Le groupe vit mal. C’est ce que confient, ces derniers jours, plusieurs parlementaires de La France insoumise (LFI), qui se disent exténué·es par des échanges violents avec le noyau dur dirigeant du mouvement. La constitution du nouveau bureau du groupe parlementaire, mardi 23 mai, a fait resurgir les tensions mises entre parenthèses pendant la bataille des retraites.
Clémentine Autain et Alexis Corbière, à qui une place était proposée dans l’organigramme (respectivement la bataille parlementaire et la lutte contre l’extrême droite), l’ont refusée, au grand dam du coordinateur de LFI, Manuel Bompard, soucieux de ne pas générer une nouvelle polémique.
« Notre départ se fait dans une volonté d’apaisement, pour tenter d’abaisser le niveau de tension interne, et parce qu’il reste des différences d’approche politique entre nous, qui ont à voir avec la culture politique et le pluralisme », explique la députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain.
« Je souhaite qu’ils continuent [à être membres du bureau – ndlr], y compris pour discuter d’éventuelles différences de point de vue, et parce qu’ils ont une expérience utile, mais je respecte leur choix et je sais qu’ils continueront à travailler en dehors du bureau », regrette pour sa part sa collègue Aurélie Trouvé. Contacté, Manuel Bompard n’a pas souhaité répondre.
Lors d’une réunion publique de la Nupes contre la réforme des retraites, à Villeurbanne, le 10 février 2023. © Photo Stéphane Audras / REA
Dans le bureau précédent, Clémentine Autain et Alexis Corbière participaient à l’intergroupe de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). Cette tâche sera désormais assurée par Manuel Bompard, la présidente du groupe Mathilde Panot et la députée de Paris Danièle Obono.
François Ruffin, lui, n’a pas souhaité rempiler pour un deuxième mandat d’un an – Damien Maudet, député de la Haute-Vienne et son ancien collaborateur parlementaire, le remplace. Pascale Martin, députée de la Dordogne et militante féministe, qui avait haussé le ton contre la première réaction de Jean-Luc Mélenchon à l’affaire Quatennens, n’a pas non plus souhaité renouveler l’expérience, humainement difficile.
Ces défections ravivent la crise déclenchée par la mise en place de la nouvelle direction de LFI, en décembre 2022. Plusieurs figures de l’insoumission, qui avaient participé à trois campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon et avaient été parmi les premiers et premières députées du mouvement en 2017, en avaient été écartées, ce qu’elles avaient dénoncé dans la presse. Depuis, elles ont fait l’objet d’un procès en déloyauté permanent, invisibilisant leurs demandes de plus grande démocratie interne et de prise en compte du pluralisme des sensibilités.
« Tout le monde a droit à des vacances. Les éléphants aussi », avait réagi le député Paul Vannier à une interview d’Alexis Corbière dans Le Monde, en décembre 2022. « Toute la une pour nous salir », avait commenté Jean-Luc Mélenchon, à la suite d’une interview de Clémentine Autain dans Libération à la même période.
Leur refus de siéger au bureau du groupe est donc le signe d’un ras-le-bol face à la « violence politique » dont ces deux historiques de LFI disent faire l’objet. En cause : des échanges dans la boucle Telegram du groupe LFI, à laquelle Jean-Luc Mélenchon est le seul non-député à participer, et un sentiment d’impuissance relative du bureau du groupe, dont la réunion a lieu le mardi après que les décisions politiques ont été réellement prises lors d’une cascade de réunions de la coordination de LFI (dont Jean-Luc Mélenchon est membre) le lundi.
La volonté d’apaisement qu’ils ont formulée n’a cependant pas eu d’effet. Dans Le Parisien, sous couvert de l’anonymat (ce qui est d’habitude reproché aux personnalités critiques de la ligne), Alexis Corbière et Clémentine Autain sont qualifiés de « bande des melons » par un député insoumis. « Je regrette vivement les propos assez injurieux tenus en off dans Le Parisien, qui sont révélateurs d’un climat qu’une petite poignée de personnes tente d’imposer », réagit Alexis Corbière, qui n’en dira pas plus, pour ne pas alimenter de nouvelles polémiques.
