LE PRÉTEXTE DE LA DIVERSITÉ
Les masques tombent
La prétendue « ouverture à la diversité » du gouvernement ne sert qu’à cacher une politique réactionnaire fondée sur le mérite individuel et le maintien des discriminations.
Emmanuel Sieglmann
Le jour où Sarkozy recevait Le Pen à l’Élysée, le deuxième gouvernement Fillon affichait son ouverture à la « diversité » : après Rachida Dati à la Justice, Rama Yade devenait secrétaire d’État chargée des Droits de l’Homme et Fadela Amara, chargée de la Politique de la ville auprès de la ministre du Logement, Christine Boutin. Le PS, qui crie à la trahison, ferait mieux de commencer à expliquer pourquoi il a été si frileux pour soutenir plus de candidats issus de l’immigration aux élections, ou dans les gouvernements qu’il a formés. Les « minorités visibles » sont restées à l’extérieur de l’hémicycle après les législatives.
L’affichage gouvernemental de la diversité illustre la fascination de Sarkozy pour la conception américaine de la « discrimination positive » : la mise en avant d’une élite - Condoleezza Rice ou Colin Powell -, qui s’en est sortie malgré ses origines, dont on vante le mérite individuel et qu’on érige en modèle positif des communautés maintenues néanmoins massivement dans des conditions discriminées. Ainsi, Sarkozy met en pratique une politique réactionnaire et xénophobe, visant à anéantir des conquêtes égalitaires et démocratiques, tout en prétendant répondre au problème des discriminations. Rachida Dati ne fera pas reculer les bavures policières, Rama Yade ne fera pas respecter les droits de l’Homme et de l’enfant quand il s’agira de remplir les quotas d’expulsions, Fadela Amara ne liquidera pas la précarité et les discriminations qui frappent les quartiers populaires.
Rachida Dati et Rama Yade militaient déjà à l’UMP. Mais le ralliement à Sarkozy de Fadela Amara, ancienne permanente de SOS-Racisme, fondatrice et présidente de Ni putes ni soumises, élue municipale PS, n’est pas si surprenant. À y regarder de près, c’est plus grave que l’odeur de la soupe, c’est la confirmation de dérives à l’œuvre depuis longtemps. Le « féminisme » et les prétentions « laïques » de Fadela Amara sont suffisamment douteuses pour qu’elle accepte de gouverner sous la tutelle de Christine Boutin, égérie de l’intégrisme catholique, de la droite homophobe et anti-IVG.
Que fera d’autre Fadela Amara pour les cités que de promouvoir la politique de Sarkozy, dans un gouvernement qui supprime les ZEP et la carte scolaire, s’en prend au code du travail et au droit de grève, privatise l’université via la loi sur l’autonomie, détruit les services publics en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, frappe les revenus modestes avec la TVA antisociale et le forfait maladie, stigmatise les chômeurs et les Rmistes censés refuser de se lever tôt, veut couper les allocations des familles immigrées parlant mal le français ?
Avec les encouragements de Malek Boutih, secrétaire national du PS, c’est le gouvernement le plus réactionnaire depuis la Libération que Fadela Amara a choisi de rallier. Dominique Sopo, actuel président de SOS-Racisme, lui souhaite « bonne chance ». Pas nous.
Fadela Amara : dérive
L’entrée de Fadela Amara au gouvernement n’est que le dernier pas franchi par une dirigeante dont le mouvement avait déjà flirté avec les gouvernements de droite.
Moïra Berthet
La photo de Fadela Amara, présidente de Ni putes ni soumises (NPNS), au bras de Christine Boutin, a de quoi faire grincer des dents. Mais quoi de plus naturel, pour la nouvelle secrétaire d’État à la Politique de la ville, que de deviser tranquillement avec sa ministre de tutelle ?
Revenons toutefois sur la genèse de NPNS. À l’origine de ce mouvement, se trouve la Fédération de la maison des potes, réseau initié par SOS-Racisme. Après une série de rencontres locales et la publication d’un « Livre blanc des femmes des quartiers », en janvier 2002, les états généraux des femmes des quartiers rassemblent 300 femmes à la Sorbonne et abordent la sexualité, le poids des traditions, la formation et l’accès au travail. Ces états généraux entraînent la rédaction, en mars de la même année, d’un appel intitulé « Ni putes ni soumises », qui contient un ensemble de revendications antisexistes, mais aussi sociales (lutte contre la précarité, construction de crèches, création de structures d’hébergement pour les femmes et jeunes filles victimes de violences). La deuxième étape sera la Marche contre les ghettos et pour l’égalité, sur le modèle de la Marche des Beurs de 1983. Elle se termine, le 8 mars 2002, à Paris, par une grande manifestation, qui réunit près de 30 000 personnes.
Cette initiative, qui marquait pour beaucoup la renaissance d’un féminisme populaire, avait suscité, y compris dans nos rangs, beaucoup d’espoir. Toutefois, la dénonciation des rapports violents entre filles et garçons, insuffisamment rattachée aux violences faites aux femmes dans le reste de la société, avait tout pour être récupérée par le discours sécuritaire et le pouvoir. Et cela ne tarda pas : au cours de l’été 2003, l’association organise une exposition intitulée « Les Mariannes d’aujourd’hui », mettant en scène des jeunes filles d’origines différentes, habillées aux couleurs de la République. Des photographies ornent alors l’Assemblée nationale. L’année 2004 est ensuite marquée par le débat autour de la loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école. Après un revirement éclatant, Fadela Amara affirme son soutien au projet, au nom de la laïcité.
Il lui faudra se souvenir de son attachement à la laïcité au fil de sa collaboration avec la très catholique Christine Boutin. Aux moments des débats sur le Pacs, cette dernière n’avait pas hésité à brandir une Bible, et son appartenance au lobby anti-avortement n’est un secret pour personne. Cette même année, l’université d’automne du mouvement NPNS s’ouvrait par une intervention de Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur. De là à l’entrée au gouvernement, il n’y avait qu’un pas. Et Fadela Amara, même si elle s’en défend, va se transformer en « caution banlieues » d’un gouvernement ultrarépressif, dont les projets comportent l’instauration des peines plancher et la remise en cause de la justice des mineurs.