Pourquoi ce thème, pourquoi cette priorité ?
Depuis des années, on constate dans ce pays, comme en général dans le monde, une régression continue des droits des migrant-e-s. Seule avancée dans ce domaine, la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Europe des 25, l’a été dans le cadre particulier d’un accord global auquel une partie des milieux dominants de ce pays avaient aussi intérêt.
La défaite que nous avons subie le 24 septembre 2006 concernant les nouvelles lois sur l’asile et les étrangers, deux lois qui portent gravement atteinte aux droits humains, nous oblige à ouvrir sans retard le débat sur nos perspectives et moyens de combattre les politiques des autorités dans ce domaine. Depuis des années, le Conseil Fédéral adopte des dispositions très restrictives en matière de droit des étrangers.
L’UDC profite de ce climat de repli et ne cesse de renchérir sur ces mesures à partir de ses positions racistes et xénophobes au nom de l’« identité nationale ». Elle lance sans trêve initiatives ou referendums sur ce thème, martèle lors de chaque campagne : « criminalité, délinquance, violence, drogue, prostitution = étrangers/ères » et exploite sans vergogne le moindre fait divers dans ce sens. L’entrée de Christoph Blocher au Conseil fédéral a pratiquement donné une caution officielle à la politique que préconise son parti. Les autres partis bourgeois ont ainsi soutenu des lois qui durcissent les conditions de vie et de travail des migrant-e-s et accentuent leur précarité. Une partie de la gauche, inquiète de l’emprise de cette propagande sur son électorat traditionnel, n’a que mollement combattu les deux lois en question.
Au-delà du cas suisse, ces politiques restrictives et répressives envers les migrant-e-s concernent l’ensemble des pays du Nord : USA et UE érigent tous deux murs et camps de détention à leurs confins méridionaux. La tentative d’unifier les politiques migratoires dans un sens restrictif menacerait d’exclure à l’avenir toute mesure unilatérale de régularisation collective de « sans-papiers » par un pays particulier de l’UE. En France, suite à la victoire de Sarkozy, on assiste à l’installation d’un ministère « de l’immigration et de l’identité nationale », récemment rebaptisé en y accolant « de l’intégration et du codéveloppement » pour ne pas ruiner les prétentions à l’ouverture du nouveau président.
Quelles perspectives pour lutter contre la xénophobie et les politiques restrictives à l’encontre des migrant-e-s ?
Le groupe de travail qui a organisé cette journée a, en préparant le présent cahier, pris conscience de l’existence de deux approches, deux orientations en la matière, lesquelles font évidemment débat. Nous avons donc décidé de publier deux contributions sur ce thème dans le prochain numéro du journal de solidaritéS afin de susciter une discussion plus large.
Au nom du groupe de travail « Journée de débats » ; Maryelle Budry, Laetitia Carreras, Dario Ciprut, Eric Decarro, Ynés Gerardo, Silvia Marino et Christian Tirefort
Racismes et discriminations dans le contexte migratoire
L’obstacle essentiel au plein exercice de l’égale dignité des humains tient dans l’opposition de la diversité de l’espèce à son unité.
Humanité
Les préjugés racistes sont la cicatrice mentale de cinquante mille ans d’étrangeté à nous-mêmes, de confusion entre unité et uniformité.
Chaque adulte peut engendrer plus d’êtres différents que l’univers ne compte d’atomes. C’est l’individualité de l’être humain qui signe ici l’unité de son genre.
Entre générations successives, confondre lignage et apprentissage comme l’illustre l’adage « tel père, tel fils » évacue la différence biologique sous une similitude d’essence culturelle. L’obsession aristocratique des généalogies défie la paléo-anthropologie, qui atteste que la parenté des sapiens avec les grands singes les a tous rendus, révolution démographique aidant, peu ou prou cousins.
