Iran : la peine de mort, arme capitale
Après deux exécutions de manifestants ces dernières semaines, dix autres attendent dans le couloir de la mort. Mais la stratégie de la peur ne suffit pas à éteindre la révolte contre les mollahs.
Attaché par une corde à une grue, le corps sans vie de Majid Rahnavard surplombe une petite foule rassemblée à Machhad, dans le nord-est de l’Iran. « Allah akbar » (« Dieu est grand »), s’exclament des bassidji, une force paramilitaire des Gardiens de la révolution.
La plupart des habitants de la ville ont refusé d’assister à cette exécution publique, organisée à l’aube du 12 décembre, quatre jours seulement après celle de Mohsen Shekari – le premier manifestant pendu depuis le début de la révolte, il y a trois mois.
Les deux hommes, tous deux âgés de 23 ans, ont été condamnés à mort pour « inimitié à l’égard de Dieu » (« mohareb ») à l’issue d’un « procès-spectacle » et « d’aveux forcés », selon plusieurs ONG de défense des droits humains. Les familles des victimes n’ont pas été informées de leur décès imminent.
Une vidéo déchirante montre la mère de Mohsen Shekari hurler de douleur dans les rues de Téhéran en apprenant la terrible nouvelle. « L’horreur absolue », a réagi Amnesty International, qui craint de nouvelles mises à mort dans les jours à venir.
Arme supplémentaire de sa répression sanglante
Le pays des mollahs a franchi un pas de plus dans l’escalade de la barbarie. Déstabilisée par un vent de colère qu’elle ne parvient pas à éteindre, la république islamique utilise le châtiment suprême comme une arme supplémentaire de sa répression déjà sanglante.
Au moins 458 personnes, dont 63 enfants, ont été tuées dans les manifestations déclenchées après le décès le 16 septembre de Mahsa Amini, consécutif à son arrestation par la police des mœurs.
Pour terroriser la population, les autorités ont accéléré leurs procédures de condamnations à mort pour procéder plus rapidement à des exécutions. La liste ne cesse de s’allonger : au 19 décembre, au moins 26 personnes risquent d’être envoyées à la potence dans le cadre du soulèvement populaire, selon Amnesty International.
Dix d’entre elles, dont Libération publie les portraits, attendent déjà dans le couloir de la mort, condamnées pour « inimitié à l’égard de Dieu » ou « corruption sur la Terre » (« efsad-e fel-arz »), un terme utilisé pour désigner un large éventail d’infractions, y compris celles liées à la morale islamique. Les autres ont été jugés ou accusés de crimes passibles de la peine capitale, et risquent eux aussi d’être exécutés.
Dans la plupart de ces affaires, les chefs d’accusation n’impliquent pourtant que des actes de vandalisme, de destruction de biens publics ou de troubles à l’ordre public. Les procédures judiciaires sont « expéditives » et « inéquitables », estiment par ailleurs les organisations de défense des droits humains, qui relèvent des cas de torture.
« Guerre psychologique »
Le recours à la peine de mort n’est pas une nouveauté en Iran. Le pays est à la deuxième place du classement international des pays qui la pratiquent, après la Chine.
En 2021, la république islamique a même enregistré un nombre d’exécutions (314) qui n’avait pas été égalé depuis quatre ans. Toutefois, « les condamnations à mort pour des faits politiques et aussi assumées sont inédites. Jusqu’à présent, les décès étaient cachés ou déguisés, indique Maneli Mirkhan, membre du collectif Femme Azadi (« liberté » en persan).
Les deux récentes exécutions montrent que le régime se lance dans une guerre psychologique pour tenter d’étouffer la contestation. » Dans une déclaration parlementaire, début novembre, 227 des 290 députés iraniens ont demandé au pouvoir judiciaire de ne faire preuve « d’aucune indulgence » à l’égard des « émeutiers », appelant à prononcer de toute urgence des sentences capitales à leur encontre afin de servir de « leçon aux autres ».
Mais l’acharnement des mollahs ne porte pas ses fruits. Les exécutions publiques et les menaces répétées semblent même avoir l’effet inverse de celui recherché. Les pendaisons de Majid Rahnavard et Mohsen Shekari ont gonflé la colère des protestataires.
Tout comme l’arrestation ce week-end de l’actrice Taraneh Alidoosti, personnalité la plus renommée à se retrouver derrière les barreaux pour avoir soutenu le mouvement sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit plus seulement de défendre les droits des Iraniennes, mais de s’élever contre un pouvoir clérical sans limite.
Même la sœur du guide suprême, Badri Hosseini Khamenei, a dénoncé dans une lettre le « régime despotique » iranien et apporté son soutien au mouvement de contestation.
Sur les murs de Téhéran, des écriteaux appellent à la fin de la « république exécutrice » pendant que des cordes, pendues sur le pont d’une autoroute, s’embrasent au-dessus des voitures qui rejoignent la capitale.
Peu avant sa mort, Majid Rahnavard a fait part, les yeux bandés, de ses dernières volontés : « Ne pleurez pas, ne lisez pas le Coran, ne priez pas. Soyez heureux. »