Je viens de voir la vidéo officielle dans laquelle un magistrat, le président de la Cour d’appel de Managua [Octavio Rothschuh Andino], lit d’une voix caverneuse, dans une salle déserte de public du complexe judiciaire [Sala Uno del Tribunal de Apelaciones de Managua (TAM)], la sentence dans laquelle la peine de prison est remplacée par un bannissement. Les prisonniers et prisonnières sont également privés, à perpétuité, de tous leurs droits politiques et citoyens pour « trahison », un autre acte arbitraire, sans aucun fondement.
Peu après, l’Assemblée nationale, réunie en session d’urgence, a consciencieusement et unanimement approuvé un décret visant à retirer la nationalité nicaraguayenne aux traîtres à la patrie, c’est-à-dire aux personnes expulsées, dans un vol charter, en violation de la Constitution. Encore plus d’arbitraire. Et les élu·e·s oublient que les lois ne sont pas rétroactives, selon un principe universel, même s’il s’agissait d’une loi constitutionnelle. Mais au Nicaragua les principes universels ne s’appliquent plus.
Les prisonniers politiques José Adán Aguerri et Suyen Barahona (en haut), Óscar René Vargas et Juan Sebastián Chamorro (en bas), à leur arrivée aux Etats-Unis. DR.
Exilé, apatride, mais libre. Le Seigneur écrit les lignes de la liberté de travers, mais avec une main ferme. Et ce n’est que la première page. Les meilleures pages sont encore à venir.
Ils sont déchus de leur nationalité pour trouver le moyen de plaire aux oreilles de fanatiques enragés, de militants aveugles, de paramilitaires compromis avec leur sang dans la répression, qui doivent être actuellement troublés, habitués qu’ils sont au discours enragé, martelé chaque jour, que ces traîtres à la patrie, terroristes responsables d’un coup d’Etat déjoué en 2018, ne verraient jamais la lumière du jour. C’est le discours officiel. Traîtres, terroristes, racailles, vendus. Et ils l’ont vu, ils l’ont vu la liberté. Comme tout le pays le verra un jour.
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Tous les prisonniers et prisonnières politiques de la dictature, ceux et celles qui sont montés dans l’avion qui les a emmenés en exil – et ceux et celles qui sont restés, on ne sait toujours pas pourquoi – sont des Nicaraguayens exemplaires. Ils ont résisté dignement pendant de longs mois à l’isolement, dans des cellules disciplinaires, et ont fait de la prison leur tranchée de lutte, une prison où ils n’auraient jamais dû être. Des hommes et des femmes courageux, des dirigeants politiques, syndicaux et paysans, des défenseurs des droits de l’homme, des chefs d’entreprise, des journalistes, des leaders étudiants, des juristes, des universitaires, des prêtres catholiques, et même un évêque, chef des diocèses de Matagalpa et d’Estelí, Monseigneur Rolando Álvarez, une voix prophétique de la vérité.
Tous, accusés d’un crime tiré d’un chapeau juridique, « l’atteinte à la souveraineté nationale » ; une souveraineté appropriée par un couple, une famille au pouvoir, un vieux parti révolutionnaire transformé en dérision d’un rêve depuis si longtemps abandonné, brisé.
Ils n’ont jamais courbé l’échine. Ils n’ont jamais baissé la tête devant les juges nains lors d’audiences orwelliennes. Ils ont porté des uniformes de prisonniers sans porter atteinte à leur dignité. Ils/elles ont donné un exemple de dignité à un pays réduit au silence par la force, qui pendant ce temps voit des milliers de personnes s’exiler, en passant par les failles des frontières, fuyant la répression, le silence, la peur. Un peuple qui ne s’est pas encore réveillé de son long cauchemar – après une autre dictature encore plus féroce [celle des Somoza] –, mais lorsque décolle l’avion qui emmène les prisonniers déportés, célèbre intérieurement ce « départ », avec une joie contenue, même s’il sait qu’il est loin du but final de la liberté et de la démocratie.
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Il a toujours été clair que ces prisonniers politiques étaient des otages. La dictature, confrontée à son isolement international croissant, voulait garder cette monnaie d’échange, la seule possible. Les prisonniers en échange de quelque chose : les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis, l’Union européenne, le Canada, la Suisse, l’Angleterre, aussi bien aux entités gouvernementales qu’aux entreprises publiques et privées favorables au régime, ainsi qu’aux policiers, aux fonctionnaires et aux membres de la famille dictatoriale. Ont-ils obtenu quelque chose ? On ne sait pas encore ce qu’ils ont obtenu en retour.
