Au Parti communiste français (PCF), les congrès se suivent et ne se ressemblent pas. Alors qu’en 2018, les adhérent·es avaient renversé pour la première fois de son histoire la direction sortante de Pierre Laurent, scindant le parti en deux, cette année, le bilan de l’actuel secrétaire national, Fabien Roussel, a été plébiscité. C’est ce qui ressort du vote qui s’est déroulé ce week-end dans toutes les sections PCF de France, en vue du 39e congrès qui aura lieu à Marseille (Bouches-du-Rhône) début avril.
Les communistes avaient le choix entre deux « bases communes » d’orientation pour les prochaines années. Le premier texte, présenté par la direction, « L’ambition communiste pour des jours heureux », a recueilli 81,92 % des suffrages exprimés. Le second, dit « alternatif », soutenu par l’ancien secrétaire national Pierre Laurent et par le courant des « unitaires » comme la députée Elsa Faucillon, « Urgence de communisme », n’en a obtenu que 18,08 %. Il n’est majoritaire que dans quatre fédérations (la Seine-Saint-Denis, l’Yonne, la Lozère et le Bas-Rhin).
Fabien Roussel lors du meeting de la Nupes contre la reforme des retraites à Paris, le 10 janvier 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
C’est un revers important pour l’opposition à Fabien Roussel, qui espérait peser davantage, après l’espoir soulevé par l’union de la gauche et des écologistes aux élections législatives de 2022. D’autant plus que le texte de la direction n’avait recueilli que 58 % des suffrages exprimés par les membres du conseil national (le parlement du parti), début décembre – un résultat qui, dans un parti de culture légitimiste, avait été interprété comme un signe de défiance. En réalité, il témoignait de la « direction de compromis » issue du précédent congrès, qui surreprésentait donc l’opposition.
Les communistes préfèrent l’identité à l’unité
« Il y a une nette progression des orientations proposées en 2018, qui ont été gagnantes aujourd’hui,acte Elsa Faucillon. Pour ma part, je suis déçue, notamment à l’idée de voir potentiellement se réduire le débat dans la phase qui va arriver. » La déconvenue est d’autant plus rude que les « unitaires » et les partisans de Pierre Laurent s’étaient alliés derrière le même texte. En 2018, ils avaient rassemblé séparément 50 % des suffrages (12 % pour les « unitaires » et 38 % pour la majorité sortante de Pierre Laurent). « Paradoxalement, le fait qu’une partie des signataires du texte d’opposition à la direction aient été impliqués dans les directions précédentes n’a pas joué en faveur de l’idée que ce texte était alternatif », analyse l’historien du PCF Serge Wolikow, coauteur du livre Le Parti rouge. Une histoire du PCF 1920-2020 (Dunod, 2020).
À l’inverse, le résultat de ce week-end a agréablement surpris la direction du PCF, qui ne s’attendait pas à un tel plébiscite. « Notre texte obtient un résultat plus élevé que ce qu’on pensait. Cela témoigne de la volonté des communistes de poursuivre l’effort entrepris par Fabien Roussel depuis quatre ans », commente Igor Zamichiei, coordinateur de l’exécutif national, qui se félicite de la participation – 30 000 votant·es.
Dans une gauche partisane en lambeaux, ce chiffre, dérisoire à l’échelle de l’histoire du PCF, est exhibé comme un signe de prospérité – il n’y a eu que 23 000 votant·es au congrès du Parti socialiste (PS), et 5 500 à celui d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Il jette un voile pudique sur le fait que le PCF a perdu 7 000 adhérent·es à jour de cotisation depuis 2018.
L’hégémonie rousselliste au PCF est d’autant plus marquante que, depuis que les statuts permettent une compétition entre plusieurs textes pour le congrès (une réforme qui date de 2001), jamais celui de la direction sortante n’avait eu une telle longueur d’avance sur ses concurrents. L’historien membre de la direction Guillaume Roubaud-Quashie rappelle ainsi que les textes des directions sortantes du PCF ont obtenu en moyenne 57 % des suffrages entre 2003 et 2018 (55,02 % en 2003, 63,38 % en 2006, 60,90 % en 2008, 73,16 % en 2012, 51,20 % en 2016 et 38 % en 2018). Ces quasiment 82 % sont donc « hors norme ».
