En avril 2023, la Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’État de 1983 fêtera ses 40 ans. Adoptée par une Conférence réunie par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, cette convention fait office de référence dans le droit international [1]. Elle oppose d’un côté les mouvements pour l’indépendance et la décolonisation qui refusent d’assumer des dettes issues des États prédécesseurs et de l’autre, la défense de l’ordre colonial et postcolonial dominant soutenu par les grands États créanciers. Décriés par ces derniers, les travaux de la Commission du droit international des Nations Unies (CDI) légitiment pourtant par le droit des actes unilatéraux de répudiation de dette par des nouveaux États ou des nouveaux gouvernements.
La Commission du droit international des Nations Unies (CDI) légitime des actes unilatéraux de répudiation de dette par des nouveaux États
Le principe de la continuité des obligations en matière de dette en cas de succession d’État ou de gouvernement est au cœur des conflits en matière de dettes souveraines et l’histoire montre très clairement qu’il ne s’agit nullement d’un principe intangible. Michael Waibel, professeur de droit international à l’université de Vienne, revient dans un récent article sur les débats qui se sont imposés autour de la succession des obligations des États en matière de dettes dans le contexte de la décolonisation [2].
Il consacre son analyse aux rapports de force entre deux approches sur la succession d’États en matière de dette. Une approche conservatrice selon laquelle les gouvernements héritent des dettes de leurs prédécesseurs. Ainsi, par la succession universelle (ou universal succession) « s’opère une complète et automatique absorption des droits et obligations de l’État prédécesseur par l’État successeur ». L’autre approche, critique, défend que l’État successeur n’est pas lié par les dettes de l’État prédécesseur car « les obligations de l’ancienne colonie (incluant les dettes) s’éteignent lors de l’indépendance du nouvel État » ce qui fait donc « table rase » (ou clean slate ).
Cette dernière approche est particulièrement défendue par Mohamed Bedjaoui, ancien juge à la Cour internationale de justice de La Haye pendant près de vingt ans (1982-2001). Il a été également membre de la Commission du droit international des Nations unies (1965-1982) et Rapporteur spécial sur « la succession d’États dans les matières autres que les traités ».
Il est important de rappeler que M. Bedjaoui a également été conseiller juridique du F.L.N. algérien, puis du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), 1956-1962, expert de la délégation algérienne aux négociations d’Évian et de Lugrin pour l’indépendance de l’Algérie (1961-1962) et directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale constituante à Alger (1962). Il était donc actif au sein du Mouvement des non-alignés, en faveur de l’approche de la « table rase » qui s’impose clairement pendant la période de décolonisation.
La convention de 1983, socle d’un nouvel ordre économique international
La Convention de Vienne de 1983 porte la légitimité d’une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, ce qui en fait une référence de droit international
Mohamed Bedjaoui, soutenu par de nombreux États du Tiers-monde, a mené une véritable action politique au sein de la Commission de droit international des Nations Unies pour faire avancer la lutte des États nouvellement indépendants pour s’émanciper de la tutelle économique des puissances occidentales et ainsi construire le Nouvel ordre économique international. Dans le combat qu’a mené Mohamed Bedjaoui au sein de la Commission de droit international, un des objectifs était de doter les États d’outils juridiques pour légitimer par le droit international des actes unilatéraux, et notamment des répudiations de dettes par les États nouvellement indépendants.
Le travail mené par Mohamed Bedjaoui a abouti à un traité multilatéral, la Convention de Vienne sur la succession des États de 1983, qui reflète l’approche critique susmentionnée. Elle est également consacrée à l’article 16 de la Convention de 1978 qui stipule que les États issus de la décolonisation ne sont pas automatiquement liés par un traité en vigueur concernant leur territoire à la date de la succession. L’article 38 de la Convention de Vienne de 1983 sur la succession d’États en matière de biens, d’archives et de dettes d’États (non encore en vigueur) est à cet égard explicite :
- Lorsque l’État successeur est un État nouvellement indépendant, aucune dette d’État de l’État prédécesseur ne passe à l’État nouvellement indépendant, à moins qu’un accord entre eux n’en dispose autrement au vu du lien entre la dette d’État de l’État prédécesseur liée à son activité dans le territoire auquel se rapporte la succession d’États et les biens, droits et intérêts qui passent à l’État nouvellement indépendant ;
- L’accord mentionné au paragraphe 1 ne doit pas porter atteinte au principe de la souveraineté permanente de chaque peuple sur ses richesses et ses ressources naturelles, ni son exécution mettre en péril les équilibres économiques fondamentaux de l’État nouvellement indépendant.
