La grève de 60-61 a été pour les jeunes militants ouvriers de l’époque et leur avant-garde d’une grande richesse en matière de combat et d’expérience. Deux générations différentes allaient se solidifier dans cette grève dite du siècle : celle d’avant-guerre, qui s’était forgée dans les grèves des années ’30, dans la Résistance et dans la grève lors de la Question royale, et la nouvelle génération.
C’était, pour nous les jeunes, une joie que de combattre aux côtés de la génération expérimentée de nos aînés. Dans les diverses réunions et assemblées de grévistes, les interventions fusaient de toutes parts. On sait que la grève a démarré par le débordement des appareils. Dans le secteur verrier, c’est la verrerie Gobbe qui démarra la première, Gilly, Barnum et les autres suivirent. En 1960, près de 15.000 ouvriers étaient occupés dans le secteur de la verrerie, essentiellement dans le bassin de Charleroi.
Le jour même du démarrage de la grève, les travailleurs de toutes les entreprises allèrent en cortège pour se réunir à la Ruche Verrière de Lodelinsart. La salle étant trop petite pour contenir les grévistes, une bonne partie resta à l’extérieur, sur la place de la localité. Une décision fut prise à cette première assemblée générale, celle de réunir tous les jours les piquets de grève et d’organiser au minimum une fois par semaine une assemblée générale des grévistes. Ainsi, les piquets de grève faisaient quotidiennement le point sur la situation.
À la verrerie de Gilly, il y avait un certain nombre de jeunes travailleurs qui, depuis 1955-1956, militaient dans les JGS [1] et les Jeunes métallos (mouvement de jeunesse FGTBiste qui n’existe plus aujourd’hui). Un bon noyau, dont je faisais partie, était membre des deux organisations. Nous étions dans toutes les réunions des piquets de grève car c’est de là que partaient pour ainsi dire toutes les initiatives et décisions à prendre. Il faut dire que, dans le cadre de la protection de l’outil, un nombre restreint de travailleurs étaient indispensables dans l’entreprise. Les comités de grève organisaient donc une tournante pour ces derniers. Ceux qui étaient désignés étaient en possession d’un laisser-passer avec le cachet de l’organisation syndicale. Personne d’autre ne pouvait travailler sans cette autorisation.
Les assemblées générales quant à elles étaient bien suivies par les grévistes. L’ambiance y était bonne. Il y avait pourtant des accrochages entre certains ouvriers encore inféodés à un syndicalisme corporatiste et les plus jeunes. Il faut savoir qu’en 1960, les syndicats des entreprises de fabrication de verre à vitre étaient affiliés à la FGTB mais restaient indépendants de toute politique au sein des appareils. Ils maintenaient toujours leur structure corporatiste et vivaient avec leur passé, glorieux certes, mais plus du tout adapté aux nouvelles méthodes de lutte nécessaires face à la centralisation du capitalisme. Ce n’est qu’en 1967 que l’ont intégra pleinement la FGTB.
À LA MAISON DU PEUPLE DE GILLY
La Maison du Peuple de Gilly était un lieu particulièrement important de la lutte et ce pour plusieurs raisons. Gilly était une commune fort industrielle qui comportait tous les secteurs d’industrie. De ce fait, la Maison du Peuple de Gilly fut toujours le théâtre des luttes d’avant et d’après-guerre. Mais c’était sa gestion qui lui donnait un caractère social tout à fait particulier. Elle était en effet gérée par les travailleurs eux-mêmes qui étaient actionnaires de l’établissement. Chaque année, une assemblée générale des actionnaires élisait le conseil d’administration dans la plus grande démocratie ouvrière.
Pendant toutes les années ’30, la Maison du Peuple fut gérée par Léon Lesoil [2] et ses camarades. Elle fut gérée jusqu’à la fin des années ’50 par ses anciens compagnons, mineurs et autres.
Chaque jour, pendant toute la durée de la grève de 60-61, il y avait une assemblée de grévistes dans cette Maison du Peuple de Gilly pour organiser, entre autres, les différents piquets de grève dans les entreprises. Dès 5 heures du matin, les piquets quittaient la Maison du Peuple. Ils avaient préparé, la veille, une équipe de volontaires, hommes et femmes, qui faisaient du café, de la soupe ou autre nourriture chaude afin de réchauffer les grévistes. Une grande et belle solidarité et un grand dévouement se partageaient quotidiennement.
Il y avait beaucoup de débats l’après-midi et le soir, surtout lorsque nous revenions d’une manifestation telle que celle où les gendarmes chargèrent les grévistes dans la ville haute de Charleroi. Nous, le groupe des jeunes militants que nous étions, prenions souvent la parole dans ces débats. Nous nous réjouissions lorsque les anciens mineurs et compagnons de Léon Lesoil prenaient position avec nous ou nous défendaient dans les débats. C’était pour nous une école de grande formation politique et syndicale.
LA REPRISE À GLAVERBEL
Si, pour beaucoup de travailleurs, la reprise du travail fut triste et amère, celle des travailleurs de Glaverbel fut pénible. Pendant la grève, un incident était survenu au four de Glaverbel-Gilly. L’arrêt pour réparation fut annoncé aux organisations syndicales. La direction de Glaverbel mit comme condition du rallumage la retenue de 1% sur les salaires en cas de prochaine grève sauvage. Ce pour cent de retenue sur les salaires devait servir au paiement des réparations du four sur une période de 5 ans.
En plus de cette retenue, tous les travailleurs durent signer un nouveau contrat de travail ce qui leur faisait perdre toute leur ancienneté. Les organisations syndicales et les travailleurs durent accepter ces propositions. La signature des nouveaux contrats de travail se fit au siège social de l’entreprise à Charleroi avec une haie imposante de gendarmes ceinturant les travailleurs. Ce fut dans ces conditions provocatrices et humiliantes que, les larmes aux yeux, les travailleurs durent signer leur nouveau contrat de travail.
Néanmoins, ils surent remonter la pente à travers la naissance d’une nouvelle avant-garde qui sut tirer les leçons et les enseignements de la grève et repartir ainsi pour de nouvelles conquêtes. Cette nouvelle avant-garde, regroupée en grande partie autour du bulletin La Nouvelle Défense, allait apporter un nouveau souffle, une nouvelle méthode de lutte.
André Henry