MardiMardi 13 décembre, les parlementaires de la France insoumise (LFI) s’étaient passé le mot. Depuis plusieurs jours, le groupe réfléchissait à une méthode permettant à tout le monde de s’exprimer sur la décision à prendre au sujet d’Adrien Quatennens. Ce même jour, l’ancien coordinateur du mouvement a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des violences conjugales. Dans la foulée, le groupe parlementaire a voté et annoncé sa décision dans un communiqué : une « radiation temporaire du groupe » pour quatre mois, et un retour « conditionné à l’engagement de suivre un stage de responsabilisation » sur les violences faites aux femmes.
Depuis, les mêmes expressions reviennent chez les élu·es que nous avons interrogé·es. Des satisfecit sur le processus démocratique qui a permis de déboucher sur cette suspension. « La décision collective a fait l’objet d’un processus démocratique. Tous les points de vue se sont exprimés », déclare la députée de la Dordogne Pascale Martin, membre du bureau du groupe insoumis à l’Assemblée. Sa collègue Marianne Maximi salue, elle aussi, « un débat serein, étape par étape, qui a permis de prendre cette décision ». « Le processus a été remarquable, il peut faire jurisprudence », avance même le député des Bouches-du-Rhône Hendrik Davi.
C’est tout juste s’ils ne glissent pas explicitement que cet exemple de démocratie interne devrait faire des émules… dans leur propre parti.
Car au même moment, la colère autour du manque de pluralisme de la nouvelle direction de LFI ne retombe pas. Phrases assassines de ténors de l’insoumission, billets de blog cinglants, coups de gueule dans les boucles Telegram locales… L’annonce de la composition de la « coordination des espaces » du mouvement, faite le 10 décembre, a enflammé un débat qui couvait à LFI depuis de nombreuses années. Parmi les 21 personnes de la « coordination », on ne compte pas moins de dix-huit parlementaires (dont seize député·es) – Jean-Luc Mélenchon fait partie des rares exceptions. Mais pas Clémentine Autain, François Ruffin, Alexis Corbière, Raquel Garrido ou encore Éric Coquerel.
Des figures de LFI vent debout
Autant de figures de LFI (quasiment toutes déjà engagées dans le Front de gauche en 2012) qui participent du pluralisme des idées au sein du mouvement. Les deux premiers, la députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain et le député de la Somme François Ruffin, se sont distingués depuis la fin de la campagne présidentielle par leur volonté de faire évoluer la constellation insoumise vers plus de démocratie interne et d’ancrage territorial. Leurs noms sont aussi évoqués au sujet de la potentielle succession de Jean-Luc Mélenchon en 2027.
D’où le caractère suspect de cette « coordination » resserrée autour de fidèles de Jean-Luc Mélenchon, connus pour constituer le noyau dur informel de LFI, comme les député·es Gabriel Amard, Bastien Lachaud, Antoine Léaument, Sophia Chikirou, Manuel Bompard ou encore Mathilde Panot. « Après trois mois de travail à huis clos, et malgré des avancées, je constate que le repli et le verrouillage ont été assumés de façon brutale, a dénoncé dans Libération Clémentine Autain. Les militants n’ont pas eu voix au chapitre alors qu’ils devraient être les acteurs principaux du mouvement. La direction a été choisie par cooptation, ce qui favorise les courtisans et contribue à faire taire la critique. »
De même, Raquel Garrido ne mâche pas ses mots dans Le Figaro, où elle critique « le maintien d’une structure copiant le format présidentiel, avec un candidat Jean-Luc Mélenchon, qui donne des consignes à un directeur, Manuel Bompard, lequel exécute de manière prompte et compétente ».
François Ruffin a pour sa part publié un communiqué dans lequel il relativise tout en critiquant : « Pour moi, vraiment, peu importe, peu importe si l’entre-soi est préféré à l’ouverture, peu importe si j’ai une réunion en moins à l’agenda : je n’ai pas pour ambition d’accéder à tel ou tel comité. Mais je m’interroge : à quoi va ressembler notre “6e République” ? Surtout : comment reconquérir la France des bourgs, des Gilets jaunes, des ronds-points, alors que tous les membres de la direction sont élus d’Île-de-France ou des grandes métropoles ? J’aurais aimé davantage de diversité. »
Il a cependant accepté d’intégrer le « conseil politique » de LFI, imaginé in extremis par les architectes de cette nouvelle organisation – Manuel Bompard au premier chef –, anticipant la fronde. Ce conseil se réunira une fois toutes les quatre semaines (alors que la « coordination » aura une réunion hebdomadaire) pour définir les campagnes du mouvement, et regroupera notamment des membres des micro-partis qui gravitent dans la sphère insoumise (comme le Parti ouvrier indépendant ou Révolution écologique pour le vivant). Un hochet, selon plusieurs des personnalités restées sur la touche de la « coordination », qui le comparent à l’ancien « espace politique » de LFI, disparu faute de raison d’être.
