Robert Zoellick, seul en lice, prendra donc la suite de Paul Wolfowitz à partir du 1er juillet. Ce proche de George Bush n’a pas vraiment les compétences requises par le Conseil d’administration de la Banque mondiale. Difficile en effet de considérer comme « totalement acquis à la cause du développement », faisant « preuve d’indépendance politique » et d’attachement au multilatéralisme celui qui a défendu l’intervention en Irak et multiplié les accords commerciaux bilatéraux au profit de son pays. Virage manqué pour la Banque mondiale. Après l’affaire Wolfowitz, toutes les conditions étaient pourtant réunies pour envisager une vaste réforme de l’institution censée mener le combat mondial contre la pauvreté.
Les Européens ont une responsabilité majeure dans ce fiasco. Détenteurs du tiers des droits de vote à la Banque mondiale, ils se devaient d’exiger collectivement la fin de la mainmise des Américains, notamment de leur droit de veto, et la remise à plat des politiques de la Banque. Las ! Ils ont accueilli M. Zoellick à bras ouverts alors que le dépôt des candidatures n’était pas encore clos. C’est dire la valeur accordée au processus de recrutement. Les voilà qui accusent même de couardise les pays émergents, qui ne se sont pas aventurés à avancer une candidature alternative alors que, sans leur soutien, la partie était jouée d’avance. Bref, l’attitude de l’Europe, jalouse de « sa » direction du FMI, frise le ridicule. On dit qu’il ne tue pas. Parfois si. Sans une réforme de fond, l’utilité de la Banque mondiale n’est pas assurée.
Nombreux en effet sont les pays en développement qui déjà s’en détournent. Difficile pour eux de se reconnaître dans une institution rétive à la tutelle onusienne et où la Belgique pèse plus que le Brésil ; la France, davantage que les quarante-huit pays d’Afrique. Difficile pour les citoyens argentins ou indonésiens de devoir rembourser une banque qui a financé Videla et Suharto, leurs bourreaux. Les Bangladais, contraints en 2005 de privatiser télécommunications et électricité, et les Ougandais, dont la Banque a exigé 197 réformes en échange de son dernier prêt, ont du mal à croire que l’époque des ajustements structurels a cédé la place aux stratégies de développement définies nationalement. Peuvent-ils sérieusement espérer un infléchissement, alors que le département de la recherche est fermé aux disciplines non économiques ?
Sans aggiornamento, la Banque risque d’autant plus la marginalisation que la concurrence est rude sur le marché de l’aide au développement : UE en tête, coopérations bilatérales classiques, fonds « verticaux », par exemple contre le sida, nouveaux bailleurs comme la Chine ou la Banque du Sud, récemment créée par plusieurs pays latino-américains. Plus grave, les finances de la Banque mondiale dépendent en grande partie de ses activités en Chine et en Inde. Le renflouement de son fonds de soutien aux pays les plus pauvres, actuellement débattu, est loin d’être garanti. Il lui faudrait réunir 28 milliards de dollars (20,7 milliards d’euros).
Face à une aide bilatérale souvent liée aux desiderata du donateur, une Banque véritablement « mondiale » au service du développement est nécessaire. Arc-boutés sur leurs intérêts immédiats, les principaux pays actionnaires semblent avoir fait une croix dessus. Les populations les plus pauvres en seraient la première victime. A Robert Zoellick de faire mentir ce sombre pronostic.