Vous pouvez voir le Covid-19 comme un test d’empathie. Qui était prêt·e à subir des perturbations et des désagréments pour le bien des autres, et qui ne l’était pas ? La réponse était souvent surprenante. Je pense, par exemple, à cinq écologistes de premier plan qui ont dénoncé les confinements, les vaccins et même les masques comme des intrusions intolérables dans nos libertés, tout en ne proposant aucune mesure significative pour empêcher la transmission du virus. Quatre d’entre eux sont devenus des propagateurs actifs de la désinformation.
Si l’environnementalisme signifie quelque chose, c’est que nos gratifications nuisibles doivent passer après les intérêts des autres. Pourtant, ces personnes ont immédiatement échoué à ce test, plaçant leur propre confort au-dessus de la santé et de la vie des autres.
Aujourd’hui, il y a encore moins d’excuses, car nous sommes devenus plus conscient·es du coût de l’inaction. L’une des justifications de l’égoïsme était que la libre circulation du virus renforcerait l’immunité collective. Mais nous disposons désormais de nombreuses preuves suggérant que l’exposition ne renforce pas notre système immunitaire, mais qu’elle peut l’affaiblir. Le virus attaque et épuise les cellules immunitaires, si bien que chez certaines personnes, le dysfonctionnement immunitaire persiste pendant des mois après l’infection.
Nous savons également qu’à chaque nouvelle exposition, nous sommes plus susceptibles de développer des séquelles. Une vaste étude menée aux États-Unis a révélé que le risque de troubles cérébraux, nerveux, cardiaques, pulmonaires, sanguins, rénaux, insuliniques et musculaires s’accumule à chaque réinfection. Selon des chercheur·euses spécialisé·es dans la métrologie de la santé, les impacts du Covid long sont « aussi graves que les effets à long terme d’une lésion cérébrale traumatique ». Maintenant que nous savons comment le virus attaque nos cellules, l’expression « lésion cérébrale traumatique » ressemble moins à une analogie qu’à une description. Les conséquences peuvent être dévastatrices, allant de la fatigue extrême et de l’essoufflement au brouillard cérébral, aux troubles psychotiques, aux pertes de mémoire, à l’épilepsie et à la démence.
Nous jouons tou·tes à la roulette Covid. La prochaine infection pourrait être celle qui vous rendra définitivement invalide. J’ai été infecté trois fois jusqu’à présent, et je me sens chanceux d’être encore actif. Mais à chaque fois, j’ai perdu un peu de mon endurance, de ma capacité pulmonaire, de mon sommeil, de ma condition physique générale, même si j’ai fait de l’exercice avec assiduité depuis. Dans les trois cas, il semble que l’infection soit venue de l’école. Pour les familles ayant des enfants d’âge scolaire, le barillet tourne plus souvent que pour celles qui n’en ont pas. Pourtant, trois ans après le début de la pandémie, le gouvernement ne fait toujours presque rien pour rendre les écoles sûres.
Il existe un argument de poids : tout comme le choléra a été arrêté en assainissant l’eau, le Covid sera arrêté en assainissant l’air. Le virus prospère dans les espaces partagés mal ventilés, notamment les salles de classe, où les élèves restent assis·es ensemble pendant de longues périodes. Une étude a montré que les systèmes de ventilation mécanique dans les salles de classe réduisent le risque d’infection de 74 %.
L’importance de la ventilation et de la filtration n’a pas échappé à nos seigneurs et maîtres. Le Parlement dispose désormais d’un système de filtration de l’air sophistiqué, comprenant des précipitateurs électrostatiques. Selon l’entrepreneur qui les a installés, ils garantissent que les virus et bactéries en suspension dans l’air sont « maintenus à un minimum absolu dans l’espace ». Il en va de même pour les services gouvernementaux où travaillent les ministres. Au Forum économique mondial de Davos ce mois-ci, il y avait des systèmes de filtration dans toutes les pièces, protégeant dans certains cas des responsables politiques qui les ont refusés à leur propre population. C’est comme s’iels croyaient que leurs vies sont plus importantes que les nôtres.
