Avec chaque jour qui passe, l’assaut sans précédent d’Israël sur Gaza rend de plus en plus difficile d’être journaliste dans la bande de Gaza [selon diverses sources, quelque six journalistes auraient perdu la vie]. Ils sont piégés entre les missiles incessants lancés par des avions de guerre et la l’interruption quasi totale d’électricité depuis qu’Israël nous a entièrement coupés du monde au début de la semaine. Tôt ce matin, Israël a ordonné au 1,1 million d’habitants du nord de la bande de fuir vers le sud au cours des prochaines 24 heures, nettoyant ainsi la zone des Palestiniens en préparation de l’invasion terrestre escomptée de l’armée. Alors que le nombre de morts palestiniens est estimé à plus de 1500 [le nombre de blessés à plus de 6000, dans un contexte où le système hospitalier est fortement inapte à assurer des soins élémentaires], je me sens le devoir de continuer à exposer au monde ce qu’Israël est en train de faire ici [1].
Khan Younis est l’une des villes du sud de la bande de Gaza, vers laquelle beaucoup sont contraints de fuir. Ici aussi, les bombardements aériens et les tirs d’obus des chars israéliens sont intenses depuis les premières heures du samedi matin, à la suite du raid violent du Hamas à travers la barrière de séparation israélienne. Le nombre de morts et de blessés dans cette seule ville est estimé à plusieurs centaines. Les réfugiés du nord ont déjà commencé à arriver par milliers ; beaucoup d’autres sont restés dans les districts du nord de la bande [Gaza est divisée en cinq districts], incapables de partir ou trop effrayés pour le faire.
Samira Qadeeh, 50 ans, originaire de Khuza’a – une ville située à la périphérie de Khan Younis et l’une des localités palestiniennes les plus proches de la barrière israélienne – a fui sa maison avec sa famille peu après le début des bombardements, craignant que le pire ne leur arrive s’ils restaient sur place. « Les chars bombardaient les maisons avec des civils à l’intérieur, comme s’ils voulaient nous tuer et nous effacer », a-t-elle déclaré.
« Tous les voisins sont sortis en grands groupes, les enfants pleurant et criant à cause du bruit des obus », a-t-elle poursuivi. « Je criais aux gens de marcher rapidement, de peur que les avions de guerre ne tirent leurs missiles sur nous. Ils ont finalement trouvé le chemin d’une école de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA-United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees) dans l’espoir d’y être plus en sécurité, mais compte tenu de l’ampleur de la destruction de la bande de Gaza par les bombes israéliennes, la terreur est toujours présente.
« Il n’est pas facile de quitter sa maison avec ses enfants et de s’installer dans un endroit inconnu où l’on ne peut peut-être pas dormir et où l’on n’a peut-être pas tout ce dont on a besoin, mais l’occupation israélienne ne se préoccupe pas de cela », a déclaré Samira. « Tout ce qui lui importe, ce sont les meurtres et les déplacements de population. »
Salim Sa’eed, 14 ans, est également originaire de Khuza’a. Il était chez lui avec ses deux frères et sœurs lorsque les bombardements ont commencé. « Nous avons entendu les détonations et ma sœur a voulu regarder par la fenêtre pour voir si quelqu’un fêtait un événement avec des feux d’artifice. Mais j’ai senti qu’il s’agissait d’un bombardement et non d’une célébration, alors je lui ai crié de rentrer à l’intérieur pour ne pas être blessée. Je me suis assis avec mon petit frère dans une pièce et j’ai attendu que ma mère revienne. Le bruit des bombes n’a jamais cessé. »
« Nulle part n’est sûr à Gaza, mais nous essayons de survivre »
Il y a deux nuits, dans l’obscurité la plus profonde, plusieurs familles de Khan Younis ont été complètement anéanties. Les familles Al-Shaer et Al-Astal ont perdu au total plus de 20 personnes, dont des femmes et des enfants. Des ambulances et des véhicules de la défense civile sont venus chercher des personnes à secourir, mais il n’y avait plus personne en vie.