Entre voisins, opposer résidents et migrants fige des différences culturelles modelées par l’histoire. C’est au brassage répété de populations que l’espèce doit en fait le maintien de son unicité malgré cette diversification adaptative.
Racismes
Le racisme, justification de pratiques discriminatoires par des différences prétendument infranchissables, est moins discrédité qu’on ne croit en s’attardant aux aberrations du XIXe sur la pureté raciale, reprises par l’hitlérisme.
Conférence négationniste iranienne, tentative de réhabilitation parlementaire du colonialisme, ethnicisation d’émeutes et manifestations sportives, sexisme ambiant témoignent d’une permanence du schéma de la disparité biologique. Les phobies du métissage avec des minorités « visibles » alimentent des archaïsmes identitaires au lieu d’enrichir par « créolisation » [1] les protagonistes de leurs différences.
Par contraste, l’antisémitisme singularise des populations que rien d’apparent ne distingue du commun et se repaît, effet Shoah estompé, d’antisionisme, d’anticapitalisme ou de concurrence victimaire.
La planète regorge de victimes de génocides, épurations ethniques et conflits postcoloniaux. Le « choc des civilisations », hochet néoconservateur, couvre atteintes à l’Etat de droit et guerres impériales au nom de la lutte antiterroriste.
Une islamophobie à relents de croisade y rejoint les racismes contemporains et menace le vivre ensemble de communautés pourtant avides de modernité.
Le néoracisme des Murray, Rushton et autres Harpending revitalise le darwinisme social, fondement du créationnisme et de l’eugénisme. Afro-centrisme et commu nautarisme ne font que renforcer ces doctrines irrationnelles en inversant leurs termes. Le droit du sang en matière de nationalité et les diverses brimades de nouveaux hiérarques envers les descendants d’anciens relèvent d’une même critique.
Migration
La distinction entre migrants, étrangers et autochtones est grosse de dérapages racistes [2]. Une vigilance citoyenne est requise pour desserrer l’étau de statuts et règlements handicapant leur résistance aux discriminations.
La priorité est de dessiller le regard du public quant à la prétendue maîtrise des flux migratoires. L’immigration dite « choisie » de M. Sarkozy ne vaut guère mieux que son modèle helvétique [3]. Certaines fractions de l’extrême gauche [4] inhibent, hélas, l’unité d’action en ce domaine.
Indispensable aussi, sinon aisé, de réfuter les accusations de laxisme, opposées à qui refuse justement de criminaliser migrants ou chômeurs, mais doit entendre l’exaspération d’autres catégories populaires.
Notre propre mouvance doit prendre garde à l’unidimensionnalité économiste. Un marxisme rabattant tout conflit sur l’axe capital-travail esquive l’analyse de la complexité sociale, politique et culturelle de la migration et ne prépare pas à un combat efficace de la discrimination raciale.
Conclusion
La pédagogie du doute, chère à Albert Jacquard et que ne reniait pas Marx trahi par ses épigones, devrait inspirer nos futurs débats.
Dario Ciprut, informaticien et militant antiraciste
Vécu migratoire en l’absence de libre circulation
Migration rêvée
Il y a plusieurs raisons qui nous poussent à entreprendre ce voyage incertain. Partir n’est pas une décision facile à prendre. On laisse tout notre quotidien, nos ami-e-s, notre famille, parfois même nos enfants, pour recommencer ailleurs, espérant donner une vie meilleure à celles et ceux qui restent. Dans nos « pays en voie de développement », la pauvreté se voit partout, la criminalité est monnaie courante. Pourtant, tout n’est pas négatif : les gens se connaissent et se reconnaissent, s’entraident. Mais la population rêve de posséder les choses qui envahissent notre vie simple.
Ces choses s’infiltrent insidieusement à travers la publicité, les cartes postales, le petit écran et le tourisme. Nous sommes irrésistiblement attirés. L’Occident est pour nous l’Eldorado. On rêve de trouver « là-bas » la sécurité, plus de liberté, un travail bien rémunéré qui permettra d’aider financièrement nos familles, bref, des conditions de vie meilleures, à l’image du modèle occidental.
