiegel. “Wagenknecht peut-elle donner la parole à ceux qui ne se sentent pas représentés par les partis traditionnels ? […] Son projet est-il peut-être justement ce qu’il faut pour rétablir la confiance dans la démocratie ?”
Rassembler les mécontents
La Süddeutsche Zeitung estime que l’élue allemande est au moins en mesure de rassembler une partie des mécontents de la politique. “Si les choses se passent comme prévu, Wagenknecht devrait interpeller de nombreux électeurs de Die Linke, mais aussi un nombre conséquent de partisans de l’AfD”, explique le quotidien de centre gauche. Or, le parti d’extrême droite a fait de très bons scores en Hesse et en Bavière lors des élections régionales d’octobre, et il avoisine les 30 % d’intentions de vote dans les Länder de l’est de l’Allemagne.
Le journal munichois rappelle que plusieurs sondages menés en 2023 ont estimé qu’entre 40 % et 50 % des électeurs du parti d’extrême droite pourraient envisager de voter pour la formation de Sahra Wagenknecht. En décembre 2022, le média d’extrême droite Compact lui avait dédié sa couverture, la qualifiant de “candidate à la fois pour la droite et pour la gauche”. Björn Höcke, “le marionnettiste d’extrême droite qui tire les ficelles à l’AfD”, l’a même invitée à rejoindre les rangs de sa formation – ce qu’elle a immédiatement refusé.
Sur certains sujets – comme sur l’immigration –, la parlementaire est “partisane d’une ligne nettement plus stricte” que celle de son ancien parti, Die Linke, car elle estime que l’arrivée de nouveaux arrivants pèse sur les salaires des Allemands. Pour le Spiegel, sa vision politique peut parler aux électeurs de l’AfD “quand elle s’en prend au genre, qu’elle tourne en dérision les végétariens ou plaide en faveur d’un rapprochement avec Vladimir Poutine”. Mais contrairement aux cadres du parti, “elle ne relativise pas la dictature nazie”, ce qui ferait d’elle une interlocutrice plus raisonnable que des “extrémistes de droite” comme Björn Höcke.
“Destructrice et populiste”
La Frankfurter Allgemeine Zeitung, elle, se montre plus sceptique sur le succès du projet de Sahra Wagenknecht. “D’aucuns espèrent qu’elle va créer un point de ralliement pour les mécontents, plus respectueux de la Constitution que ne l’est l’AfD”, reconnaît le journal conservateur.
Mais c’est sans compter sur ses difficultés à travailler en équipe et à faire des compromis.
“La politique migratoire, la lutte contre le changement climatique, la vaccination ou la Russie sont autant de sujets sur lesquels Wagenknecht s’est montrée tellement destructrice et populiste avec sa propre équipe qu’on voit mal comment il pourrait en être autrement dans son nouveau parti.”
Ces dernières années, note la Tageszeitung, la gauche radicale allemande a justement été victime de son incapacité à surmonter ses divisions internes. Composé des sociaux-démocrates, des Verts et des libéraux, “le gouvernement fédéral ne subit de pression que par la droite”, explique le quotidien de gauche. “Le récent débat sur le droit d’asile, au cours duquel les derniers vestiges d’humanisme ont été balayés, montre à quel point cette situation est dangereuse.”
Avec la création du BSW, Sahra Wagenknecht espère changer la donne. Mais si les électeurs se divisent entre le BSW et Die Linke, sa stratégie pourrait avoir l’effet inverse. Ce qui confirme ce que pense la Frankfurter Allgemeine Zeitung : Sahra Wagenknecht a pris “un grand risque politique”.
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