Signalés depuis novembre, des cas inexpliqués d’intoxications d’étudiantes se sont de nouveau produits dans tout le pays mercredi. Cette vaste opération pourrait être le fait d’éléments radicaux voulant priver les filles d’éducation.
Certaines élèves ont senti « un parfum de mandarine », d’autres ont évoqué une « odeur de poisson pourri ». Puis elles ont été victimes de malaises, de nausées ou d’évanouissements. Ce mercredi, de nombreuses intoxications au gaz ont été signalées dans des écoles de filles à travers l’Iran, après une première vague de cas similaires fin novembre. Dimanche, le ministère de la Santé avait fourni une première explication : « Certains individus » chercheraient, par ces actions, à « fermer les écoles, en particulier les écoles de filles ».
L’affaire suscite une colère croissante parmi les parents d’élèves, qui demandent aux autorités d’assurer la sécurité de leurs enfants. Des manifestations spontanées ont eu lieu le jour même, et une vidéo dramatique diffusée par Masih Alinejad, journaliste d’opposition exilée aux Etats-Unis, montre une mère brutalisée par des sbires du régime islamique.
Le compte Twitter 1500tasvir a diffusé toute la journée des images d’ambulances à la porte des écoles, de mères inquiètes ou de jeunes patientes hospitalisées, masque à oxygène sur le visage. Ce mercredi matin, des dizaines d’élèves de sept écoles de filles de la ville d’Ardabil, à 450 km au nord-ouest de Téhéran, ont été indisposées par des émanations de gaz, et 108 personnes transportées à l’hôpital. Des faits identiques ont été relevés dans au moins quatre écoles de Téhéran. Dans un lycée du quartier de Tehransar, dans l’ouest de la capitale, des élèves ont été « intoxiquées par la projection d’une sorte de spray », a indiqué l’agence de presse Fars, citant des témoignages parents.
« Des milieux chiites extrémistes proches du pouvoir »
D’après les estimations données mercredi à la mi-journée par la porte-parole de la commission parlementaire de la santé, Zahra Sheikhi, près de 800 élèves ont été affectées depuis les premiers cas d’empoisonnement par voies respiratoires fin novembre dans la ville sainte de Qom, et 400 autres à Borujerd, dans l’ouest de l’Iran. Jusqu’à présent, aucune des victimes n’a été gravement affectée. Le président, Ebrahim Raïssi, a chargé le ministre de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, de « suivre l’affaire au plus vite » et d’« informer » le public afin de « balayer les inquiétudes des familles ».
Pour l’administrateur du compte francophone Lettres de Téhéran, qui reste anonyme pour des raisons de sécurité, il ne fait aucun doute que ces attaques simultanées, et de toute évidence coordonnées, sont le fait « de milieux chiites extrémistes proches du pouvoir, puisque le pouvoir est lui-même chiite radical ». Le fait que les premiers cas ont été signalés dans un lycée technique de Qom, ville sainte et fief du clergé ultra-conservateur, rend crédible cette hypothèse.
L’intention serait de remettre en cause la scolarisation des filles de plus de 10 ans, comme l’ont imposé les talibans en Afghanistan. En Iran, l’éducation pour tous (mais non-mixte) est obligatoire, et les filles représentent une majorité des étudiants dans les universités. Les attaques au gaz pourraient aussi constituer une forme de vengeance contre le rôle joué par les écolières et lycéennes dans les manifestations qui ont suivi la mort de l’étudiante Mahsa Amini, après son arrestation par la police des mœurs pour négligence du port du voile. Un mouvement qui a ébranlé la République islamique, et qui a violemment été réprimé.
Mercredi après-midi, le ministre de l’Intérieur a annoncé que l’enquête sur les « responsables éventuels » des intoxications se poursuivait mais qu’aucune arrestation n’avait encore été faite. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas de rapport définitif précisant qu’une substance spécifique de nature toxique a été utilisée. » Quelques jours auparavant, un autre responsable évoquait l’emploi de « substances chimiques disponibles dans le commerce », ce qui exclue des gaz de type militaire.
Le précédent d’Ispahan
L’administrateur de Lettres de Téhéran rappelle que le repos scolaire intervient le jeudi et le vendredi. Si les parents ne sont pas rassurés d’ici samedi, jour de reprise des cours, ils pourraient ne pas envoyer leurs filles à l’école. Ce « droit de retrait » pourrait aussi déboucher sur un mouvement plus ample. Les universités sont en effet en ébullition depuis l’annonce qu’après les vacances du Norouz (nouvel an persan, le 20 mars), les classes reprendront en distanciel pendant trois semaines. Une façon de vider les foyers de contestation, s’inquiète le monde étudiant.
L’affaire des intoxications au gaz peut être rapprochée des attaques à l’acide d’Ispahan, à l’automne 2014, estime l’administrateur de Lettres de Téhéran. Dans cette ville universitaire, des dizaines de femmes avaient été aspergées de produits abrasifs en quelques semaines, une punition pour ne pas porter le voile de façon stricte. Plusieurs avaient été défigurées. « L’enquête n’a jamais éclairci les faits et n’a débouché sur aucune arrestation. Le dossier a été classé », souligne le blogueur.