La proclamation de la « construction du socialisme » est faite les 9 et 12 juillet 1952. Une RDA placée sous la direction effective de Walter Ulbricht, secrétaire général du SED. Le premier plan quinquennal (1951-1955) est annoncé en 1951. Cela allait ouvrir une période où se combineront une pression politico-policière importante pour accroître l’intensification du travail – avec des menaces sur le salaire pouvant découler de l’échec à obtenir les « objectifs scientifiques » de production – et une priorité massive donnée à l’industrie lourde (plus facile à contrôler en se centrant sur quelques branches clés) au détriment de la production des biens de consommation durables, comme de consommation immédiate. Dans la presse – y compris dans des lettres de lecteurs – ressortait la pénurie des biens alimentaires. Ce qui précipita, en août 1952, la création des « coopératives agricoles de production », qui se déclinaient en trois catégories (selon des normes relativement similaires à celles de l’URSS pour le « secteur étatisé », mais avec des différences). Cette « réforme agraire » se heurta à de nombreuses difficultés qui n’étaient pas, seulement, le fait des ex-grands propriétaires, comme une certaine propagande de la presse stalinienne le faisait croire.
« La question agraire » s’est toujours heurtée à des impasses dans l’ensemble de ce qui fut qualifié de « bloc de l’Est ». Les « tensions sociales » dans le secteur agraire aboutirent au départ de dizaines de milliers de petits et moyens paysans à l’Ouest en 1952 et 1953. S’articulaient le rôle croissant de la police – la Stasi (abréviation de Staatssicherheit : Sécurité d’Etat) mise sur pied en 1950 – et les contraintes de « livraisons » qui, non respectées, aboutissaient à des mesures répressives. Dès lors, il ne fallait pas seulement « purifier » le secteur paysan, mais aussi le SED, qui n’avait « d’unifié » que le nom. Cette épuration frappa aussi bien les partis comme le SPD (absorbé dans un SED placé sous direction du PC, dès 1946) que l’Union chrétienne-démocrate, dont la figure Georg Dertinger est démis de son poste de ministres des Affaires étrangères, accusé « d’espionnage », en janvier 1953. Un affrontement, assez ouvert, se déroulait entre les jeunesses du PC (qui a toujours utilisé le nom de SED jusqu’en 1990) – baptisées « Jeunesses libres », au même titre que les « jeunesses » du PDA-PSdT en Suisse – et les jeunes du « courant évangéliques » (Junge Gemeinde). Dans les années 1980, il y a résurgence de cette force sociale et politique.
Contrairement à ce qui est parfois « avalé », aujourd’hui, la mort de Staline, en mars 1953, n’a pas suscité une diminution du dit « culte du Petit Père des peuples » en RDA. Au contraire, il se renforça : nouvelles statues, nouveaux noms donnés à des rues ou des usines. Le deuil est bien porté. Il y a là, simultanément, la traduction de tensions du sein du PC (SED épuré) et une sorte d’affirmation de l’orientation forcenée d’industrialisation. Elle devait faire de la RDA « l’exemple de la réussite » dans « l’ordre » d’un « socialisme typiquement allemand », faisant silence sur un passé tragique. Toute « unification allemande » était de la sorte renvoyée aux calendes grecques.
Les « exemples » doivent être « exemplaires ». Conclusion : en mai 1953 est décidée une augmentation des normes de travail de 10%, avec chronométreurs tatillons comme contremaîtres de la « construction du socialisme ». Pour mener à bien le projet, il fallait neutraliser les activités syndicales, pourchasser les syndicalistes et développer une campagne contre les multiples résistances, allant du sabotage, parfois, aux multiples formes classiques de la résistance ouvrière passive. Le 9 juin 1953 – la remontée des informations sur le malaise croissant est massive – le Bureau politique du SED se fend d’une déclaration qui, d’une part, met l’accent sur l’importance de « l’élévation du niveau de vie » et, de l’autre, « sur le renforcement de la légalité », tout en reconnaissant qu’une aide serait allouée aux « paysans individuels » – y compris aux « gros et moyens » qui pourraient récupérer des terres et disposer de crédits – ainsi qu’au « petit commerce ».
Une crise sociale d’ampleur couvait depuis des mois. Un « cours nouveau » économique est proposé par le SED. Les travailleurs et travailleuses saluent cette décision le 15 juin qui ouvre une brèche pour l’expression de revendications ; le 17 juin, ils se soulèvent.
Nous publions ici – sous la forme de deux volets – un dossier sur cette révolte populaire. la première de cette ampleur dans un prétendu « pays socialiste » de l’« Est nouveau ». Cette histoire tisse toujours des éléments du présent car liés à un « bilan prospectif », condition nécessaire (certes pas suffisante) pour tracer les lignes de force d’un « projet socialiste » effectif. En outre, l’historiographie officielle de la RDA – qui ne négligea pas ses efforts – a encore prise dans des composantes de la « gauche radicale » ou qui se camouflent dans des alliances qualifiées génériquement de « gauche ensemble » : deux termes assez confus. En effet, les thèmes du rôle des « provocations américaines » (de Berlin-Ouest), de celles d’« anciens nazis » (dont plus d’un a été intégré sans difficulté dans le SED), de la revendication d’« élections libres » (sic) auraient une valeur explicative de ce soulèvement populaire, qui a contraint les forces militaires de l’URSS à intervenir pour « rétablir la légalité ».
Le dossier publié sur le site est divisé en deux parties :
• l’une comportant l’article de Gareth Dale, un historien connu pour ses travaux sur les mouvements populaires en RDA (ESSF article 67412), RDA : Berlin, le soulèvement populaire du 17 juin 1953 (II) – Une analyse historique
• la seconde, en reproduisant deux textes issus, sur le moment, par des composantes du « mouvement trotskyste » (ESSF, article 67413), RDA : Berlin, le soulèvement populaire du 17 juin 1953 (III) – Analyses à chaud.
Rédaction A l’Encontre