Les figures de l’insoumission qui ont pris la tête de la révolte interne ne sont pas seules. Elles ont du renfort au sein du groupe parlementaire de LFI, qui a presque quintuplé en 2022. Sous couvert de l’anonymat, une députée confie : « On est plusieurs à porter ce débat sur l’élargissement du mouvement, et non pas son resserrement. On le fait là où c’est possible, c’est-à-dire pour l’instant au groupe parlementaire, car il y a un manque de lieu de décision. Ce ne sont pas que des individus mais des pratiques et des idées qui vont manquer s’il n’y a pas plus de diversité. »
Le député Hendrik Davi, membre du microparti Gauche écosocialiste, proche de Clémentine Autain, confie aussi à Mediapart qu’il ne s’attendait pas « à une fermeture de porte aussi forte, avec une coordination dont aucun des membres ne fait partie de celles et ceux qui plaident pour un petit virage démocratique ». L’amertume est d’autant plus grande pour lui qu’il avait déjà milité en faveur de cette évolution lors d’une précédente crise à LFI.
En 2019, il avait cosigné un texte avec les responsables du programme à l’époque, Charlotte Girard et Laurent Levard. Ils y regrettaient l’absence de « véritable instance de décision collective ayant une base démocratique », et le fait que « les décisions stratégiques fondamentales sont finalement prises par un petit groupe de personnes, dont on ne connaît même pas précisément la démarcation ». Avant l’Assemblée représentative du 10 décembre, Hendrik Davi avait encore émis cette critique dans un texte
La grande dislocation
Il fait partie de ceux qui défendent un entre-deux entre le parti traditionnel et le mouvement « gazeux » entièrement tourné vers l’action et l’élection présidentielle conçu par Jean-Luc Mélenchon. Il plaide ainsi pour « un vrai congrès avec des votes », donc des adhérents (ce qui n’est pas le cas actuellement) qui « puissent valider des statuts connus de tous », et « une coordination mise au vote aussi, qui soit une vraie direction, qui assume ce rôle-là ». Comme lui, de nombreux militants de LFI regrettent que ce pas n’ait pas été franchi, à l’instar des membres du Parti de gauche (PG), la matrice de LFI.
« Je ne comprends pas cette peur tétanique du pluralisme et du vote. Ce n’est pas nouveau, on continue de le dire, on continuera à le redire. J’ose espérer que le bon sens gagne, mais ce n’est jamais sûr », affirme Hendrik Davi. Lors de la précédente fronde, en 2019, l’histoire s’était mal terminée. Charlotte Girard avait quitté LFI et Laurent Levard a disparu de la circulation – Clémence Guetté et Hadrien Clouet les ont remplacés pour élaborer le programme. LFI ne fait donc que se débattre avec une question qu’elle s’entête à ne pas régler.
Pour l’instant, le noyau dur du mouvement fait le dos rond. Francis Parny, membre de la nouvelle coordination, ne désespère pas de convaincre les récalcitrants de la pertinence du « conseil politique » dans une direction « tricéphale », avec la coordination et le groupe parlementaire. Ancien membre de l’exécutif national du Parti communiste (PCF), il est attaché au caractère « gazeux » de l’organisation : « Rassembler toute la diversité du mouvement dans une direction, ça donne des majorités et des minorités, c’est un frein pour le développement d’une stratégie, car les luttes internes finissent par prendre le pas sur l’intérêt général. Dans le pire des cas, ça donne le NPA [qui vient de vivre une scission lors de son 5e congrès – ndlr] : une direction qui, de façon factice, associait des gens qui ne pensaient pas la même chose. »
Jean-Luc Mélenchon a pour sa part vertement critiqué l’interview donnée par Clémentine Autain à Libération (qui en a fait sa « une ») en commentant sur son mur Facebook : « Toute la une pour nous salir. » Le fondateur de LFI, ancien trotskiste-lambertiste, a toujours fait en sorte de passer sous silence les dissensions internes en maintenant les militant·es de base mobilisé·es dans des campagnes nationales à répétition – aujourd’hui contre la vie chère, en janvier contre la réforme des retraites. C’est le sens des réguliers appels qu’il lance à ses troupes à « rester groupés ». Ironiquement, cette stratégie produit la dislocation actuelle.
« Le principe fondamental à LFI, c’est la loyauté, la fiabilité, le fait de suivre les campagnes, de garder le secret… C’est un trotskisme 2.0 », critique ainsi Julien Poix, conseiller régional insoumis des Hauts-de-France.
Le 10 décembre, le député Gabriel Amard expliquait lors d’une conférence de presse que la représentation de l’intergroupe parlementaire dans la coordination pourrait être complétée d’ici à la prochaine Assemblée représentative du mouvement (en juin). Le binôme formé par Mathilde Panot et l’eurodéputée Manon Aubry pourrait donc être rejoint par d’autres personnalités. Mais l’échéance est lointaine. L’eurodéputée Marina Mesure, qui vient de rejoindre la coordination, espère enclencher rapidement la discussion, lors de la première réunion de cette nouvelle instance de direction : « On a besoin de tout le monde pour avancer. On n’a pas le luxe de se diviser. On doit avoir les discussions, se mettre autour d’une table sereinement », plaide-t-elle.
Les suites de l’affaire Quatennens ne sont pas des plus opportunes pour permettre la sérénité. Dans une interview à La Voix du Nord le 13 décembre, celui-ci affirme son droit à honorer son mandat de député : « Démissionner après avoir été condamné pour un acte que j’ai reconnu créerait un précédent dangereux et ouvrirait la porte à toutes les instrumentalisations politiques de la vie privée. » Sous couvert de l’anonymat, un Insoumis est plus circonspect (à l’instar des signataires de cette tribune) : « Au vu de la condamnation qui n’est pas anecdotique, il y aurait de la noblesse à sortir par le haut en démissionnant. »
Mathieu Dejean