Pour l’historien du PCF Serge Wolikow, ils relèvent d’un « optimisme identitaire ». Alors que, sous la direction de Pierre Laurent, le parti avait fait le choix de se fondre dans le Front de gauche, se laissant petit à petit marginaliser par le Parti de gauche puis par La France insoumise (LFI), Fabien Roussel et ses soutiens misent tout sur l’affirmation de l’identité communiste. C’est la logique qui avait présidé au choix de la candidature du secrétaire national à la présidentielle de 2022. Et, en dépit des résultats (2,28 %), il est approuvé par la base militante.
« Il y a un effet déporté de la campagne présidentielle du PCF : la plupart des militants sont satisfaits par la campagne menée, sans que le parti en ait tiré un bénéfice électoral. C’est une reconnaissance », analyse Serge Wolikow. « Il y a eu une dimension plébiscitaire dans le vote, abonde Frank Mouly, conseiller national du PCF et tenant de la base commune alternative. Les communistes sont blessés, leurs blessures restent ouvertes, et ils ont voulu exprimer que la présence médiatique de Fabien était le signe du retour du PCF au premier plan. Tout cela va se heurter très vite au réel. »
Un dirigeant bien installé, mais pour quoi faire ?
La direction du PCF se dit pour sa part confiante pour la suite, jugeant que la présidentielle était « une première étape » qui a permis de « faire entendre une voix originale à gauche ». La séquence électorale a, pour le porte-parole du PCF Ian Brossat, fait la démonstration d’un « plafond de verre » atteint par Jean-Luc Mélenchon, et de la nécessité de changer de braquet en s’adressant davantage aux classes populaires de « la France hors grandes métropoles », qui vote parfois massivement pour le Rassemblement national (RN). La mobilisation contre la réforme des retraites, très forte dans les sous-préfectures, montre le chemin selon lui : « L’intersyndicale réussit là où la gauche échoue, cela doit nous inspirer. Cela justifie tout ce que disait Fabien », estime-t-il.
Le premier chapitre d’un livre de Fabien Roussel à paraître le 2 mars (Les Jours heureux sont devant nous, Cherche Midi), commence d’ailleurs par un retour sur la campagne des élections législatives dans sa circonscription nordiste de Saint-Amand-les-Eaux. « Se fixer comme objectif d’aller chercher en priorité les anti-Mélenchon pour tenter de gagner à gauche, c’est périlleux, s’inquiète cependant Elsa Faucillon. J’aimerais qu’on ait ce débat. Je suis plutôt sur une logique de contagion par ceux qui sont les plus proches de notre cœur idéologique que de conversion immédiate. »
Alors que le PS s’est déchiré et a frôlé la scission lors de son congrès, qui vient de s’achever, et que LFI est en proie à une crise interne liée à la succession de Jean-Luc Mélenchon, le PCF espère par contraste faire de sa cohésion interne un atout. « Avoir un parti rassemblé est un atout pour peser dans le rapport de force social. C’est une exigence pour faire gagner la gauche », explique Igor Zamichiei. « C’est un réconfort pour les militants communistes de voir que le PCF existe indépendamment des tensions qui traversent les autres forces de gauche. Ce n’est pas légitimiste, c’est une des formes du réflexe identitaire », analyse Serge Wolikow.
Car comment faire gagner la gauche en 2027 si les logiques centrifuges reprennent le dessus et que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) – quel que soit le nom de son futur avatar – éclate ? C’est toute l’inquiétude qui taraude les opposants au secrétaire national. Alors que l’extrême droite est en embuscade, les minoritaires pointent le flou sur la ligne stratégique des communistes au-delà du paravent de l’identité PCF.
« Alors que Macron envisage de dissoudre l’Assemblée nationale et que ses proches assument de dire que Marine Le Pen pourrait entrer à Matignon, on ne peut que s’étonner que les partis de gauche soient divisés sur la question de comment on l’empêche de prendre le pouvoir. C’est le débat de fond que devrait poser le congrès du PCF, qu’on refuse de voir en face, et que le texte qui a gagné n’aborde pas », regrette Anaïs Fley, conseillère nationale du PCF.
La phase des dépôts d’amendements au texte par les militant·es communistes, qui s’ouvre désormais, laisse une faible marge de manœuvre aux hétérodoxes, même si l’histoire n’est jamais écrite, et qu’une victoire sociale contre la réforme des retraites, qui a pour effet de resserrer les liens entre les partenaires de la Nupes, pourrait amener de nouvelles réflexions.
Mathieu Dejean