“Que la révolution aille se faire foutre ! Qu’y a-t-il de glorieux à faire sauter une bombe dans un défilé d’anciens combattants qui ont fait briller leurs médailles pour les commémorations de l’Armistice ?” Sur scène, à Denver, Bono laisse échapper sa colère (vidéo ci-dessous). En ce 8 novembre 1987, l’Armée républicaine irlandaise (IRA) vient de commettre un attentat sanglant dans la ville d’Enniskillen, en Irlande du Nord. Les Troubles font rage dans cette région du Royaume-Uni, entre paramilitaires nationalistes, pour la réunification de l’île, paramilitaires unionistes, fidèles à la couronne d’Angleterre, et autorités britanniques.
Au moment d’entonner leur emblématique Sunday Bloody Sunday, ce soir-là, de l’autre côté de l’Atlantique, lui et son groupe, U2, vedettes du rock irlandais, brandissent un drapeau blanc. “Comme ils ont pris l’habitude de le faire depuis la sortie du titre, en 1983”, précise le Belfast Telegraph. Au cas où cet hymne en hommage aux 14 civils massacrés à Derry par l’armée britannique le 30 janvier 1972 “était interprété comme un acte rebelle”.
Les Irlando-Américains dans le viseur
Car Bono, né Paul Hewson en 1960 à Dublin, tient en horreur les paramilitaires de tout bord, souligne le journal nord-irlandais. “Il n’a jamais eu peur de défendre ouvertement la paix, abonde l’Irish Independent. Pendant que beaucoup cherchaient à radicaliser les jeunes en présentant l’IRA sous un jour romantique, Bono conspuait publiquement son action.” Au point de devenir, avec son épouse, leur cible, assure-t-il dans ses Mémoires, publiés le mardi 1er novembre. “Le chanteur, développe le journal dublinois, se souvient aussi que Gerry Adams [l’un des leaders nationalistes de l’époque] avait dit de lui qu’il était ‘puant’ parce que ‘l’opposition de U2 aux paramilitaires avait privé l’IRA de soutiens financiers importants aux États-Unis’.” Ces intimidations “ne me disent rien”, a rétorqué l’ancien dirigeant dans une chronique publiée par un journal local nord-irlandais ce mois d’octobre.
Une chose est sûre, reprend le Belfast Telegraph, “le groupe a fréquemment veillé à ce que son succès aux États-Unis dans les années 1980 ne soit pas associé aux collectes de fonds pour l’IRA organisées par les expatriés irlandais”. À Denver, il s’en prend d’ailleurs dans sa diatribe aux “Irlando-Américains qui ne sont pas retournés dans leur pays depuis vingt ou trente ans et viennent [me] parler de résistance”.
“Rectitude et intégrité”
Quelques années plus tard, en mai 1998, l’engagement pacifiste de Bono atteint son apogée lors d’un concert donné au Waterfront Hall de Belfast. Les électeurs nord-irlandais s’apprêtent alors à se prononcer sur les accords de paix du Vendredi saint, signés le 10 avril. Devant la foule, Bono fait acclamer les dirigeants des principaux partis unionistes et nationalistes, main dans la main. “Une semaine plus tard, le oui l’emportait, rappelle le Belfast Telegraph. Le pouvoir que les musiciens populaires ont sur les jeunes ne doit pas être sous-estimé.”
Ce moment “historique” reflète la “rectitude” et l’“intégrité” de Bono, évidentes à la lecture de son autobiographie, titrée Surrender (“Rendre les armes”, mais aussi “S’abandonner”), note The Times. “Et ce malgré son côté pompeux et prétentieux.”
“C’est sans doute la star du rock à la fois la plus aimée et la plus détestée de notre époque”, renchérit The Daily Telegraph. Adulée pour sa musique et ses innombrables œuvres humanitaires, haïe en raison de son “ego surdimensionné” et des soupçons d’évasion fiscale provoqués par la décision de U2 de se domicilier aux Pays-Bas en 2006. “Ce ‘faiseur de bien’ aux lunettes ostentatoires et à la coupe de cheveux douteuse est le type de rock star que vous ne pouvez pas ignorer, même si son œuvre musicale vous laisse froid”, résume le journal conservateur de Londres.
Un jour sans fin en Irlande du Nord
Vingt-quatre ans après les accords du Vendredi saint, Bono se fait plus discret. En Irlande du Nord, au contraire, le Brexit a réveillé les vieilles tensions. Une frontière douanière sépare désormais la province du reste du Royaume-Uni, au grand dam des unionistes. Les nationalistes de Sinn Féin, eux, ont remporté les législatives locales pour la première fois de l’histoire, en mai dernier. “Le principal parti unioniste, le DUP, avait prévenu à l’époque qu’il ne formerait pas de gouvernement local avec les nationalistes, comme le prévoit pourtant l’accord de paix de 1998”, indique The Guardian.
“Il a tenu promesse, et, résultat, le délai pour la mise en place d’un exécutif a expiré, vendredi 29 octobre. De nouvelles élections vont avoir lieu dans les mois à venir, a confirmé Londres. Mais à quoi bon ? Répéter le même processus encore et encore n’apportera pas de solution magique. En Irlande du Nord, c’est un long jour sans fin.”
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