Pouvez-vous nous parler de l’histoire de votre centre et de ses activités avant et après le 24 février ?
Notre initiative LGBT+ à Loutsk est apparue en 2019, lorsque l’ONG Insight a soutenu le désir des personnes LGBT+ de la ville d’avoir leur propre centre culturel et de mener des activités militantes. Jusqu’au 24 février 2022, nous nous sommes développés de manière dynamique : des conférences éducatives, des événements culturels et éducatifs à la création d’un lieu de représentation à part entière, avec notre bureau en 2021. C’était et c’est toujours très difficile, car la région de Volyn est conservatrice. Et les autorités de Loutsk sont ouvertement homophobes depuis des années. Au fil des ans, la municipalité de la ville a lancé à plusieurs reprises des appels à la Verkhovna Rada d’Ukraine, demandant d’interdire les actions publiques de la communauté LGBT+, ou des lois qui garantiraient l’égalité des droits pour les personnes LGBT+, et ainsi de suite. Malgré un environnement difficile et souvent hostile, le bureau de représentation de l’ONG Insight à Loutsk a participé à des événements organisés dans toute l’Ukraine, tels que la Marche de l’égalité et la Marche des femmes. En 2021, une petite marche des femmes LBT de Loutsk a été organisée pour la première fois dans la ville.
L’invasion massive de la Russie a changé beaucoup de choses. Insight a participé activement à l’aide humanitaire dans son ensemble. Malgré toutes les difficultés, nous avons continué à fonctionner à Loutsk en tant qu’unique centre LGBT de la ville. Alors que, selon la loi, les actions publiques sont impossibles pendant la loi martiale, la communauté LGBT+ de Loutsk a lancé la collecte de signatures pour une pétition adressée au président Zelensky, lui demandant de soutenir le projet de loi sur les partenariats entre personnes de même sexe. Elle a également écrit des lettres aux commissions et aux députés de la Verkhovna Rada, afin qu’ils soutiennent le droit des personnes LGBT+ aux partenariats. Personne n’a cessé d’agir. Et nous continuons en tant qu’unique centre culturel LGBT+ dans la ville.
Quelle est la situation de la communauté LGBTQIA+ en Ukraine et en particulier dans la ville de Loutsk ? Je sais, par exemple, que de nombreux représentants de la communauté LGBTQIA+ font partie des forces armées ukrainiennes.
En raison du conservatisme et de la religiosité de la région (en particulier de la génération plus âgée), les personnes LGBT+ sont restées repliées sur elles-mêmes pendant des années. C’est l’activité de l’ONG Insight dans la ville qui a commencé à changer cette situation. Les gens ont compris qu’ils et elles pouvaient être fier·es de ce qu’ils et elles étaient. Qu’il valait la peine de se battre pour ses droits. Malgré cela, de nombreux lieux [que nous fréquentons] sont encore fermés pour des raisons de sécurité.
Au début de la guerre, de nombreux représentants de la communauté LGBT+ se sont portés volontaires dans les forces armées ukrainiennes pour défendre leur pays contre les envahisseurs russes. Je connais personnellement l’histoire de gays, de lesbiennes et de femmes transgenres de Loutsk et de la région de Volyn en général qui servent actuellement. L’armée n’est toujours pas un lieu tolérant. Récemment, une enquête a été menée sur la présence de personnes LGBT+ dans ses rangs, ce qui était très loin de préserver l’anonymat et faire preuve de respect. Néanmoins, les personnes LGBT+ s’y engagent, en se ralliant à l’organisation LGBT+ dans l’armée d’Ukraine [2]. Nous avons également une femme militaire ouvertement LGBT+ à Volyn, qui était avant la guerre une volontaire Insight à Loutsk - Maria Zhmud. Mais il y a beaucoup de militaires [LGBT+], y compris ceux et celles qui, pendant les rotations, restent à Loutsk pour une courte période avant de retourner au front et viennent ensuite dans notre centre communautaire.
Parlons de l’attaque terroriste du 13 juin. Que s’est-il passé ? Quelles sont les implications pour vous ? Qui, selon vous, a commis ce crime de haine ?
Ils ont fait irruption dans notre bureau pendant la nuit et l’ont détruit, brisant les portes et le saccageant. Malheureusement, de tels cas ne sont pas isolés : avant même le début d’une guerre à grande échelle, des bureaux d’Insight ont été attaqués à Kyiv et à Odessa. L’enquête est en cours et les suspects ont été arrêtés. Mais en raison de l’absence d’une loi sur les crimes de haine dans notre pays, où la responsabilité des crimes fondés sur l’homophobie et la transphobie serait punie, il est fort probable que cela n’apparaisse pas dans les procédures pénales. Il ne devrait pas en être ainsi. Un projet de loi sur ce sujet est resté en suspens à la Verkhovna Rada de l’Ukraine pendant des années. Ces attaques et les peines légères infligées, ou leur absence, démotivent les personnes LGBT+. Elles ne se sentent pas en sécurité, elles souffrent de blessures physiques et psychologiques, elles ont peur de s’ouvrir, de se battre pour leurs droits. Nous attendons une enquête équitable. Mais pour l’instant, nous sommes obligés de nous occuper nous-mêmes des protocoles de sécurité, en tant qu’organisation publique. Cela ne devrait pas être le cas, il est du devoir de l’État d’assurer la protection de ses citoyen·nes.
Comment voyez-vous l’avenir de la communauté LGBTQIA+ ? Quel combat devrait-elle mener ?
Je pense qu’avec le mouvement d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, nous serons en mesure de gagner un certain nombre de droits pour la communauté LGBT+. Il est maintenant important de passer à l’activisme au niveau des pétitions, des lettres et des déclarations adressées aux politiciens et aux autorités ukrainiennes. Former des coalitions d’alliés. Et de soutenir les gens sur le plan humanitaire, de préserver les centres communautaires en tant que centres de la vie publique des communautés LGBT+ dans les villes ukrainiennes. La guerre finira par se terminer et je crois que, d’une manière ou d’une autre, ce sera une victoire, avec le départ définitif de la Russie, de nos valeurs et de l’intégration de l’Ukraine dans le monde occidental libre. Le retour aux actions publiques redeviendra alors important. Aujourd’hui, il est important de préserver les organisations LGBT+, le mouvement militant. Mais aussi d’aider le personnel militaire LGBT+.
Patrick le Tréhondat
Yana Lyshka
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