Les normes d’air pur que les riches et les puissant·es exigent pour elleux-mêmes devraient être universelles et s’appliquer à toutes les écoles et autres bâtiments publics. Au lieu de cela, alors que les écoles privées ont pu investir dans la ventilation et la filtration, les écoles publiques, dont beaucoup sont proches de la faillite, dépendent des versements du gouvernement qui sont strictement rationnés par une série de conditions absurdes. C’est un autre contresens économique classique. Les coûts supplémentaires des soins de santé causés par les vagues répétées d’infection et les impacts à long terme - peut-être à vie - pour beaucoup de celleux qui sont affecté·es vont largement dépasser l’investissement dans un air plus sain.
Mais au lieu de prendre des mesures simples et efficaces - masques appropriés (FFP2) dans les lieux publics, filtration dans les espaces partagés - nous avons progressivement normalisé un agent handicapant de masse. Il est susceptible, à terme, de réduire le nombre d’années de vie de qualité pour presque tout le monde. Celleux qui souffrent de la version extrême de cette invalidité, le Covid long, sont traité·es comme une gêne que nous préférerions oublier.
Il vous suffit de proposer gentiment de revenir au port du masque dans les transports publics pour que des centaines de personnes sur les réseaux sociaux crient « liberté ! » et vous dénoncent comme un tyran. Contre leur plus petite liberté - garder le visage découvert dans les trains et les bus - les trolls mettent en balance la liberté de ne pas être handicapé et même de mourir, et décident que leur droit d’insuffler des germes aux autres est la liberté indispensable.
Ce sont ces personnes qui, par leurs menaces et leurs théories du complot, ont peut-être contribué à évincer Jacinda Ardern, la responsable politique qui a sans doute protégé le plus grand nombre de personnes contre le virus. Ce sont ces personnes qui, dans certains cas, ont agressé les porteur·euses de masque dans la rue, ainsi que les médecins et les infirmières dans les hôpitaux. S’iels n’ont pas encore été infecté·es, iels attribuent leur bonne fortune à une « immunité naturelle », plutôt qu’au fait de ne pas sortir beaucoup. Un validisme digne de l’Ancien Testament imprègne cette idéologie : celleux qui sont malades méritent de l’être.
Je ne suggère pas que tou·tes celleux qui ne portent pas de masque dans les transports publics échouent au test d’empathie. Cela reviendrait à condamner la quasi-totalité de la population. Mais, en l’absence de directives du gouvernement et du changement culturel que cela pourrait provoquer, même les personnes les plus gentilles finissent par se comporter comme si elles n’avaient aucune considération pour les autres.
« Passez à autre chose », « oubliez ça » : ce sont les incantations de celleux qui cherchent à se décharger de la responsabilité de leurs actes. C’est ce que Tony Blair a dit après la guerre en Irak. C’est ce que Boris Johnson a dit après avoir été pris en train d’enfreindre les règles à plusieurs reprises. Bien sûr, nous voulons de toute urgence que cela se termine. Mais ce n’est pas le cas. Le virus est désormais bien implanté, et il continuera à muter pour éviter nos défenses, broyant - à moins que nous nous traitions mutuellement avec respect et que nous exigions des normes universelles de propreté de l’air intérieur - nos systèmes immunitaires et notre santé, jusqu’à ce que la vie de chacun·e soit l’ombre de ce qu’elle aurait pu être.
Voulons-nous vraiment rester assis·e et regarder cette infection empiéter sur notre liberté d’être bien, vague mutilante après vague mutilante ? Ou devons-nous intervenir là où le gouvernement a échoué, et normaliser une fois de plus le souci de la vie des autres ? Comme tous les autres défis moraux auxquels nous sommes confronté·es, cette question nous incombe désormais.
George Monbiot