C’est une mauvaise nouvelle dans la mauvaise nouvelle pour la France : après le rejet massif par les opinions publiques sahéliennes (Burkina Faso, Mali, Niger) de la présence française dans la région, c’est désormais l’allié américain qui se démarque très clairement et ouvertement de la stratégie d’Emmanuel Macron au Sahel.
Retrait dans la débandade
Alors que les Français doivent quitter le Niger avec armes et bagages à l’issue d’un calendrier négocié sans gaîté de cœur avec la junte au pouvoir à Niamey, les Américains, de leur côté, réorganisent et renforcent même leur présence militaire au Niger forte de plus d’un millier de soldats. Au plus fort de la crise entre la France et le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), Washington avait décidé de laisser l’armée française seule face à la rue nigérienne, en transférant vers la base 201 à Aagadez, dans le nord du pays, les militaires américains stationnés sur la base aérienne 101 de Niamey, aux côtés de l’armée française.
Derrière cette décision, apparaît clairement la volonté américaine de prendre au Niger ses distances géographiquement et stratégiquement avec la France. Dès le début de la crise créée par le coup d’Etat militaire au Niger, Washington a tenu à jouer sa propre carte, ne craignant même plus de marquer sa différence avec la diplomatie française, qui a connu à nier l’évidence. Alors que la France refusait toute discussion avec la junte militaire au motif qu’elle n’a aucune légitimité, l’administration bidenne a dépêché une émissaire spéciale à Niamey pour échanger avec les militaires au pouvoir. Ce n’est pas le seul point de divergence entre Paris et Washington dans le dossier nigérien. Alors que la France soutient le retour à l’ordre constitutionnel, y compris grâce à une intervention militaire, avec la restauration du président Bazoum au pouvoir, les Américains appellent à privilégier la négociation avec le CNSP en vue d’une issue politique et diplomatique. Dans le schéma américain, le retour à l’ordre constitutionnel au Niger pourrait passer par l’acceptation d’une transition consensuelle et un partage de pouvoir entre civils et militaire, même sans le retour au pouvoir du président Bazoum. Entre pragmatisme et souci de ne payer pour le rejet de la diplomatie de Macron au Sahel, Washington joue sa propre carte au Niger.
Mort cérébral du pré-carré
Si cette prise de distance américaine de la politique sahélienne de Macron apparait de manière évidente et forte au Niger, en réalité c’est bien au Tchad qu’on a commencé à en avoir les premiers signes. Après la mort brutale en avril 2021 du président tchadien Idriss Déby Washington n’avait pas apporté son soutien à la succession dynastique, à la différence de la France et de l’Union européenne qui ont avalisé la prise de pouvoir par son fils Mahamat Idriss Déby. Alors que la France faisait profil bas face aux violations répétées des droits de l’homme pendant la transition, Washington donnait de la voix pour critiquer le régime de Mahamat Idriss Déby. Fait notable et inédit : la diplomatie américaine a doublé l’Elysée et le Quai d’Orsay pour faciliter la sortie du territoire tchadien de l’opposant Succès Masra après la sanglante répression de la marche du parti d’opposition Les Transformateurs en avril 2022. Washington avait ensuite organisé l’accueil et l’exil provisoire sur le sol américain de l’opposant après avoir facilité son départ négocié avec le pouvoir de N’Djamena. Pour la diplomatie américaine, son positionnement au Tchad et sa posture au Niger marquent bien plus qu’une prise de distance avec la France, mais un vrai changement de paradigme. Fini donc l’époque où Washington sous-traitait sa politique africaine à la France, aligner systématiquement ses positions africaines derrière celles de la France dont la diplomatie américaine louait l’excellente expertise africaine. Les Américains veulent désormais définir et mettre en œuvre leur propre politique africaine, forcément différente de celle de la France qui enregistre revers sur revers, particulièrement au Sahel, depuis l’arrivée de Macron à l’Elysée.
Diplomatie de coups de menton
Il n’y a pas que les Américains qui trouvent à redire face aux errements de la diplomatie de la France au Sahel. Dans les salons feutrés et les bureaux parisiens, diplomates et militaires critiquent à demi-mots des décisions insensées dont ils sont chargés d’assurer le service après-vente. On vient d’en avoir deux preuves éclatantes avec le rappel à Paris l’ambassadeur de France à Niamey Sylvain Itté ainsi que le départ des troupes françaises du Niger. Après avoir refusé pendant deux mois d’accéder aux demandes de la junte sur ces deux points, Macron a fini par céder, provoquant des scènes de joie et des cris de victoire parmi les militaires au pouvoir et dans les rues de la capitale nigérienne. C’est contre cette diplomatie verticale faite de coups de menton, d’excès d’égo et de décisions hors sol que les Américains ont préféré se démarquer totalement au Sahel.
Francis Sahel
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