Après trois décennies de “plein essor”, contrastant avec les difficultés économiques du reste du pays, et un vote en faveur de l’indépendance lors d’un référendum en 2017 (non reconnu par le pouvoir central), l’avenir du Kurdistan irakien “s’annonçait prometteur”. Mais “six ans plus tard, ce rêve s’est évanoui”, écrit The Economist.
Après le boom des trente dernières années, “les grues qui tournaient au-dessus d’agglomérations tentaculaires sont désormais parquées sur des constructions à moitié terminées”. Et en parallèle, l’Irak retrouve des couleurs grâce au retour d’une certaine stabilité et des revenus pétroliers en hausse.
Conséquence : Bagdad “rogne sur l’autonomie du Kurdistan” en reprenant progressivement le contrôle de certains leviers de souveraineté. Un diplomate occidental constate :
“Il y a un risque que le projet du Kurdistan [indépendant] échoue.”
Querelles intestines
“Les Kurdes sont en grande partie responsables de cette situation”, estime l’hebdomadaire britannique. En tout cas, leurs représentants politiques.
Entre les “familles féodales” des Barzani qui dirigent le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et des Talabani qui dirigent l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), les querelles se sont intensifiées depuis que “des fils impétueux aux personnalités conflictuelles” ont pris les rênes de ces partis en 2017.
Au point qu’une récente session du Parlement kurde s’est achevée sur une bagarre générale retransmise à la télévision. Et que les élections législatives, initialement prévues l’an dernier, ont été à nouveau reportées, jusqu’en février 2024.
Bagdad reprend la main
S’engouffrant dans la brèche, le pouvoir à Bagdad “profite de cette rivalité pour reprendre le pouvoir qu’il a perdu” depuis l’autonomisation du Kurdistan en 1991, à la faveur du soulèvement des Kurdes contre Saddam Hussein. Notamment en reprenant la main sur le pétrole du Kurdistan, grâce auquel la région semi-autonome se finançait et ce, sur la base d’une décision de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale datant d’avril dernier interdisant au Kurdistan de vendre son or noir directement à la Turquie.
Conséquences, les finances du Kurdistan “dépendent désormais de l’allocation mensuelle que Bagdad verse au gouvernement régional”, et les dirigeants kurdes se rendent régulièrement dans la capitale irakienne “pour demander l’aumône”.
Le gouvernement fédéral a, par ailleurs, placé ses hommes aux postes frontières et aux aéroports du Kurdistan, reprenant aussi le contrôle des frontières de la région. À Bagdad, le président irakien Abdel Latif Rachid, fonction qui revient systématiquement à un Kurde selon la constitution irakienne, est considéré comme une “marionnette” du régime.
Lâchés de toutes parts
Dans le sud du Kurdistan, l’armée irakienne et les milices chiites consolident leur emprise sur les territoires contestés repris aux Kurdes ces dernières années, allant jusqu’à “remodeler la démographie” de ces territoires. Et la langue arabe est en train de faire “son grand retour” dans la région semi-autonome, au détriment du kurde.
Autrefois, écrit The Economist, “les Kurdes auraient pu se tourner vers l’Occident”, mais l’intérêt occidental a “diminué”. Globalement, “la plupart des Kurdes sont découragés”, comme cet analyste à Erbil, capitale du Kurdistan qui affirme :
“Nous ne serons bientôt qu’une autre province d’Irak.”
“Le phare de l’indépendance qui brillait pour les quelque 30 millions de Kurdes dispersés en Turquie, en Iran et en Syrie commence à faiblir”, conclut le magazine.
Les Kurdes, écartelés entre quatre pays du Moyen-Orient, n’ont jamais accepté le traité de Lausanne de 1923 les privant d’un État indépendant sur les décombres de l’Empire ottoman et luttent dans chacun de ces pays en faveur d’une autonomie élargie, une lutte encore réprimée par certains pouvoirs centraux, notamment en Turquie.
Courrier International
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