À l’échelle du mouvement, des demandes de démocratisation
Cette algarade intervient alors que le 15 mai, Manuel Bompard a reçu une lettre signée par 300 militant·es, dont des coanimateurs de groupes d’action (GA) du mouvement. Cet appel « pour la Sixième République à La France insoumise » rejoint les demandes de démocratie interne à l’échelle du mouvement formulées notamment par Clémentine Autain à ses dernières universités d’été. « Nous traversons une véritable crise interne liée aux décisions “verticales” à répétition que nous subissons », écrivent-ils, ajoutant que « des camarades s’éloignent découragés alors même qu’ils restent en accord avec notre projet commun ».
Les initiateurs de cet appel réclament la tenue d’une « convention militante » visant à remettre à plat le fonctionnement interne. Loin du triomphalisme affiché par la direction de LFI au sortir de la mobilisation contre la réforme des retraites, dans laquelle ils n’ont pas ménagé leurs efforts, ils considèrent que leur « mode de fonctionnement actuel n’est pas à la hauteur des enjeux qui secouent le pays ».
François Ruffin et Clémentine Autain lors d’une réunion publique contre la réforme des retraites à Paris, le 10 janvier 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
« Qui souhaiterait rejoindre une force dans laquelle les décisions sont monopolisées par un petit groupe de personnes ? L’affaiblissement de notre influence doit nous faire réagir. Des militants nous quittent, des sympathisants s’éloignent, les travailleurs ne s’engagent pas avec nous », s’inquiètent-ils. Plusieurs député·es ont demandé à ce qu’une réponse leur soit faite.
Enfin, parallèlement, Manuel Bompard a fait savoir son mécontentement aux dirigeants de la Gauche écosocialiste (GES), un microparti inscrit au sein de LFI, dont Clémentine Autain est membre, et qui a tenu son congrès de fondation le 11 mai. Le député Hendrik Davi, un des dirigeant·es de la GES, a eu le malheur de la qualifier de « courant » – un terme banni dans le mouvement mélenchoniste, réfractaire aux guerres de positions internes. « Il n’y a pas et il n’y aura pas de courant à LFI », a répliqué Manuel Bompard dans une lettre citée par Le Monde.
« J’utilisais le mot “courant” au sens de courant de pensée, pas au sens de courant interne. C’est un non-débat », corrige Hendrik Davi, qui précise que la GES « partage le programme et la stratégie de LFI, et s’inscrit pleinement dedans », au même titre que le Parti ouvrier indépendant (POI) ou la Rev (Révolution écologique pour le vivant) d’Aymeric Caron. Pour autant, la GES souhaite porter l’idée du pluralisme à LFI. En 2019, Hendrik Davi co-signait un texte avec Charlotte Girard (responsable du programme, qui a fini par quitter LFI), dans lequel ils regrettaient qu’« aucune véritable instance de décision collective ayant une base démocratique n’a[it] été mise en place » à LFI.
« Au groupe, les 75 députés sont égaux, et à chaque fois qu’il y a eu un désaccord, on a voté. Mais à LFI, l’équation est beaucoup plus difficile, car il n’y a pas d’adhérents. Je pense qu’un engagement des gens dans la durée doit se justifier par la délibération sur un document d’orientation. Il y a des moments politiques où il faut faire des choix, il faut donc savoir qui décide », défend Hendrik Davi.
Dans un courrier en réponse à Manuel Bompard, la GES se défend : « Nos propositions, comme celles de beaucoup d’autres insoumis, s’inscrivent dans une réflexion pour améliorer le fonctionnement démocratique, l’efficacité, l’ancrage territorial de notre mouvement. » Une rencontre est prévue.
Sur l’ancrage local, la mise en place des « boucles départementales », qui a lieu ces jours-ci, pourrait répondre à une partie des demandes. Au sommet du mouvement, cependant, la crispation est palpable, sur fond de course interne pour la présidentielle de 2027. « Il faut trouver un modus vivendi pour bien vivre ensemble. C’est une responsabilité collective d’y arriver, pour incarner l’alternative à la Macronie et à l’extrême droite », conclut Clémentine Autain.
Mathieu Dejean