La vague #MeToo déferle sur Taïwan. Depuis quelques semaines, la série Wave Makers, disponible sur Netflix, “a fait surgir plus d’une douzaine d’accusations #MeToo impliquant, dans la vie réelle, des personnalités politiques de l’île autonome, alors qu’elle se prépare, elle aussi, à la tenue d’une élection présidentielle en janvier 2024”, rapporte CNN.
La série suit la vie d’une équipe de campagne d’un parti politique taïwanais fictif pendant la période précédant une élection présidentielle. Et explore notamment les problématiques liées au harcèlement sexuel dans le milieu professionnel.
Démissions en cascade
Comme le souligne la BBC, “ces quinze derniers jours, plus de 90 personnes se sont exprimées pour dénoncer des agissements commis par différentes personnalités de l’île”. Les accusations se sont d’abord concentrées sur la politique et le Parti démocrate progressiste, au pouvoir, dont plusieurs hauts fonctionnaires ont démissionné.
Mais ces dénonciations se sont étendues à l’ensemble de la société taïwanaise, avec des allégations concernant des médecins, des professeurs, des arbitres sportifs et même des youtubeurs.
À la suite de l’article de CNN, le quotidien chinois Lianhe Zaobao a établi une liste non exhaustive de personnes concernées par les accusations de harcèlement sexuel. Cette dernière comporte notamment les noms de Wang Dan, figure de proue du mouvement démocratique pendant les manifestations de Tian’anmen, Wang Jianzhuang, président du journal Shangbao (Up Media) ou encore Liu Yongjia, rédacteur en chef adjoint du China Times.
La chaîne d’information en continu américaine estime que ces révélations risquent de “rendre encore plus incertaine l’élection présidentielle, pourtant d’une importance capitale”, d’autant plus avec les tensions actuelles entre Taipei et Pékin.
La présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, a par ailleurs présenté des excuses publiques dans une publication sur Facebook.
“En tant qu’ancienne présidente du parti, je dois en assumer l’entière responsabilité”, a-t-elle écrit dans un message publié le 2 juin, s’engageant à “réfléchir à [ses] erreurs”.
“Point de ralliement”
La tournure des événements a surpris les créatrices de Wave Makers. Peng Wei-chao et Chien Li-ying ont déclaré qu’elles ne s’attendaient pas à de telles répercussions, étant désormais témoins “des ‘grands remous’ que cela occasionne chaque jour.”
“Depuis son lancement, fin avril, la série, extrêmement populaire, sert de base de discussions sur le harcèlement sexuel”, a expliqué à CNN Wen-Ti Sung, un analyste politique établi à Taipei.
“Elle a également permis aux victimes, qui se sont manifestées, de disposer d’un point de ralliement pour bénéficier de soutien et renforcer leur solidarité.”
Une femme appelée Liao raconte avoir été harcelée sexuellement alors qu’elle travaillait pour une campagne électorale locale pour le Parti démocrate progressiste, il y a seize ans. Elle a déclaré à CNN qu’en regardant Wave Makers elle s’était souvenue de tous les problèmes qu’elle avait elle-même rencontrés autrefois.
Il lui aura fallu deux tentatives pour que la police enregistre sa plainte pour harcèlement sexuel, et un an pour qu’un organisme gouvernemental “servant de médiateur” statue et reconnaisse le bien-fondé de ses accusations, précise le média américain.
Liao raconte que l’organisme lui a alors dit qu’elle pouvait porter l’affaire devant les tribunaux, mais qu’en tant que jeune diplômée elle n’avait pas les moyens de financer une action en justice. “Finalement, j’ai laissé tomber”, déplore-t-elle.
Mais cette dernière a encore espoir. “Même si la vague #MeToo est arrivée à Taïwan avec cinq ans de retard, ce serait super si elle pouvait donner l’occasion de revoir les lois obsolètes sur le harcèlement sexuel”, a-t-elle confié à CNN.
Leslie Souvanlasy
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