L’appel à la grève générale lancé pour trois jours a démarré lundi avec la fermeture des bazars et de la plupart des magasins dans la capitale mais aussi dans plusieurs autres grandes villes du pays. « Libération » a pu échanger avec des étudiants retranchés dans l’université Beheshti et Azad Islami qu’ils occupent avant leur grande journée de mobilisation prévue mercredi.
Il y a deux cantines dans l’université de Téhéran, en plein cœur de la capitale iranienne. En principe, l’une accueille les femmes, l’autre les hommes. En principe, dans la République islamique d’Iran, les étudiants et étudiantes ne déjeunent pas ensemble. Sauf que depuis plusieurs semaines, les étudiants iraniens, quel que soit leur sexe, laissent tomber tous les principes du régime des mollahs.
Ce lundi, ils sont tous rassemblés, femmes et hommes, dans la cantine des hommes, la plus grande des salles. Là, on discute, on s’échauffe, on dessine des pancartes qui appellent à la libération des nombreux étudiants arrêtés depuis le début des manifestations fin septembre. Ou qui reprennent le slogan « Femme, vie, liberté », devenu le signe de reconnaissance de tous depuis le 16 septembre et la mort de Mahsa Amini, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait un foulard mal ajusté.
Sur les murs jaunâtres, de grandes traînées fraîches de peinture blanche ont été balayées à la va-vite pour cacher les slogans insultants contre le régime. Qu’à cela ne tienne, les étudiants les inscrivent à nouveau, au même endroit : « Mort au Guide Suprême, mort au régime des mollahs ».
Les étudiantes ont laissé tomber le voile, garçons et filles rient ensemble autour de cigarettes allumées. Bref, on fait tout ce qui est interdit. La plupart des étudiants dorment sur place et ont bien l’intention de ne pas bouger pendant les trois prochains jours.
Mercredi est la journée nationale des étudiants. Elle devrait signer l’apothéose de ces trois jours de grève, de cette mobilisation toujours aussi vibrante.
Dans les salles d’études désertées, des professeurs esseulés et désœuvrés consultent leurs téléphones portables. On entend en fond sonore le brouhaha de la cantine, les slogans scandés encore et encore. Parfois, c’est la chanson Bayareh, hymne des révoltés, qu’on entend dans les couloirs déserts.
Dans certaines classes, un ou deux « bons élèves » tiennent compagnie aux professeurs. On les reconnaît facilement. Les garçons portent la barbe et sont vêtus de longues tuniques à manches boutonnées jusqu’au col. Les filles portent le tchador noir et un long manteau sombre par-dessus. Il fait froid à Téhéran. Il a neigé ce lundi. Ces « bons » et très rares étudiants sont aussi ceux qui sortent sans problème de l’université.
Depuis le matin, des hordes de Gardiens de la révolution, en tenue de combat, casqués et masqués, se sont postés devant la fac mais aussi tout le long de l’avenue Enghelab qui y mène, jusqu’à la place Ferdowsi. En farsi, Enghelab signifie « révolution ». Ils sont debout, menaçants, devant les magasins dont plusieurs ont fermé leurs portes en solidarité avec le mouvement de contestation.
Dans le centre-ville, les rideaux de fer ont tous été tirés dans le bazar. La scène s’est aussi reproduite dans d’autres grandes villes d’Iran, à Tabriz, sixième ville la plus peuplée d’Iran, dans le nord-ouest du pays ; à Shiraz, dans le sud-ouest ; à Ispahan, au centre du pays ; à Kermanshah, dans l’ouest, partout l’appel à la grève générale semble avoir été entendu.
Et l’annonce, dimanche, par le procureur général de la suppression de la police des mœurs n’a en rien entamé la mobilisation. « C’est un mensonge ! s’indigne Nahid, 21 ans. Nous demandons au régime de libérer nos camarades de classe, nous n’avons plus de nouvelles d’eux depuis plus d’un mois. Les étudiants n’ont pas à passer ne serait-ce qu’une heure en prison ! » Pour elle, comme pour tous ses camarades en grève et qui manifestent sans relâche depuis bientôt trois mois, la révolte va bien au-delà des restrictions vestimentaires. « Nous en avons marre de ce système corrompu et de cette dictature, nous boycottons nos professeurs et nos cours. Il faut libérer les prisonniers, il faut que le régime s’excuse auprès du peuple pour avoir tué des enfants, des adolescents », s’exclame Ahmad.
Pour eux, le régime n’a montré aucun signe d’assouplissement. Dimanche, il a ainsi exécuté quatre personnes qui, selon des médias officiels, avaient été condamnées pour « coopération » avec Israël, ennemi juré de la République islamique – une accusation souvent utilisée par le régime pour discréditer ses opposants.
L’ONG Iran Human Rights a indiqué lundi que le pays avait mis à mort plus de 500 personnes en 2022, un record. Selon Amnesty international, l’Iran exécute désormais davantage de condamnés que n’importe quel autre pays, excepté la Chine.
Lundi soir, dans les quartiers résidentiels de Ekbatan et Tehranpars, et aussi dans celui de Satarkhan, à Téhéran, des témoins racontaient à Libération que des tirs se faisaient entendre alors que les forces de l’ordre tentaient de disperser les manifestants.