Un récent rapport d’Amnesty International dénonce un nouveau tournant autoritaire du régime des mollahs à l’encontre des femmes refusant le port obligatoire du voile. D’après la sociologue, ce durcissement témoigne de la peur du régime iranien de voir se réveiller la révolution à l’aube de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre.
En Iran, la répression à l’encontre des femmes se poursuit. Dans son dernier rapport, publié le 26 juillet, Amnesty International dénonce une « intensification de la répression » contre les femmes refusant le port obligatoire du voile.
Depuis avril dernier, date de la mise en place d’un nouveau plan de la police iranienne pour renforcer le contrôle du port du voile, l’ONG de défense des droits de l’homme note le redoublement de méthodes oppressives à l’instar de la fermeture forcée d’entreprises pour ne pas avoir fait respecter les lois sur le port du voile, l’interdiction d’accès aux services publics pour les femmes refusant le voile ou encore le retour de la police des mœurs, dissoute après le mouvement de protestation qui avait gagné le pays à la suite de la mort de la jeune Mahsa Amini.
Azadeh Kian, professeure franco-iranienne de sociologie et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (Cedref) de l’université Paris-Diderot, voit dans l’accentuation récente et inédite de la répression des femmes en Iran la volonté de faire taire la révolte d’un pays entier.
A l’aube de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, le régime se sent-il en danger ?
Oui, c’est évident. Il suffit d’écouter le chef des Gardiens de la révolution, le général Hossein Salami, qui considère la protestation née à l’issue de la mort de Mahsa Amini comme la menace la plus importante planant sur le régime islamique d’Iran.
De ce fait, le régime mobilise tous les moyens en sa possession pour étouffer cette révolution qu’ils ne nomment jamais ainsi et qu’ils décrivent plutôt comme une propagande téléguidée par l’Occident. Les femmes, qui en sont les emblèmes, sont au cœur de cette répression.
Le pouvoir judiciaire et le gouvernement ont proposé, en mai, un projet de loi dénommé « soutien à la culture du hijab et de la chasteté » qui suggère de renforcer les sanctions contre « toute personne retirant son voile dans les lieux publics ou sur Internet » avec des condamnations allant de la prison à la peine de mort. La police des mœurs a fait son retour.
Ces officiers arrêtent et interrogent régulièrement des femmes qui ne portent pas le voile. Les manifestations contre le régime se sont essoufflées, sauf au Baloutchistan et au Kurdistan, mais les femmes qui s’opposent au port du voile sont les dernières contestataires. Ainsi, l’intensification de la répression actuelle à l’encontre des femmes sert surtout de message à d’autres pans de la population.
L’ONG pointe des peines « dégradantes » comme l’obligation d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou de laver des cadavres à la morgue. Ces condamnations sont-elles inédites ?
Absolument. Depuis avril, nous assistons à des situations ubuesques : certaines célébrités contre le port obligatoire du voile ont été obligées d’aller consulter des psychologues !
Jusqu’alors, la législation instaurait des amendes ou des peines allant jusqu’à trois ans de prison. Néanmoins, ces peines dissuasives ne fonctionnent pas car les femmes continuent à refuser le voile obligatoire.
Certains ultraconservateurs sont partisans d’une aggravation des sanctions et proposent des peines comme la flagellation. Néanmoins, il n’est pas certain que l’ensemble des parlementaires votent ces propositions de loi d’une grande dureté. L’idée est surtout de les infuser dans la société pour instiller la peur à celles et ceux qui continueraient les protestations.
Aux yeux du régime, les conséquences d’un durcissement de l’appareil législatif sont incertaines. Ils craignent que la police refuse d’appliquer de telles dispositions. Elles seront probablement édulcorées lors du vote.
A quoi peut-on s’attendre pour la suite ?
La situation est disparate en fonction des endroits. Dans les grandes villes comme Téhéran ou Shiraz, les femmes continuent à ne pas porter le voile malgré les remontrances des policiers. D’ailleurs, ces derniers disent qu’ils ne peuvent pas faire face à l’opposition de millions de femmes !
A Qom ou à Machhad, des villes religieuses et conservatrices, les femmes qui ne portent pas le voile sont sévèrement réprimées et reçoivent peu de soutien de la part de la population.
La mobilisation s’est essoufflée, du fait de l’arrestation de plus de 20 000 manifestants, l’assassinat de plus de 530 d’entre eux et l’exécution d’une vingtaine d’autres, mais elle est loin d’avoir disparu.
Ce mois-ci, les musulmans chiites, majoritaires en Iran, célèbrent le deuil de l’Achoura qui marque l’anniversaire du martyre de Hussein, troisième imam de l’islam chiite. Dans plusieurs villes, des hommes et des femmes ont profité de ces commémorations religieuses pour rendre hommage aux morts tués lors des manifestations de l’an dernier.
Ces hommages ont énervé le régime qui perçoit bien que la révolution a toujours ses soutiens, et qui craint également la rentrée étudiante : elle coïncide avec l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, or, les jeunes et les universités étaient au cœur des mouvements de protestations.