La Convention de Vienne de 1983 a été adoptée par 54 États lors de la Conférence des Nations unies sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’États [3]. Son contenu porte la légitimité d’une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, ce qui en fait une référence de droit international. Cependant, Mohamed Bedjaoui et le mouvement des non-alignés n’ont pas réussi à recueillir le soutien des États créanciers. En effet, une convention internationale est une déclaration formelle de principe, elle n’a pas de force obligatoire. Pour en avoir une, elle doit être signée par des États, qui acceptent alors d’appliquer le texte dans leur droit national. Or, la Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’État de 1983 a été signée par sept États : l’Algérie, l’Argentine, l’Égypte, le Monténégro, le Niger, le Pérou, la Serbie et ratifiée par sept autres États : la Croatie, l’Estonie, la Géorgie, le Liberia, la Macédoine du Nord, la Slovénie et l’Ukraine. Tandis que le Canada, le Royaume Uni, et les États-Unis, parmi d’autres, ont voté contre son adoption.
De ce fait, le discours dominant des grands États créanciers désigne le projet de codification de la Commission de droit international comme un échec dont les dispositions n’auraient pas impacté la pratique des États.
La pratique contemporaine des États contre la tutelle économique des grandes puissances
Cependant, il est possible d’avoir une autre lecture que celle de l’ordre international dominant, et ce, au regard de la pratique, y compris contemporaine, de plusieurs États en cas de succession d’États ou de gouvernements. Comme le démontre le CADTM International depuis des années, il y a eu des actes importants de répudiation unilatérales de dettes au 19è siècle et au 20è siècle : le Portugal en 1837, le Mexique en 1861 et en 1867, les États-Unis en 1865, dans les années 1870 et en 1898, le Costa Rica après un changement de régime en 1919 a répudié la dette contractée par le régime antérieur ; en février 1918, le gouvernement soviétique a répudié toute la dette contractée par le régime tsariste et par le gouvernement provisoire qui lui a succédé de février à octobre 1917. Il ne faut pas oublier par ailleurs que le traité de Versailles de juin 1919 a annulé à la fois la dette de la Pologne colonisée par l’Allemagne et celle des territoires africains conquis également par l’Allemagne. De même, le pouvoir soviétique russe a annulé au début des années 1920 les dettes de la partie de la Pologne annexée par le Tsar ainsi que celles des trois Républiques baltes (elles aussi autrefois annexées par l’empire tsariste), sans oublier la Turquie et la Perse [4]. En 1933-1934, les États-Unis sous la présidence de Franklin D. Roosevelt ont répudié tous les contrats de dette existants en supprimant la possibilité des créanciers de se faire rembourser en or [5]. Ensuite, voici une liste non exhaustive de répudiations de dette opérées dans la deuxième moitié du 20e siècle : la répudiation des dettes par la Chine révolutionnaire en 1949-1952 ; la répudiation par l’Indonésie en 1956 des dettes réclamées par les Pays-Bas qui avaient colonisé l’archipel jusque 1949 ; le refus de la Guinée Conakry de payer la dette coloniale française en 1958 ; la répudiation des dettes par Cuba en 1959-1960 ; le refus de Lumumba premier ministre congolais de payer la dette coloniale belge en 1960 ; la répudiation des dettes coloniales par l’Algérie en 1962 ; la répudiation par l’Iran en 1979 des dettes contractées par le Shah pour acheter des armements [6].
De nouvelles répudiations de dettes depuis 1991
Un transfert des obligations en matière de dette est donc loin d’être automatique
Il y a également eu des cas plus récents de répudiations de dettes par des nouveaux États ou gouvernements qui, s’ils représentent des exceptions pour le tenants du courant dominant, représentent des cas emblématiques selon nous.
On peut citer à titre d’exemple la répudiation par les trois républiques baltes des dettes héritées de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) lors de sa dissolution en 1991. L’ex-URSS avait annexé les États Baltes à partir de 1940. En raison de l’illégalité de cette occupation, les États Baltes ont refusé très clairement de participer à la dette de l’ex-URSS et donc d’y être successeur. Par ailleurs, sans compter les États Baltes, la succession des dettes de l’ex-URSS pour les 12 autres États qui la constituaient (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine) s’est réalisée au gré de divers accords qui reflètent des positions particulières sur cette question.
Dans un premier temps, il y a eu l’affirmation d’une succession entre l’ex-URSS et les États. Il y avait donc bien un État prédécesseur et des États successeurs qui se sont reconnus conjointement et solidairement responsables de la dette de l’ex-URSS, dont ils ont fixé des pourcentages de répartition dans un traité. Si à ce stade-là, les États issus de l’ex-URSS semblaient se considérer comme des États successeurs nés à la suite de la dissolution de l’État prédécesseur, tous n’ont pourtant pas assumé les obligations de dettes de l’ex-URSS. L’Ukraine de manière plus significative, mais aussi l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et la Moldavie ont remis en cause la répartition par pourcentage de la dette. L’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan n’ont d’ailleurs pas signé le Mémorandum par lequel les États se tenaient responsables solidairement [7], rejetant toute responsabilité à l’égard de la dette de l’ex-URSS et défiant ici le principe de la continuité des obligations scandé par les créanciers dominants.
Dans un second temps, les négociations se sont poursuivies entre l’Ukraine et la Russie sans que l’une ou l’autre ne parvienne à s’imposer. Bien que les autres États aient commencé par promettre qu’ils étaient conjointement et solidairement responsables des dettes de l’URSS, il n’y a eu aucun paiement. Il y aura finalement un accord de principe aux termes duquel la Russie va s’imposer par le rachat de la succession de ces parts en échange des biens de l’URSS situés dans les États tiers. Par-là, la Russie s’affirme non plus comme un État successeur, mais comme l’État continuateur de l’État prédécesseur. Pour la Russie, ce n’est donc pas un nouvel État qui a hérité des dettes de l’État prédécesseur, mais l’État prédécesseur qui est considéré comme un État continuateur, sous réserve d’offrir compensation aux autres États successeurs [8]. Ce dispositif ne repose sur aucun fondement juridique, la convention de 1983 y compris.
On peut donc dire qu’il n’y a pas eu application classique du principe de la continuité des obligations entre l’État prédécesseur et, dans ce cas-ci, les États successeurs. Sur les 15 républiques qui ont obtenu leur indépendance après l’implosion de l’URSS en 1991, les trois États Baltes ont clairement récusé le principe de la succession de dettes, deux États n’ont assumé aucune responsabilité vis-à-vis de la dette de l’ex-URSS (l’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan), tandis que les autres États n’ont pas payé leur part de dette au moment attendu.
Dans le cas des conflits de succession impliquant l’ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavie dans les années 1990, il n’y a pas eu à proprement parlé de répudiation de dettes par les nouveaux États mais la question de la transmission de la dette a donné lieu à des négociations. Les États successeurs souhaitant avoir un rapide accès aux marchés financiers internationaux se sont montrés prêts à prendre en charge leur part de la dette yougoslave [9]. Cela s’est réglé par des accords [10]. Cependant, les accords n’ont pas clairement défini l’ensemble des conditions de transfert des biens et obligations [11]. C’est ainsi que dans l’arrêt Alisic et autres, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les États successeurs avaient violé le droit des déposants à la jouissance paisible de leurs biens et le droit à un recours interne effectif en ne se mettant pas d’accord sur certaines questions concernant la succession de la dette de l’État [12].
La Cour rappelle par ailleurs la force coutumière de la convention de 1983. « (…) La succession d’États est régie, au moins en partie, par des règles de droit international général reflétées dans la Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’États en matière de traités et, dans une certaine mesure, dans la Convention de Vienne de 1983 sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’États (« la Convention de Vienne de 1983 »). Bien que le dernier de ces instruments ne soit pas encore entré en vigueur et que seuls trois des États défendeurs à la présente affaire y soient parties (la Croatie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine), il est bien établi en droit international que, même non ratifiée, une disposition d’un traité peut avoir force contraignante si elle reflète le droit international coutumier, soit qu’elle « codifie » ce dernier, soit qu’elle donne naissance à de nouvelles règles coutumières » [13] (C’est nous qui soulignons, AC et ET). Un transfert des obligations en matière de dette est donc loin d’être automatique.
Non transmission de dettes en Afrique subsaharienne
En 1993, l’Érythrée accède à l’indépendance par rapport à l’Éthiopie suite à une guerre de libération. La nouvelle république refuse d’assumer quelle que partie que ce soit des dettes éthiopiennes [14]. Cette décision est entérinée par la suite.
On pourrait ajouter l’annulation en 1994 par le gouvernement post-apartheid de Nelson Mandela de la dette réclamée par l’Afrique du Sud à la Namibie [15].
Un autre cas emblématique est celui du Soudan. À la suite du référendum d’autodétermination organisé du 9 au 15 janvier 2011, le Soudan du Sud, qui représente un enjeu économique majeur avec l’exploitation pétrolière qui ne profite pas aux populations locales concernées, a fait sécession de la République du Soudan le 9 juillet 2011.
En septembre 2012, les deux pays ont conclu un accord sur la répartition des biens et dettes, selon lequel le Soudan conserverait tous les biens et dettes externes [16]. Il conserve également son siège à l’Organisation des Nations Unies, dans l’Union africaine, au Fonds monétaire international et dans d’autres organisations internationales, tandis que le Soudan du Sud a été admis comme nouveau membre.
Le Soudan conserve ainsi la même personnalité́ juridique internationale qu’avant la sécession du Soudan du Sud, mais avec une population et un territoire réduit [17]. Si le Soudan a assumé une responsabilité par rapport à la dette de la République du Soudan, le Soudan du sud, en tant que nouvel État indépendant, n’a quant à lui pas hérité des dettes de l’État prédécesseur, remettant en question le soi-disant principe de la transmission des obligations.
Non transmission de dettes en Asie
Lorsque Timor Leste (appelé aussi Timor oriental) a obtenu son indépendance, en mai 2002, le nouvel État est né sans dette. Ancienne colonie portugaise jusqu’en 1975, le Timor Oriental a été annexé à l’Indonésie par la dictature de Suharto. Le principal mouvement de libération timorais, le FRETILIN, a recouru à la lutte armée pendant près de 30 ans. En 1999, suite à un référendum au cours duquel la population timoraise à une majorité écrasante a choisi l’indépendance, le pays a été mis sous administration de l’ONU jusqu’à son indépendance en 2002. Le nouvel État est né sans dette et pour la reconstruction du pays, il n’a accepté de la communauté internationale que des dons [18].
Et en Europe occidentale ?
Par ailleurs, il existe des velléités indépendantistes qui questionnent également ce principe de la continuité des obligations en matière de dette.
C’est le cas de l’Écosse au Royaume-Uni qui a organisé, le 18 septembre 2014, un premier référendum à l’issue duquel le « non » à l’indépendance l’a emporté avec 55,3% des suffrages exprimés. Dans la période précédant le référendum pour l’indépendance de l’Écosse, deux positions ont été clairement assumées à propos de la question de la continuité des obligations en matière de dette. D’un côté, on retrouve le Royaume Uni qui, dans son propre rapport, a déclaré s’attendre à ce qu’un État écossais indépendant prenne en charge une part équitable de la dette du Royaume-Uni, part à déterminer lors de négociations [19]. De l’autre côté, le gouvernement écossais a fait valoir que l’Écosse passerait à l’indépendance en faisant « table rase » du passé .
Cette déclaration et les termes faisant référence au principe de la table rase sont éminemment significatifs. Si à l’issue du référendum, l’Ecosse a rejeté l’indépendance, elle a annoncé en juin 2022 qu’elle souhaitait mettre en place un nouveau referendum pour octobre 2023. Nous verrons quelle position le gouvernement écossais adoptera à nouveau à propos de la dette du Royaume Uni. Mais celle qu’elle a tenue au premier et dernier referendum incline à penser qu’elle refusera à nouveau l’héritage des dettes contractées par le Royaume Uni.
En Espagne, en 2017, la Catalogne a organisé un référendum sur l’indépendance de la Catalogne à l’issue duquel le « oui » a été suivi par un texte de déclaration d’indépendance de la Catalogne.
Concernant la question de la dette publique, en 2014 déjà, l’ancien vice-président de la Catalogne, Oriol Junqueras, avait suggéré que la Catalogne assumerait une partie de la dette nationale de l’Espagne si l’Espagne était prête à négocier le transfert de ses actifs en Catalogne [20]. La division de la dette et des actifs nationaux espagnols restera une question importante sans qu’aucun transfert automatique et inconditionnel ne soit la règle.
De la primauté des droits humains et des réparations
Les différends concernant la succession de dettes sont particulièrement importants encore au 21e siècle et la pratique des États et des entités sécessionnistes montre que parmi ces derniers, certains n’hésitent pas à lutter contre la tutelle économique des grands créanciers et refusent d’assumer des dettes issues des États prédécesseurs. La répudiation de la dette de l’ex-URSS par les pays Baltes, la décision du Soudan du sud de n’assumer aucune responsabilité vis-à-vis de la dette de la République du Soudan ou encore la déclaration du gouvernement écossais à propos de la « table rase » en sont des cas emblématiques. Il est important de retenir que, autant pour les autres pays de l’ex-URSS ou les pays de l’ancienne Yougoslavie, la continuité des obligations ne s’est pas réalisée automatiquement, mais bien au gré de négociations, d’accords et de reconnaissances. Il n’existe donc pas, contrairement à ce que certain·es auteur·ices affirment, une présomption de continuité ou une complète et automatique absorption des droits et obligations de l’État prédécesseur par l’État successeur.
Par ailleurs, la ratification de la Convention est toujours un enjeu important pour les pays anciennement colonisés dès lors qu’elle comporte des articles qui ouvrent la porte à des réparations de la part des ex-pays colonisateurs. Ces réparations pourraient prendre la forme d’annulation de dettes ou de nationalisations sans indemnités, comme le prévoyait Mohamed Bedjaoui.
Même en l’absence d’un changement de gouvernement ou de régime, un État peut imposer à ses créanciers une réduction de dettes
Il nous faut ajouter que, même en l’absence d’un changement de gouvernement ou de régime, un État peut imposer à ses créanciers une réduction de dettes. C’est ce que confirme un arrêt rendu par le Tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne le 23 mai 2019 qui stipule qu’en vertu du droit international, un État peut modifier unilatéralement ses obligations en matières de dettes afin de venir en aide à sa population [21]. La Cour y a signifié aux créanciers qu’ils ne pouvaient pas invoquer le principe de la continuité des obligations de l’État grec à leur égard. Ces créanciers allemands considéraient que la loi adoptée par la Grèce en 2012, qui impose un échange forcé de titres de sa dette contre de nouveaux titres avec une réduction de valeur de plus de 50 %, constituait une violation des obligations de la Grèce. Les requérants invoquaient la violation du principe pacta sunt servanda qui implique qu’un contrat doit être respecté. La Cour leur a répondu que ce principe général ne s’appliquait pas à eux et que, de toute manière, un État pouvait ne pas respecter le principepacta sunt servandas’il invoquait avec raison le principerebus sic stantibus. La Cour les a déboutés et les a condamnés à payer les frais de justice [22].
Cela confirme donc qu’un État confronté à un changement fondamental de circonstances dû, par exemple, à la crise économique internationale, doit pouvoir arrêter de rembourser ses créanciers afin de venir en aide à sa population. Car les droits humains doivent prévaloir de manière effective sur le droit des créanciers.
Anaïs Carton, Éric Toussaint
Les co-auteur-es remercient Tijana Okić, Maxime Perriot, Ana Podvršič et Andreja Zivkovic pour leur relecture et leur aide dans l’actualisation des données. Les co-auteur-es sont responsables des erreurs éventuelles contenues dans cet article.