Le vol spécial dans lequel ont voyagé les otages était à destination de l’aéroport de Washington Dulles, mais le département d’Etat s’est empressé de préciser, dans une communication aux membres du Congrès, qu’il s’agissait d’une décision unilatérale d’Ortega, « sa propre décision », et qu’il exhorte Ortega-Murillo [1] à prendre d’autres mesures en vue du rétablissement de la démocratie et de la liberté au Nicaragua, sans reconnaître aucune transaction.
Dans tous les cas, la dictature est repartie les mains vides. Sa meilleure stratégie aurait été de négocier les otages par lots, et de ne pas les libérer tous en même temps, afin de garder ses cartes en réserve, de cacher son jeu. Un mauvais signe, en ce qui la concerne. Les libérer n’est pas une preuve de force, mais de faiblesse. Elle le prouve en les déclarant apatrides, une ultime revanche, alors qu’ils sont déjà hors de portée de leurs griffes. Cela avec l’idée que leurs décrets, et les sentences et lois de leurs acolytes, les juges et les députés, avaient une valeur perpétuelle, et que pour toujours le Nicaragua continuerait à être sous leur domination.
Ces exilés sont plus nicaraguayens que jamais.
Sergio Ramírez
• Sergio Ramírez, ancien vice-président du Nicaragua de 1985 à 1990, a reçu le Prix Cervantes en 2017.
• Article publié sur le site de Confidencial, le 9 février 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre.
[1] Selon le site La Prensa en date du 9 février : « Soutenu par l’ensemble de son appareil répressif en charge des institutions de l’Etat, le dictateur Daniel Ortega a déclaré jeudi qu’après avoir appris que l’ambassadeur des Etats-Unis au Nicaragua, Kevin Sullivan, se rendrait dans son pays, Rosario Murillo son épouse et coprésidente lui a suggéré de lui [Sullivan] proposer d’emmener avec lui les prisonniers politiques qu’il considère comme des « terroristes ». “Pourquoi ne pas dire à l’ambassadeur d’emmener tous ces terroristes avec lui ? Dis-le toi, je le lui ai dit, peut-être qu’ils l’écouteront là-bas”, a déclaré le dictateur, dans une émission diffusée à la radio et à la télévision nationales, six heures après l’arrivée des 222 prisonniers politiques à Washington. » !! (Réd. A l’Encontre)
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Quand un appel à la libération d’Oscar René Vargas aboutit… par une ironie de l’histoire
La campagne pour la libération d’Oscar René Vargas – et de l’ensemble des prisonniers et prisonnières politiques et de conscience du Nicaragua – a trouvé une partielle solution suite à la décision par la dictature Ortega-Murillo d’exiler 222 prisonniers politiques et de faire adopter par l’assemblée législative une loi rétroactive leur enlevant la citoyenneté nicaraguayenne, comme le souligne Sergio Ramirez ci-dessus.
Plus de 30 prisonniers restent incarcérés dans des conditions iniques, après avoir fait l’objet de prétendus procès qui ne sont, pour reprendre une formule de Dora Maria Tellez, « qu’un peloton d’exécution juridique ». Parmi eux, l’évêque de Matagalpa, Monseigneur Rolando Álvarez, reste dans les griffes de la dictature. Rolando Álvarez a refusé de monter dans l’avion. Il exigeait préalablement à tout exil forcé de « rencontrer des évêques », ce qui aurait pu susciter une secousse politico-religieuse étant donné l’insistance du cardinal Leopoldo Brenes qui n’a cessé, encore en novembre 2022, de maintenir un « dialogue avec la dictature Ortega-Murillo », au moment où Rolando Álvarez et d’autres prêtres étaient persécutés. Sans même mentionner la fermeture de diverses institutions catholiques.
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Le jeudi 9 février à 1h30, des prisonniers ont pu retrouver leurs habits civils. Un transfert se préparait. Bien qu’existait la crainte pour certains d’être transférés vers d’autres prisons, la possibilité d’un « exil forcé » se faisait plus évidente pour beaucoup, une fois réuni·e·s dans les bus les conduisant à l’aéroport.
