Récemment, j’ai participé à un panel sur les dix ans de Black Lives Matter (BLM). Dix ans plus tard, on ne peut que prendre acte que la violence envers les corps noirs est endémique et qu’elle se manifeste de différentes façons, dont d’une manière mortelle.
Ce sont trois femmes qui sont les instigatrices de BLM : Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. Ce mouvement politique et social décentralisé cherche à mettre en lumière les conséquences des inégalités raciales vécues par les Noir·es. L’éradication de la suprématie blanche – soit un système complexe voulant que les valeurs culturelles et les normes des peuples d’origine européenne soient supérieures à celles des autres peuples – ainsi que du racisme systémique font partie des objectifs larges de ce mouvement.
Par ses actions, BLM dénonce la violence à caractère racial, dont les incidents de brutalité policière. Ce mouvement prône la promotion de l’anti-racisme ainsi que l’imputabilité des institutions afin que la justice soit rendue.
Il préconise également des changements politiques visant la véritable libération des Noir·es. Cela, en combattant et en contrant les actes de violence, mais aussi en créant un espace donnant ouverture à l’imagination et l’innovation des Noir·es, afin de permettre aux membres des communautés noires d’améliorer leur vie et de s’épanouir en toute dignité.
Une histoire de violences et de résistances
C’est en 2013 que le mouvement BLM a vu le jour, comme un appel à l’action lancé par Alicia Garza et relayé par son amie Patrisse Cullors puis par l’organisatrice Opal Tometi, après l’acquittement de George Zimmermann, meurtrier de Trayvon Martin, adolescent noir de 17 ans. Alors que Trayvon sortait d’un dépanneur accompagné de sa copine, il a été abattu par Zimmermann. Il était non armé.
En 2014, à la suite d’un vol de cigarillos, une altercation entre Michael Brown et le policier Darren Wilson a éclaté. Brown s’est enfui alors qu’il était blessé. C’est au moment où il se retournait que l’agent l’a abattu. Brown, un jeune adulte à peine sorti de l’adolescence, est mort dans les rues de Ferguson.
À la suite de cet assassinat, plus de 300 jours de manifestations ont eu lieu à travers les États-Unis. C’est alors que le slogan #BlackLivesMatter a pris un essor véritable. Les communautés noires se sont spontanément organisées, ont utilisé Twitter et ont fait des livestreams de façon massive et stratégique.
Ce sont trois femmes qui sont les instigatrices de BLM : Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi.
Puis, c’est la mort de George Floyd qui agalvanisé le mouvement et lui a donné une portée internationale.On connait la suite.
Cette reconnaissance des traitements injustes vécus par les personnes noires et de leurs racines historiques a jeté la lumière sur les violences étatiques.
Au-delà de Black Lives Matter, Say Her Name
Pour qu’il y ait une justice raciale, il faut tenir compte de la géométrie variable du racisme. Il est notamment essentiel de comprendre la réalité des violences particulières vécues par les femmes noires, que ces violences soient reconnues et que les assassinats de ces femmes aux mains de forces de l’ordre soient répertoriés.
Les femmes noires sont souvent ignorées dans les mouvements luttant contre le racisme et le sexisme, même si elles sont confrontées simultanément à une combinaison unique de ces deux formes de racisme.
Le mouvement Say Her Name (Dis son nom) a vule jour en 2014, lors de la mort de Michelle Cusseaux, un an après la mort de Trevor Martin et quelques jours après celle de Michael Brown.
La professeure Kimberlé Crenshaw a alors constaté que les mouvements anti-racistes ne tiennent pas réellement compte des expériences des femmes noires lorsqu’elles sont confrontées aux forces de l’ordre, d’où l’importance d’une analyse intersectionnelle.
Le silence entourant la violence vécue par les femmes noires devait – et doit encore – être brisé.
C’est l’invisibilité, voire l’effacement de la mort des femmes assassinées par les forces de l’ordre qui a été le moteur du hashtag #SayHerName. La professeure Crenshaw a pris acte du fait que l’effacement médiatique imposé à ces femmes empêchait d’obtenir justice.
Même dans la mort, ces femmes sont de nouveau marginalisées.
Le fait que l’assassinat des femmes noires soit socialement ignoré est une double perte… Loss of loss.
Le mouvement féministe blanc ne se mobilise pas non plus lorsque les femmes noires sont assassinées. Pourtant, la vie des femmes noires est touchée tant par la suprématie blanche que par le patriarcat. Elles font l’objet de stéréotypes néfastes, dont celui de la femme noire en colère, la « angry black woman ».
Même dans la mort, ces femmes sont de nouveau marginalisées.
Ultimement, le mouvement Say Her Name vise à confronter et détruire les divers systèmes étatiques de violence qui sont interreliés, autant le racisme que le patriarcat. Il vise à réhabiliter ces femmes en leur redonnant leur dignité et leur humanité, et ce même dans la mort.
Violences multiples
Ainsi, on parle beaucoup du système de justice criminelle, mais la violence se manifeste également dans le système de justice civile et administrative. Alors que le système de justice criminelle ne vise qu’une fraction des interactions de la population, il est temps de prendre acte du fait que c’est l’ensemble du système de justice qui porte les stigmas du racisme.
Il est plus que temps d’entendre toutes les voix.
Comme le souligne Kimberlé Crenshaw dans son ouvrage #SayHerName : « les contours sexués de l’histoire de la violence antinoire restent marginalisés dans nos récits conventionnels, non seulement sur le racisme et le sexisme, mais aussi sur le droit, la justice et la démocratie ».
La société doit prendre acte du vécu des femmes et des divers types de violence qu’elles subissent, violence raciale, violence sexiste ainsi que misogynoir. Il est plus que temps d’entendre toutes les voix, que tant les forces de l’ordre que le système de justice dans son ensemble tiennent compte de ces réalités sociales.
Tamara Thermitus est avocate émérite. Elle a négocié les termes de la Commission vérité et réconciliation du Canada.
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