Le blasphème d’abord
Il possède une dimension émancipatrice, qui dépasse le cadre de « la liberté de critique des religions », thème que j’ai abordé récemment à partir de la problématique du MRAP [1]. Pour conserver cette fonction critique et libératrice, il ne saurait couvrir une forme quelconque de racisme. En fait, il a une dimension anti-autoritaire que l’on ne saurait évacuer et plus largement encore on peut y déceler une dimension anti-fétiches. Et, à lire Alain Bihr par exemple, ils sont nombreux les processus contraignants échafaudés hors de l’intervention citoyenne ainsi que les dispositifs abstraits ou institutionnels déifiés fétichisés, placés au-dessus des humains rabaissés par le même coup au rand d’objet ou de serviteurs dociles. [2]
La question du blasphème suppose donc une première réflexion sur l’amour et le respect mais aussi sur la place de l’humain dans son environnement institutionnel. Elle suppose à la suite d’admettre avec prudence que l’amour et la tolérance n’est pas possible partout. En somme il convient de savoir sûrement ce que l’on n’aime pas, ce que l’on ne saurait tolérer. Je donne une indication de Max Pages sans la poser comme modèle : « Aimons ceux qui se laissent aimer et qui aiment de façon non-répressive et combattons les autres, c’est-à-dire toutes les autorités, sans les aimer ». [3]
Le mécréant ensuite
Je ne sais si je reste ici dans l’esprit qu’en a fait récemment le philosophe Daniel Bensaïd dans son ouvrage Fragments mécréants : sur les mythes identitaires et la République imaginaire [4] mais celui-ci m’a inspiré.
Le mécréant passe pour un être paradoxal : il est sans Dieu ni morale (mais pas sans éthique) et pourtant il est très engagé pour se libérer et libérer le monde de ses maux privés et publics. Etrange ! Le mécréant blasphème contre le sacré mais respecte et valorise les être humains réels . Ainsi un mécréant masculin ne blasphémera pas (sauf par jeu bien compris comme tel) les filles sexy : il soutiendra « la journée de la jupe » (voir blog chrismondial) et il critiquera par contre les pub sexistes. Donc point de « pétasse » ou de « pute » dans le langage ordinaire du mécréant, pourtant ces dernières peuvent à l’occasion faire fantasmer sans la moindre culpabilité. Mais l’image fantasmée n’est pas, et de loin, la vie réelle aliénée et bien souvent misérable des prostituées. Le réel n’est pas pleinement acceptable.
1 – BLASPHEME CONTRE LA RELIGION et certaines pratiques des croyants
Les blasphèmes contre la religion sont autorisés puisqu’il ne s’agit que de se moquer d’une croyance ou d’un ensemble de croyance alors que les blasphèmes contre les croyants eux-mêmes ne sont pas tolérés. Encore qu’il faille analyser plus précisément la portée critique du blasphème. Ainsi dire « Je pisse (verbalement) sur tous les signes religieux ostensibles (sans discrimination entre eux) » ce n’est pas mépriser les croyants, surtout pas les croyants de mentalité laïque qui adoptent une attitude discrète et pacifique. Ce n’est même pas mépriser les différentes religions, c’est critiquer une attitude jugée excessive, c’est blasphémer le comportement publicitaire des personnes qui s’apparentent à des « hommes sandwicht » qui font de la pub pour leur produit religieux.
2 – BASPHEME CONTRE LE MARCHE ?
Le marché n’a pas de religion. Il ne porte aucune dimension sacrée susceptible d’être rabaissé à un niveau humain et terrestre. C’est plutôt ici l’inverse qui serait critiqué dans la mesure ou l’humain est rabaissé au rang infra humain d’objet. En fait, la société marchande est vide de sens ou plutôt laisse à voire une « foire au sens » (A Bihr) ou chacun prend ce qu’il veut ou ce qu’il peut (principe de solvabilité pour l’acquérir). La société marchande est aussi critiquable par ce qu’elle n’offre pas, ce qu’elle empêche de produire (des services publics par exemple) mais pas par ce qu’elle impose car elle ne fait que proposer à des individus libres, qu’offrir à un demandeur potentiel. Lorsqu’elle le fait mal (pub sexiste par exemple) ou avec trop d’insistance (multitude de panneaux publicitaires par exemple) elle est aussi critiquée et bridée.
3 – BLASPHEME CONTRE LE REPUBLICANISME
Faire un bras d’honneur à la messe républicaine, qu’est l’hymne national c’est refuser les embrigadements sans abandonner l’esprit citoyen, sans nécessairement méconnaître les avantages du régime républicain.
M. Jérôme Rivière, député, voulait que l’hymne national soit obligatoirement enseigné à l’école pour favoriser l’intégration. Il n’a heureusement pas été suivi.
[5]
Pisser (en parole) sur le drapeau tricolore ce n’est pas plus ignorer l’existence de la Nation. Je préfèrerais quant à moi qu’une réflexion soit menée sur le triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité » mais avec esprit critique, sans fétichisme ni dogmatisme.
4 – BLASPHEME CONTRE L’AUTORITE (le père, le chef, etc…).
« Nique ta mère » disent ceux qui provoquent le scandale contre ce qu’il y a de plus sacré après Dieu (pour ceux qui y croient) ? Pourquoi pas « nique ton père » ? Après tout si le père représente l’autorité et surtout l’autorité répressive et le pilier de la famille patriarcale alors le blasphème du père est essentiel pour grandir. Du moins à condition de ne pas oublier aussi que l’adolescent a besoin du père pour se construire et se socialiser. Max Pages encore : « Les autorités parentales sont à la fois répressives et aimantes. Il en résulte un lien psychologique indissoluble entre l’expérience du plaisir et celle de la répression, un lien indissoluble avec les autorités qui fait que les autorités même répressives sont aimés/ ». Ce qui explique pourquoi certains vénèrent le père, la famille patriarcale, l’autorité policière ou militaire quand d’autres, aux esprits plus libertaires, blasphèment le patriarcat, la police répressive.
Au-delà du blasphème
En fait au-delà du blasphème et sa dimension individualiste c’est une critique théorique et pratique sérieuse qui est requise ici. Il y a certes besoin de police et de sécurité mais l’évolution de la police en France disons depuis le rapport Bonnemaison et l’ouvrage « Le désordre policier » inquiète les personnes éprises de liberté. [6] La question de la société de contrôle est posée et elle dépasse désormais le simple cadre du comportement de la police.