Alors que les autorités cinématographiques empêchaient « Leila et ses frères » de sortir en Iran, son réalisateur a finalement été condamné à six mois de prison et à cinq ans d‘interdiction de tourner.
Devenu une véritable référence en Iran comme l’un des plus brillants cinéastes de la nouvelle génération avec trois films, adoubé par William Friedkin qui a qualifié sa Loi de Téhéran de 2009 comme étant « un des meilleurs thrillers [qu’il ait] jamais vu », Saeed Roustayi, 34 ans, vient d’être condamné à six mois de prison pour « propagande anti-régime », peine assortie d’une interdiction de tourner de cinq ans.
Le cinéaste a présenté en 2022 au Festival de Cannes Leila et ses frères, fresque hallucinée sur une famille ne parvenant pas à sortir de sa mouise économique en dépit d’un esprit d’initiative tous azimuts, film qui commençait d’ailleurs par des scènes de grèves et de protestations d’ouvriers dans une usine, trahissant le climat de tensions sociales dans le pays.
L’actrice principale du film, la star Taraneh Alidoosti, avait été arrêté en décembre 2022 avant d’être libérée trois semaines plus tard sous caution. Elle avait clairement affiché son soutien au mouvement « Femme, vie, liberté », postant des messages sur son compte Instagram, retirant son voile et protestant contre l’exécution de plusieurs manifestants.
« Effondrement extraordinaire »
Rencontré par Libération pour la projection de son film à Cannes, Saeed Roustayi expliquait, pour sa part, le rôle crucial du personnage féminin dans son film :
« Les femmes sont à l’avant-garde. En Iran, aujourd’hui, il y a deux fois plus de femmes à l’université que d’hommes, il y a un nombre croissant de femmes cheffes de famille. Et cette liberté, les femmes l’ont acquise. Rien ne leur a été donné. Elles ont été en première ligne de tous les combats pour maintenir leur place dans la famille et la société. »
Life and a Day, premier long métrage, inédit chez nous (mais plus pour longtemps, promet-on chez Wild Bunch), a attiré environ deux millions de ses compatriotes en 2016. La Loi de Téhéran, presque trois.
Mais fin juin 2022, les autorités cinématographiques iraniennes interdisaient de sortie Leila et ses frères en Iran, punissant ainsi le cinéaste et ses producteurs d’avoir « enfreint les règles en participant sans autorisation à des festivals étrangers, à Cannes puis à Munich ».
Le cinéaste, habitué des arcanes complexes des différents bureaux et strates de validation et vérification en Iran, pensait pouvoir lever cette interdiction par la négociation. Mais la censure réclamait des coupes allant jusqu’à amputer le film d’une bonne heure de récit, Leila notamment frappant son père dans une scène d’exaspération ultime, un geste hautement sacrilège selon les critères de bonne morale édicté le régime islamique.
« Je suis confiant, on va faire des réunions, discuter, se convaincre mutuellement. Mon film a coûté cher, il faut qu’il sorte. Des millions d’Iraniens attendent de le voir », disait-il à Télérama en juillet 2022.
Dans une autre interview à la même période parue dans le magazine Trois Couleurs disponibles dans les cinémas MK2, il va plus loin encore dans la dénonciation du présent de crise et d’inflation :
« Cela fait plusieurs années, depuis le deuxième mandat de Mahmoud Ahmadinejad, en 2009 [président de la République islamique d’Iran de 2005 à 2013, ndlr], que tous les jours on est confrontés à des catastrophes économiques. […]
Notre cinéma ressemble au néoréalisme italien. Nous sommes dans la même situation : nous vivons un effondrement extraordinaire qui abîme les corps, les âmes, qui affecte les relations humaines. Comment ne pas y penser ? Comment ne pas en faire des films ? »
« Etouffer cette révolution »
Le climat de répression en Iran ne cesse de croître afin d’étouffer définitivement le mouvement de révolte né après la mort le 16 septembre 2022 de l’étudiante Mahsa Amini.
Comme l’expliquait dans Libération, Azadeh Kian, professeure franco-iranienne de sociologie et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (Cedref) de l’université Paris-Diderot :
« Il suffit d’écouter le chef des Gardiens de la révolution, le général Hossein Salami, qui considère la protestation née à l’issue de la mort de Mahsa Amini comme la menace la plus importante planant sur le régime islamique d’Iran.
De ce fait, le régime mobilise tous les moyens en sa possession pour étouffer cette révolution qu’ils ne nomment jamais ainsi et qu’ils décrivent plutôt comme une propagande téléguidée par l’Occident. »
Le sort de Saeed Roustayi ne fait que confirmer que la faveur occidentale de ce cinéaste comparé à Coppola ou Scorsese pour l’ampleur et la virtuosité de son cinéma n’est plus tolérable aux yeux d’un régime acculé.
Rappelons que le cinéaste Jafar Panahi a lui même été emprisonné sept mois à la prison d’Evin et a finalement été libéré en février après protestations internationales et grève de la faim.