Contrairement au pitoyable épisode Wolfowitz, qui a traîné en longueur
tant l’ancien numéro 2 du Pentagone, pris en flagrant délit de népotisme,
s’accrochait à son poste de président de la Banque mondiale, la démission
du directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Rodrigo Rato,
deux ans avant la fin de son mandat, constitue une surprise. Il faut dire
que sa nomination en 2004 avait aussi été une surprise, quelques jours
seulement après la défaite électorale du gouvernement dirigé par José
Maria Aznar auquel il appartenait. Comme si un rejet populaire au niveau
national pouvait ouvrir les portes de la direction d’une des plus grandes
institutions multilatérales…
Décidément, ce poste ressemble de plus en plus à un siège éjectable que le
pilote lui-même n’hésite pas à actionner. Déjà en 2004, l’Allemand Horst
Köhler avait pris de court le monde économique en démissionnant du FMI
pour prendre la présidence de la république allemande. En 2000, le départ
du Français Michel Camdessus était plutôt la conséquence de la grave crise
en Asie du sud-est : il faut dire que l’action du FMI, qui était venu en
aide aux créanciers ayant réalisé des investissements hasardeux et avait
imposé des mesures économiques entraînant la mise au chômage de plus de 20 millions de personnes, était très fortement contestée.
N’épiloguons pas sur les « raisons personnelles » avancées par Rato pour
justifier son départ annoncé pour l’automne prochain. Mais force est de
constater que plusieurs dossiers sensibles pour le FMI posent actuellement
de gros soucis à une institution qui traverse de surcroît une grave crise
de légitimité.
La réforme des quotes-parts s’enlise. Selon le projet préparé par Rato,
quatre pays (Chine, Turquie, Mexique, Corée du Sud) doivent voir leur
quote-part au sein du FMI augmenter de quelques dixièmes de points. Même
s’il n’y a là rien pour modifier réellement le rapport de forces
actuellement favorable aux grandes puissances, ce projet piétine.
La contestation envers le FMI s’accroît. Des mouvements altermondialistes
comme le CADTM réclament depuis des années son abolition et son
remplacement par une institution aux objectifs radicalement différents,
axée sur la garantie des droits humains fondamentaux. Mais de plus en plus
de gouvernements cherchent à se débarrasser de la tutelle très encombrante
du FMI. Le Venezuela a annoncé en avril qu’il allait quitter le FMI. En
décembre 2005, le Brésil et l’Argentine ont remboursé d’un coup la
totalité de ce qu’ils lui devaient. D’autres, comme l’Indonésie, les
Philippines ou l’Uruguay, les ont suivis dans cette voie, privant le FMI
de ses principaux clients.
Cela n’est pas sans conséquence sur le financement du FMI lui-même, car un remboursement anticipé implique un gros manque à gagner en terme
d’intérêts. Voilà pourquoi en janvier 2007, un comité d’experts chargé de
plancher sur la question a recommandé la vente de 400 tonnes d’or du FMI
(sur un total supérieur à 3 200 tonnes). Mais les Etats-Unis ont toujours
refusé de telles ventes. D’ailleurs, une réunion prévue à cet effet vient
d’être repoussée d’un mois, preuve que tout ne va pas de soi dans ce
domaine non plus.
A la demande des Etats-Unis, agacés par la sous-évaluation du yuan qui
favorise les exportations chinoises et creuse le déficit commercial
états-unien, le FMI vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc en piteux
état : la surveillance des taux de change des monnaies. Mais les
dirigeants chinois ne l’entendent pas de cette oreille et ils ne
décolèrent pas contre le FMI à ce sujet, accusé d’être juste un outil aux
mains du gouvernement Bush.
Aujourd’hui, le risque est grand qu’une fois de plus, on nous rejoue le
même refrain : les dirigeants européens ont accepté le remplacement de
Paul Wolfowitz par Robert Zoellick à la tête de la Banque mondiale en
échange de la certitude de pouvoir continuer à nommer le directeur du FMI.
Comment ce système inadmissible de double cooptation euro-américaine
peut-il encore continuer ?
Le hasard est parfois cruel en cette fin juin 2007 : le directeur général
du FMI démissionne alors que le nouveau président de la Banque mondiale
n’est toujours pas en place, révélant des institutions particulièrement
déboussolées, davantage préoccupées par elles-mêmes que par les affaires
du monde ; au même moment, six pays d’Amérique latine (Venezuela,
Argentine, Bolivie, Equateur, Brésil, Paraguay) lancent la Banque du Sud,
chargée de promouvoir à l’échelle régionale une logique radicalement
différente de celle – particulièrement brutale et mortifère - imposée par
le FMI et la Banque mondiale depuis des décennies.