Khalid Salem, 40 ans, était un proche voisin de la famille Al-Astal. Il regardait la télévision avec sa famille lorsqu’ils ont entendu le bruit puissant d’un tir de missile, qui a partiellement endommagé leur propre maison. « J’ai entendu des gens crier très fort à l’extérieur », a-t-il déclaré. « Je me suis précipité dehors et j’ai été choqué de découvrir que le bombardement avait visé la maison de nos sympathiques et amicaux voisins. J’ai beaucoup pleuré quand j’ai entendu quelqu’un crier et appeler quelqu’un pour le secourir. Des ambulances et des véhicules de la défense civile sont arrivés pour évacuer les blessés et les martyrs. Tout le monde criait, nous pleurions tous à cause des scènes auxquelles nous assistions. La chose la plus difficile à laquelle on puisse assister est de voir ses amis réapparaître sous forme de dépouilles calcinées. »
Salim Sabir, 35 ans, a quitté sa maison dans le quartier d’Abasan Al-Kabira [dans le district de Khan Younis] avec sa femme et ses quatre enfants aux premières heures du dimanche matin. « La première nuit de la guerre a été très difficile », a-t-il déclaré. « Le bruit des missiles qui se succèdent terrifiait mes enfants. Certains d’entre eux ne pouvaient aller nulle part seuls dans la maison, pensant qu’ils allaient mourir seuls ou que nous allions mourir et les laisser seuls. Ces pensées tragiques qui ont traversé l’esprit de mes enfants m’ont poussé à chercher un endroit plus sûr pour eux, afin qu’ils ne soient pas blessés. »
Salim Sabir et sa famille, comme des milliers d’habitants de Khan Younis, ont cherché refuge dans les écoles de l’UNRWA à l’ouest de la ville, qui sont généralement considérées comme l’un des endroits les plus sûrs de Gaza – mais au moins 18 de ces écoles dans la bande de Gaza ont déjà été gravement endommagées par les frappes israéliennes de ces derniers jours, et deux d’entre elles étaient utilisées comme abris d’urgence.
« Les écoles ne sont pas adaptées pour dormir ou rester plusieurs jours, mais nous n’avons pas d’autres solutions », a déclaré Salim Sabir. « Nous avons besoin de beaucoup de choses comme de la nourriture, des boissons, des couvertures et des vêtements. De plus, il y a beaucoup de monde ici, et tout le monde s’inquiète pour ses proches et sa maison, et a peur de ce qui se passe à l’extérieur de l’école. Rien n’est sûr à Gaza, mais nous essayons de survivre à la guerre. »
Au milieu de tout cela, Khan Younis souffre d’une pénurie d’électricité depuis le premier jour de la guerre. Cette situation est due au fait qu’Israël a renforcé le blocus qu’il impose à la bande de Gaza depuis 16 ans et qu’il empêche l’approvisionnement en carburant [entre autres pour les générateurs de courant électrique] et en eau. Au cours des quatre premiers jours de la guerre, le temps d’alimentation en électricité était de 3 heures de fonctionnement et de 26 heures d’arrêt, mais mercredi, l’autorité de Gaza chargée de l’électricité a déclaré qu’elle n’était plus en mesure de faire fonctionner la centrale électrique ne serait-ce que quelques minutes. Les générateurs privés sont désormais la seule source d’électricité, et ils cesseront bientôt de fonctionner eux aussi.
Selon Laila Al-Khalid, 45 ans, la panne d’électricité « double les souffrances de la guerre. Nous essayons de nous sentir en sécurité en communiquant avec le monde et en parlant à nos amis et à notre famille à l’extérieur, mais la coupure d’électricité nous en empêche. Le manque d’électricité entraîne également des coupures d’eau et nous ne pouvons pas effectuer nos activités quotidiennes. Tout cela crée un état de tension permanent. »
« L’occupation vise à boucler Gaza et à nous isoler du monde, de sorte que personne ne puisse nous atteindre et savoir ce qui se passe ici », a-t-elle poursuivi. « Il s’agit d’une politique déplorable, qui vient s’ajouter à la politique de blocus que le pouvoir israélien mène depuis longtemps. La guerre, le bruit des obus et des missiles et les souffrances terribles subies par nos amis et voisins sont très éprouvantes. »
Ruwaida Kamal Amer