Oscar René Vargas a été plusieurs jours en isolement, dans une cellule de 2 mètres sur 2, sans nourriture, sans médicaments, alors qu’il avait subi une opération cardiaque et que sa vue était décroissante suite à une cataracte. Face à ses interrogateurs, sa réplique était stricte : « Je n’ai rien à dire car tout se trouve déjà dans les très nombres livres que j’ai écrits ainsi que les milliers d’articles. » Il posa à ses gardes une question simple : « Si ce régime continue, je vais à coup sûr décéder. Est-ce une décision de vos supérieurs ? Posez-leur la question. Car en cas “d’accident mortel” vous serez un jour responsables. » Les gardiens ont interrogé cette fois leurs supérieurs. Et le lendemain, Oscar René Vargas a été transféré dans une cellule plus vaste de 3 mètres sur 6, dans laquelle il put faire des exercices, une hygiène physique, psychique et intellectuelle pour un prisonnier politique.
Lors de son arrivée à l’Hôtel Westin à Herndon (Virginie), dans une courte vidéo qui le mettait en contact avec une animatrice de la chaîne 100Noticias – animatrice qui l’avait interviewé dans un passé assez proche –, Oscar René Vargas avec humour l’informa que « les entretiens venant du Costa Rica étaient en réalité produits au Nicaragua ». Il continuait ainsi, à sa façon, son travail d’information qui fut permanent sur la situation au Nicaragua.
La campagne pour sa libération, qui a reçu un appui international remarquable en quelques jours, a trouvé une première conclusion heureuse. C’est aussi l’occasion de remercier tous ceux et toutes celles dont la signature était plus qu’un geste formel mais l’expression d’un engagement politique qui prenait en charge, sous des formes diverses, la trajectoire historique des révolutions et contre-révolutions, des mouvements d’émancipation et de leur dépossession. Une prise en charge qui se veut guidée par une appréhension empirique des évolutions des formations sociales s’articulant avec les principes qui étayent le soutien engagé aux mobilisations émancipatrices. Dans ce sens, Oscar René Vargas, historien reconnu du Nicaragua, que la dictature veut transformer en un apatride, répète aujourd’hui que la suppression de la citoyenneté – autrement dit des droits effectifs, économiques, sociaux, politiques et civiques – est imposée à la très large majorité de la population nicaraguayenne, et non pas seulement aux 222 prisonniers et prisonnières libéré·e·s. C’est cette bataille qu’il continuera à mener, nous le savons déjà.
Charles-André Udry
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Nicaragua. « L’évêque Rolando Álvarez condamné à 26 ans de prison »
La magistrature du régime de Daniel Ortega et Rosario Murillo a condamné Monseigneur Rolando José Álvarez – évêque du diocèse de Matagalpa et administrateur apostolique du diocèse d’Estelí – à 26 ans et quatre mois de prison. La sentence a été annoncée le vendredi 10 février, un jour après que le prélat a refusé de monter à bord d’un avion qui devait l’emmener aux Etats-Unis avec 222 autres prisonniers politiques exilés.
La condamnation a été prononcée par le magistrat sandiniste Octavio Rothschuh Andino, président de la première chambre de la Cour d’appel de Managua (TAM), qui a détaillé les années d’emprisonnement pour chaque crime présumé :
• Dix ans de prison pour le crime présumé de « conspiration ».
• Cinq ans de prison pour le crime présumé de « propagation de fausses nouvelles ».
• Cinq ans et quatre mois d’emprisonnement pour le délit présumé d’« entrave aggravée aux fonctions gouvernementales ».
• Un an de prison pour le délit présumé d’« outrage à l’autorité ».
• En outre, il a été condamné à une amende de 800 jours, équivalente à 56 461 córdobas ou 1555 dollars.
Le régime a ordonné que le dignitaire religieux soit déchu de sa nationalité – après l’avoir déclaré « traître à la patrie » – comme il l’a fait pour les 222 prisonniers politiques condamnés à un « exil forcé » le jeudi 9 février.
L’évêque a été exclu à vie de toute fonction publique au nom ou au service de l’Etat nicaraguayen, ainsi que de toute responsabilité élective. « De même, la perte des droits de citoyenneté du condamné est déclarée, qui sera perpétuelle, tout cela pour être l’auteur du crime d’atteinte à l’intégrité nationale au détriment de l’Etat et de la société nicaraguayenne », selon le jugement.
La rédaction de Confidencial
• Article publié sur le site de Confidencial, le 10 février 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre.