Paris.– « Régularisation de tous les sans-papiers ! C’est Darmanin qu’il faut dégager ! », scandent dans un froid mordant plusieurs milliers de manifestant·es en cette fin de matinée porte de la Chapelle, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. À l’occasion de la journée internationale des migrant·es, et à l’initiative de la Marche des solidarités, un rassemblement de collectifs de sans-papiers, de syndicats ou de collectifs antiracistes ont organisé des mobilisations dans une cinquantaine de villes en France ce 18 décembre.
Dans le viseur de ces manifestations : le futur projet de loi sur l’asile et l’immigration, annoncé pour début 2023 par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. « Depuis quelques années, cette date institutionnelle du 18 décembre est devenue un moment de mobilisation pour les sans-papiers,explique à Mediapart Denis Godard, du collectif « Paris 20e solidaire avec tou·te·s les migrant·e·s ».
Photo : Marche des solidarités du 18 décembre 2022, Paris. © Photo Mickaël Correia / Mediapart
« Nous sommes actuellement confrontés à la loi immigration qui se présente comme un texte d’équilibre entre un volet régularisation, pour répondre aux métiers en tension [lire notre article à ce sujet – ndlr], et un volet répression, analyse le militant. Mais c’est une loi qui va avant tout instaurer un nouveau titre de séjour encore plus précaire que celui qui existe actuellement. »
Dès cet été, Gérald Darmanin avait annoncé la couleur en déclarant vouloir s’attaquer aux étrangers dits « délinquants », qu’il souhaitait pouvoir expulser du territoire français plus facilement tout en aidant « ceux qui veulent travailler et respecter les lois de la République ».
Les député·es et le gouvernement ont débattu le 6 décembre dernier, sans voter, des orientations du futur projet de loi. Le texte pourrait fragiliser le droit d’asile et le droit des étrangers et étrangères. L’une des principales mesures vise à automatiser la délivrance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) aux personnes ayant vu leur demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
« Ce projet de loi crée de nouvelles inégalités entre demandeurs d’asile en définissant des métiers en tension,précise Nayan Khiang, de Solidarités Asie France. Gérald Darmanin veut que tout rejet de demande d’asile entraîne l’obligation de quitter le territoire français, avant que la Cour nationale du droit d’asile, chargée d’étudier les recours des personnes déboutées, ne se soit prononcée. »
Alors que le défilé parisien s’ébranle vers la place de la République, un cortège féministe clame derrière une banderole « Féministes brisant les frontières » : « Patron, patrie, patriarcat / Mêmes racines, même combat ! » « Nous sommes là pour rappeler qu’en France, 52 % des migrants sont des femmes,signale Alizée Aubertin, d’Assemblée générale féministe Paris-banlieues. Nous estimons que les droits des exilées, et donc de toutes les femmes, sont attaqués. En tant que féministes, nous demandons la suspension du projet de loi. »
Photo : Marche des solidarités du 18 décembre 2022, Paris. © Photo Mickaël Correia / Mediapart
Militante de l’association à Montreuil, Laura Bienaimé appuie : « Les femmes migrantes avec ou sans papiers sont surexposées aux violences physiques, psychologiques, économiques et sociales quand elles arrivent en France. »
Elle ajoute : « Il faut rappeler le contexte actuel : mercredi soir dernier, des groupuscules d’extrême droite déambulaient dans les rues des grandes villes du pays pour violenter des personnes racisées et des migrants juste après la demi-finale du Mondial France-Maroc. »
Du Qatar aux futurs Jeux olympiques de Paris
Coïncidence du calendrier, le 18 décembre est également le jour de la finale de la Coupe du monde de football au Qatar, opposant la France à l’Argentine. Dans le cortège, de nombreuses personnes ont accolé à leur manteau l’autocollant édité pour l’occasion : « De la Coupe du monde aux Jeux olympiques, stop à l’exploitation des migrant·es. »
« Nous sommes là en solidarité avec les travailleurs immigrés du Qatar, dont plus personne ne parle maintenant »,indique à Mediapart Ahamada Siby, du Collectif sans-papiers Montreuil.Ce lien avec la Coupe du monde s’est même traduit par un match en hommage aux 6 500 ouvriers morts sur les chantiers au Qatar. L’événement a été organisé la semaine précédente dans le XVIIIe arrondissement de la capitale, par la Marche des solidarités. Des collectifs de sans-papiers de la région parisienne ont joué au ballon avec les équipes de foot LGBTQIA+ Les Dégommeuses et FC Paris Arc-en-ciel, ou encore avec l’ex-footballeur professionnel Vikash Dhorasoo.
Photo : Marche des solidarités du 18 décembre 2022, Paris. © Photo Mickaël Correia / Mediapart
« Les Bangladais étaient nombreux parmi les morts sur les chantiers au Qatar. En France, ils sont aussi particulièrement ciblés,alerte Nayan Khiang, de Solidarités Asie France. En 2021, on estime que plus de 1 400 Bangladais ont été déboutés par ordonnance de leur demande d’asile sans même avoir été convoqués en audience à la Cour nationale du droit d’asile, comme l’autorise la loi. »
Un des organisateurs de la manifestation parisienne, Mathieu Pastor, souligne : « Il y a des amoureux du football dans notre collectif, dont moi. On a réfléchi de façon très pragmatique, en se disant qu’il ne fallait pas manifester à la même heure que la finale, mais aussi qu’il fallait qu’on établisse le lien avec les conditions de travail des migrants au Qatar. Mais aussi, et même si le degré d’horreur est bien inférieur, avec les sans-papiers travaillant sur les chantiers des Jeux olympiques de Paris 2024. »
Photo : Marche des solidarités du 18 décembre 2022, Paris. © Photo Mickaël Correia / Mediapart
Manutentionnaires ou simples hommes à tout faire, des sans-papiers seraient embauchés pour un peu plus de 80 euros – non déclarés – par jour sur les grands chantiers des JO, sur le futur village olympique à l’Île-Saint-Denis ou à la piscine de Marville à Saint-Denis. En juin, une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny pour « emploi d’étrangers sans titre », « recours au travail dissimulé » et « exécution en bande organisée d’un travail dissimulé ».
« Bien évidemment, nous marchons aujourd’hui pour aussi mettre en lumière les travailleurs sans-papiers embauchés sur les chantiers de Paris 2024,confie Abdoulaye Ba, de la Coordination des sans-papiers 75. Le projet de loi immigration les considérera comme des délinquants, alors qu’ils sont surexploités sur les chantiers. »
En écho à la finale du Mondial, une pancarte soudain brandie par une manifestante affirme : « France : championne du monde de racisme. »
Mickaël Correia