Le même jour, le Rapport sur la richesse dans le monde, publié par les
sociétés Merrill Lynch et Cap Gemini, montre que le nombre de
millionnaires en dollars dans le monde s’élève à 9,5 millions de
personnes, en hausse de 8,3% en un an. Le patrimoine cumulé de ces
millionnaires dépasse 37 000 milliards de dollars, soit plus de 12 fois la
dette extérieure de tous les pays en développement. Dans le même temps,
les populations pauvres s’enfoncent dans la misère, notamment fragilisées
par la très forte augmentation du prix des céréales sur les marchés
mondiaux. La production céréalière – en particulier le maïs – se dirige de
plus en plus vers la fabrication d’agrocombustibles pour les pays les plus
industrialisés, ce qui risque d’entraîner des crises alimentaires graves
dans les pays du Sud d’ici quelques mois.
Il faut en finir avec ce modèle économique qui n’a réussi qu’à rendre les
riches plus riches et les puissants plus puissants. Il faut en finir avec
ce modèle économique qui a échoué puisqu’il est le terreau sur lequel se
développent la dette, la pauvreté et la corruption. Comme la Banque
mondiale, le FMI en a été l’un des principaux promoteurs et porte donc une
lourde part de responsabilité. Le bateau tangue dangereusement. L’année
2007 est d’ores et déjà une annus horribilis pour les tenants de la
mondialisation néolibérale. Les mobilisations populaires de par le monde
pourront rendre les années suivantes pires encore…
FMI : départ de Rato révèle « crise profonde » des institutions internationales
Dépêche de l’Agence France Presse (AFP) le 28/06/2007 19h44
La démission de Rodrigo Rato de la tête du Fonds monétaire international
(FMI) quelques semaines après le départ de Paul Wolfowitz de la présidence
de la Banque mondiale (BM) témoigne de la « crise profonde » traversée par les institutions internationales, selon des ONG.
L’annonce surprise de cette démission marque « l’opacité » des institutions
internationales et « ouvre une nouvelle période d’incertitude », estime Damien
Millet, président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde
(CADTM).
"M. Rato était perçu comme quelqu’un qui avait pris la suite logique de
Michel Camdessus« , son prédécesseur. »Il a été ministre des Finances du
gouvernement José Maria Aznar en Espagne puis, au moment où le gouvernement Aznar a perdu les élections", il a été nommé à la téte du FMI, ce qui lui a donc donné, au départ, un déficit de légitimité, juge M. Millet.
"En même temps, il est arrivé avec une mission très simple, être le gardien
de l’orthodoxie du FMI" dans la lignée de la politique néolibérale qu’il
avait menée en Espagne, ajoute-t-il.
Pour Sébastien Fourmy, de l’ONG Oxfam, "un directeur du FMI qui part en
pleine réforme, notamment en matière de gouvernance« , témoigne d’une »crise profonde".
« L’institution s’est retrouvée au plus mal » sous le mandat de M. Rato, « tout en amorçant des réformes, mais qui prennent beaucoup trop de temps ».
Le FMI est notamment confronté à une crise financière. L’une de ses
principales sources de financement était jusqu’à peu les intérêts perçus sur
ses prêts à des pays en difficulté, mais, alors que l’économie mondiale
traverse une période de croissance record, ces prêts se raréfient.
En outre, "plusieurs pays ont remboursé par anticipation (leur dette au FMI)
et ont menacé de quitter" l’institution, poursuit M. Fourmy.
L’utilité même du FMI a été largement remise en cause, poursuit Jean
Merckaert, du Comité catholique contre la faim et pour le développement
(CCFD) : "son rôle est d’assurer la stabilité financière internationale, or
on s’est aperçu que les recettes préconisées ont largement échoué. Le Fonds
a été incapable d’éviter la crise asiatique de 97-98 et celle de l’Argentine
en 2001".
En même temps, souligne M. Fourmy, l’institution "est pour la première fois
depuis 1944 en train de réfléchir à son rôle", et M. Rato a ouvert quelques
chantiers, notamment celui de la représentation de géants en développement comme la Chine ou l’Inde.
« En même temps, deux ans pour réformer la gouvernance, c’est trop long », remarque-t-il, ajoutant que le rôle du FMI dans les pays à faible revenu
reste à définir : "les Etats-Unis estiment que le FMI n’a pas de rôle à
jouer pour la réduction de la pauvreté", alors que la France pense le
contraire.
"La Banque mondiale et le FMI ont été considérablement remis en cause. M.
Rato a essayé d’agir à la marge pour sauver ce qui pouvait l’être" mais
s’est contenté d’une « mini-réforme », poursuit Damien Millet.
"Ce qui est certain c’est que (la démission de M. Rato) représente
l’opportunité d’aborder les problèmes qui demeurent au sein des institutions
de Bretton Woods, car on a manqué une opportunité avec la passation de
pouvoir de Paul Wolfowitz à Robert Zoellick", conclut Sébastien Fourmy.