Les catastrophes naturelles occasionnées par le réchauffement planétaire (dont nous, les gens des pays sous-développés, ne nous sentons pas responsables) constituent d’autres raisons de fuir nos pays. Les inondations catastrophiques dans mon pays, la Bolivie, donnent un exemple actuel de la dette morale, sinon financière, des pays occidentaux envers les pays du tiers monde.
Migration vécue
La migration, par le revenu régulier qu’elle assure auxpersonnes restées au pays, a fait de nos parents des assistés. En leur donnant tous les jours un poisson, nous leur avons désappris à pêcher. Nous leur assurons un revenu au détriment de leur sens de l’initiative, et des responsabilités des autorités locales... La migration, toujours à travers le flux financier que représente l’envoi régulier d’argent, a aussi provoqué le développement d’une économie artisanale de petites manufactures familiales issues des microcrédits. Combien de temps cette économie résistera-t-elle face aux gigantesques moyens de l’économie occidentale ?
Dans les pays d’accueil, rien ne favorise l’intégration. Il nous faut vivre dans un climat de méfiance : peur de la police, peur d’être dénoncée, malaise du statut de clandestine. Les parents qui sont arrivés avec leurs enfants culpabilisent énormément de ne pas pouvoir leur donner ce qu’ils espéraient leur offrir. Ils peuvent se retrouver à plusieurs familles dans un studio. Pour les enfants, la peur de parler interdit toute relation « normale » avec les copains d’école.
S’ajoute à cela, face à l’Europe qui se construit, le sentiment d’être l’envahisseur ! Le discours ambiant tend à faire du migrant un criminel, alors que ce dernier peut légitimement se demander : qui a envahi qui ? Ce sentiment se trouve encore renforcé par l’impasse de l’histoire sur cette question.
Bilan
Le migrant, qui espérait plus de liberté, plus de sécurité, une scolarité de qualité, des conditions de vie meilleures, se retrouve au final bien plus affaibli qu’il ne l’était dans son pays d’origine : perte d’identité, perte de repères, perte des moyens de défense…
Mais l’Occident a-t-il vraiment envie que cette migration, source d’une main-d’œuvre bon marché, désorganisée, non protégée et déracinée, disparaisse ?
Les murs sont-ils une solution ? Pour le migrant, certes pas… mais pour l’Occident ? Plus les murs seront solides, plus l’Occident en tirera bénéfice.
Silvia Marino, Collectif des travailleurs et travailleuses sans Statut légal (CTSSL)
Travail, migration et mondialisation
Une des raisons des flux migratoires est la recherche de travail mieux payé et de meilleures conditions de vie. Pour comprendre la problématique, il faut avoir une interprétation commune des mots travail et immigration.
Le travail est une faculté que chacun porte en soi. Grâce à sa productivité qui sans cesse s’améliore, il devrait être un passeport vers une vie meilleure. Pourquoi n’est-ce pas le cas pour tout le monde ? Pourquoi la productivité élimine-t-elle de plus en plus de personnes de l’emploi salarié ? Le fait que la gauche ne s’attelle pas à ces questions livre l’ensemble de la problématique de l’immigration à la droite, son extrême en particulier.
L’immigration n’est pas au premier chef un problème transfrontière, mais une question de liberté élémentaire de circulation. Le phénomène couvre tant l’exode des paysans vers les villes ou les bidonvilles que la fuite devant des guerres ou des répressions politiques. Les travailleurs cherchant des emplois sont les victimes des inégalités de développement entre les régions, au sein des régions et entre les pays. L’immigration liée à la recherche d’emplois est devenue massive depuis l’avènement du capitalisme.
Les inégalités de développement déterminent les flux migratoires. En Chine, le gouvernement prend des mesures pour éviter des migrations trop massives des régions centrales sous-développées vers la côte Est en développement. Que les migrations soient trans – ou intra –frontières, les problèmes d’intégration des migrants sont cependant souvent similaires.
Aujourd’hui, l’immigration est un phénomène mondial subissant les effets pervers de ce type de mondialisation. Celle-ci est souvent le bouc émissaire d’un autre phénomène qu’on refuse souvent d’identifier : la concentration sans limites du capital.
Les années de l’après-guerre ont donné les conditions de la mondialisation. Les masses de plus en plus importantes de capital accumulées dans cette période envahirent le monde entier à la recherche de points de chute rentables. Ce capital n’envahit cependant pas le monde pour créer des activités, mais pour les parasiter.
Il se fixe aujourd’hui là où le travail est le moins cher, ce qui accentue les contradictions : le travail se délocalise dans les zones à bas salaires tandis que les travailleurs émigrent dans les zones à salaires plus élevés.
Il est impossible de comprendre les comportements racistes ou xénophobes, ou encore protectionnistes lorsqu’il s’agit des emplois, face aux flux migratoires sans comprendre les origines des inégalités de développement, donc sans partir de la colonisation, puis des conditions de la décolonisation, le passage du colonialisme au néocolonialisme ; sans parler des conditions au sein des bassins de l’émigration ; enfin sans comprendre le passage de la société industrielle à la société financière et le processus de la mondialisation. Ces évolutions marquent les modifications des genres d’immigration : autrefois principalement intra européenne, donc mono-ethnique, aujourd’hui mondialisée, donc multi ethnique, ce qui renforce l’aspect raciste dans la xénophobie.
Le document qui a servi de base à ma contribution est accessible sous ce même titre sur le site www.solidarites.ch. Les personnes qui n’auraient pas d’accès à Internet peuvent me contacter à l’adresse suivante : Christian Tirefort, avenue du Lignon 42, 1219 Genève. Je leur enverrai le document par retour de courrier postal.
Christian Tirefort, syndicaliste
Enjeux politiques et juridiques des flux migratoires du siècle. Refoulement, barrage, tri ou accueil ?
Des idées fausses
Les classes dirigeantes européennes, de tous bords, mènent avec une remarquable continuité la même politique d’immigration, résumée en trois points :
les pays riches seraient menacés d’invasion, menaçant leurs équilibres économiques, la paix sociale et leur identité nationale ;
des mesures administratives et policières permettraient de proportionner l’immigration légale aux besoins économiques et de refouler les migrant-e-s « sans-papiers » ;
la solution des problèmes se trouverait dans le développement des pays d’origine, qui régulerait les flux migratoires.
Ces trois idées sont fausses. La migration est un fait incontournable et un droit imprescriptible ; réalisée dans des conditions satisfaisantes, elle est un bienfait pour les migrants et pour les pays d’accueil.
Sur les quelque 200 millions de migrants dans le monde, la majorité d’entre eux sont en fait partis de pays pauvres pour aller dans un pays un peu moins pauvre. Seule une minorité atterrit dans les pays développés.
Notre gouvernement est entré en transe quand 1500 Afghans et Irakiens erraient dans les rues de Calais autour de Sangatte, mais il faut rappeler qu’il y a 3 millions de réfugiés en Iran, 3 millions de réfugiés au Pakistan, ou que la Côte d’Ivoire compte 30% d’étrangers. Entre 1960 et 2000, on est passé de 150 millions de migrants à 200 millions, c’est une croissance proportionnelle au rythme de la mondialisation.
Pourquoi les gens partent-ils ? Les experts anglo-saxons parlent des facteurs « push », qui poussent les migrants à partir, et des facteurs « pull », qui les attirent. Même si cela a l’air paradoxal, ce n’est pas principalement la misère, au sens économique du terme, qui est le facteur décisif de l’émigration. Sinon, nous devrions observer une migration uniforme à partir de tous les pays pauvres. Or ce n’est pas du tout ce que l’on observe, et en France l’immigration émane de régions bien déterminées, alimentée souvent par des blocages sociopolitiques ou des traditions culturelles plus que par le simple écart de niveaux de vie.
En ce qui concerne les facteurs « pull »,j’estime que les gens n’ignorent plus les difficultés qui les attendent, mais qu’ils pensent pouvoir réussir, au prix éventuel de quelques années de galère. Je connais personnellement beaucoup d’immigrés qui ont réussi et constate que ces réussites ont un effet d’aimantation.
De plus, le recours au travail illégal reçoit le plus souvent l’aval tacite des autorités des pays d’accueil, ce au vu et au su de tout le monde (rien ne m’énerve plus que le terme de « clandestin »). D’ailleurs, le migrant arrivant en France trouve du travail dans les trois semaines, mais à des conditions « dégueulasses » [5], n’ayant accès à aucune protection sociale.
Les murs érigés, incomparablement plus meurtriers que celui de Berlin, n’enrayent aucunement l’immigration ; les immigrés passent ou reviennent inlassablement s’ils sont refoulés. Le raz de marée inéluctable faute de contraintes draconiennes relève pourtant si bien du fantasme que, dans les années 50-60, l’industrie automobile devait même recruter sa main-d’œuvre sur place en Afrique du Nord. Dans les années 70-71, une grande sécheresse, suivie d’une famine dans les pays du Sahel, n’avait produit aucun déferlement, quand bien même les frontières de la France étaient alors ouvertes.
Un droit fondamental
Enfin, si la migration est un fait incontournable, c’est aussi, ce n’est pas assez souligné, parce qu’elle est un droit. La liberté fondamentale d’aller et venir est la définition même de la liberté depuis l’aurore de l’histoire humaine. Les humains ne renonceront jamais à cette liberté individuelle, partiellement ancrée dans la « Déclaration universelle des droits de l’homme », art. 13.
Deux remarques encore :
– la migration est probablement la plus efficace des aides au développement, surtout parce que les fonds envoyés par les migrants dans leurs pays d’origine sont à l’heure actuelle très supérieurs à l’aide publique envoyée par les pays occidentaux. Selon l’évaluation de l’ONU, 150 milliards de dollars viennent des migrantset 100 milliards de l’aide publique
– toutes les expériences faites dans le monde, en particulier en Asie, montrent qu’il se produit un accroissement de la migration pendant une première période de développement.
Pour conclure, l’angélisme est bien du côté des gouvernants, qui prétendent endiguer la migration comme le roi de Perse Xerxès essayait d’endiguer la mer. Le réalisme consiste à progressivement organiser et aménager, comme toute liberté, la liberté de circulation et d’établissement.
Emmanuel Terray*, anthropologue, Cercle Migrations et Libertés (CMIL), Paris
* Anthropologue de métier, après avoir travaillé dans plusieurs pays d’Afrique et en Allemagne, Emmanuel Terray milite depuis 1996 dans le troisième collectif des sans-papiers de Paris. Ce résumé est basé sur l’enregistrement de son exposé oral. Qu’il soit remercié de l’entière liberté octroyée pour sa transcription.
Femmes migrantes et externalisation du travail domestique
Plusieurs invisibilités frappent les femmes migrantes sans statut légal : elles effectuent un travail « invisible » et qui n’est pas reconnu, le travail domestique, elles sont migrantes et, de surcroît, elles ne possèdent pas d’autorisation de séjour. L’invisibilisation des femmes dans les processus migratoires est un phénomène ancien et parler de « féminisation récente de la migration » contribue à perpétuer une vision fausse de l’immigration.
A Genève, la majorité des travailleuses et des travailleurs sans statut légal sont des femmes. Une grande partie d’entre elles travaillent dans le secteur de l’économie domestique. Cette conjoncture est notamment provoquée par une pénurie d’infrastructures dans le secteur de la petite enfance, des personnes âgées et/ou dépendantes et une « inégale » répartition (Delphy, 2004) [6] du travail domestique entre femmes et hommes. Ces deux facteurs obligent de nombreuses femmes à en déléguer une partie [7]. La migration féminine permet aux hommes et à l’Etat, dans les pays de réception, de ne pas avoir à assumer les travaux de reproduction, elle perpétue ainsi la division sexuelle et sexuée du travail (Oso Casas, 2005) [8].
Le travail effectué par les travailleuses domestiques demeure, malgré quelques velléités de définition, peu délimité. Les récentes tentatives de clarification, notamment du côté du Bureau International du Travail (BIT), ne rendent compte qu’approximativement des différentes activités qui le composent. Ce flou perpétue l’invisibilité de ce travail et a des conséquences sur sa reconnaissance comme sur sa rémunération.
A cela s’ajoute que le travail des femmes migrantes est généralement perçu comme un cadeau favorable à leur émancipation et, de ce fait, les bas salaires qui leur sont dévolus paraissent normaux.
Le dénominateur commun entre les différentes situations que vivent les travailleuses domestiques dans le secteur de l’économie domestique est l’absence de collectif de travail, dans le sens où elles sont confrontées de manière directe aux personnes qui les emploient. Dans ce contexte, les processus de négociation, tels que les revendications salariales, deviennent plus difficiles à conduire.
Actuellement, notre législation contraint ces femmes à rester dans ce secteur. En effet, elle verrouille de manière définitive la possibilité d’obtenir un permis pour les personnes dites non qualifiées – bien que leur niveau de formation soit dans les faits souvent élevé – et extra-européennes.
Comment continuer à construire un rapport de force suite à la « suspension » de la régularisation des travailleuses et des travailleurs sans statut légal ? Réfléchir à une défense contre la détérioration des conditions de travail et à la création de solidarités entre travailleuses et travailleurs du « Sud » et du « Nord » est un premier pas pour tisser des liens entre les multiples fractures, non seulement « Nord-Sud », mais également « Sud- Sud » et « Nord-Nord », auxquelles nous devons faire face.
Laetitia Carreras, ethnologue, Centre de Contact Suisse-Immigrés
Une revue féministe
L’excellente revue « Nouvelles Questions féministes » relaie la recherche féministe internationale sur les thèmes du sexisme et du racisme dans un monde en changement. Le 1er numéro de 2007 consacré au thème « Migrations : genre et frontières – frontières de genre » présente des recherches menées en Suisse. Par exemple, Magalie Gafner et Irène Schmidlin, juristes et militantes du droit d’asile, examinent les discriminations indirectes à l’égard des femmes résultant de l’adoption des deux sinistres lois Lasi et Letr. Des historiennes et des géographes ont suivi les trajectoires de migrantes et réfugiées en Suisse.
Dans deux numéros précédents (Nos 1 et 3, 2006), les chercheuses partageaient les âpres débats qui ont divisé les Françaises autour de la « question du voile » et du « postcolonialisme » inconscient. Aux voix défendant le principe de laïcité, Christine Delphy oppose la solidarité entre femmes qui doit toujours dominer les débats. Pour commander les anciens Nos de NQF : inedite inedite.com.
Une vidéo sur la migration
Une vidéo de Charles Heller
Crossroads at the Edge of Worlds
Reportage au cœur de la migration africaine, au Maroc où les migrants transitent et sont condamnés à rester entre désert et mer… dans ce contexte, ils organisent de nouvelles façons de vivre, de s’entraider, de dépasser l’enfermement, et nous proposent de nouvelles valeurs et de nouveaux espoirs pour l’humanité. A commander au réalisateur chazheller yahoo.com.
Maryelle Budry