Bolot Temirov est un défenseur des droits humains kirghize et un éminent journaliste qui enquête sur la corruption. En janvier 2020, le défenseur a fondé le média Temirov Live, basé sur YouTube, qui enquête sur la corruption des acteurs étatiques et non étatiques. Les avocats de Temirov ont exprimé leur inquiétude quant aux violations de procédure avec lesquelles Temirov a été expulsé du pays. Il n’a pas été autorisé à voir sa famille ni à récupérer ses effets personnels.
Temirov a été arrêté en janvier pour soi-disant fabrication de drogues illégales. Lors de l’arrestation, la police a également confisqué son ordinateur, des disques durs et des documents dans son bureau. Temirov déclare que les drogues prétendument trouvées dans ses affaires lors de la perquisition avaient été placées, comme c’est une pratique courante dans les enquêtes politiques en Russie et les pays dans son aire d’influence.
De nombreux médias kirghizes ont vu dans cette affaire des représailles pour l’enquête menée par son équipe sur les systèmes d’exportation de carburant. Les premières poursuites fabriquées sont engagées à la suite d’une perquisition dans les locaux de la chaîne, le 22 janvier 2022, deux jours après la révélation de liens entre le chef du GKNB Kamtchybek Tachiev, un proche du président, avec une entreprise pétrolière publique. Le rapport de cette enquête avait été diffusé pour la première fois sur la chaîne YouTube du média quelques jours seulement avant que les autorités ne fassent irruption dans son bureau et ne le placent en détention.
En avril, Temirov Live a publié une autre enquête sur les appels d’offres d’achat de l’État, peu de temps avant que deux autres affaires pénales ne soient engagées contre Temirov. À cette occasion, il a été accusé de falsification de documents (article 379 du code pénal kirghize) et de franchissement illégal de la frontière de l’État (article 378).
Le 28 septembre, le tribunal du district de Sverdlov à Bichkek a acquitté Temirov des accusations de fabrication illégale de drogue et de franchissement illégal de la frontière, mais l’a déclaré coupable de falsification de documents lors de sa demande de passeport kirghize en 2008. Le tribunal n’a toutefois pas appliqué la peine à Temirov en raison de l’expiration du délai de prescription. L’équipe juridique de Temirov a fait appel de cette partie de la décision du tribunal, tandis que le bureau du procureur du district de Sverdlov a fait appel de l’ensemble du jugement.
Le 23 novembre, le tribunal de la ville de Bichkek a examiné les deux appels, confirmant finalement les décisions du tribunal de district. À la suite de cette décision, l’accusation a demandé au tribunal d’appliquer l’article 70 du code pénal, affirmant que Temirov ne devrait pas être considéré comme un citoyen du Kirghizstan à la lumière des accusations de falsification et devrait être expulsé. Le tribunal a donné raison à l’accusation.
Après le verdict, le journaliste a été arrêté par les forces de l’ordre et transporté dans une direction non identifiée. L’équipe juridique de Temirov et son épouse n’ont pas été en mesure de le localiser, que ce soit à l’aéroport international du pays ou au centre de détention du district. Ils n’ont su où il se trouvait que quelques heures plus tard, lorsqu’il a été escorté par la police dans un avion.
La décision de justice de cette semaine fait suite à la déclaration publique faite par M. Temirov sur sa chaîne YouTube, le 22 novembre, dans laquelle il menaçait de poursuivre le président Sadyr Japarov et un haut fonctionnaire pour calomnie à son encontre.
Des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme au Kirghizistan ont exprimé leur inquiétude quant aux violations de procédure commises par le tribunal et les forces de l’ordre lors de l’audience, affirmant que Bolot Temirov est persécuté pour ses activités professionnelles.
Le Comité pour la protection des journalistes et le Partenariat international pour les droits de l’homme ont exprimé leur inquiétude quant à la vie de Bolot Temirov, qui risque d’être à nouveau persécuté en Russie.
Le droit international relatif aux droits de l’homme interdit de renvoyer une personne d’un pays sans procédure régulière ou vers un pays où elle risque d’être maltraitée ou torturée.
La liberté des médias au Kirghizistan a récemment fait l’objet de nouvelles attaques, les autorités redoublant d’efforts pour contrôler et censurer les médias de masse. Le 26 octobre 2022, le gouvernement kirghize a ordonné la suspension pour deux mois des sites Internet d’Azattyk Media, le service kirghize de Radio Free Europe/Radio Liberty, en raison d’une vidéo couvrant le récent conflit frontalier entre le Kirghizistan et le Tadjikistan. L’ordre était fondé sur une nouvelle loi, la loi sur la protection contre les fausses informations, qui a suscité d’importantes critiques lors de son adoption en août 2021. Le compte bancaire du média a également été gelé.
Le 28 septembre, l’administration du président kirghize a soumis à l’examen du public un projet de modification de la loi sur les médias, qui prévoit des sanctions pour « abus de la liberté d’expression » (article 4). Après le tollé provoqué par ce projet, les autorités se sont déclarées prêtes à réviser la législation en coopération avec les médias.
« Les autorités kirghizes devraient cesser toute tentative de punir les journalistes pour leurs activités professionnelles et respecter les engagements internationaux du pays en matière de droits de l’homme », a déclaré Mme Sultanalieva. « Bolot Temirov devrait pouvoir poursuivre ses enquêtes journalistiques sans aucune entrave ».
Cette expulsion intervient alors que le pays, qui faisait jusqu’ici figure d’exception en Asie centrale par une relative liberté de la presse, prend un tournant autoritaire inquiétant. Les pressions sur les médias indépendants se sont multipliées au cours des derniers mois. Les autorités ont notamment cessé la transmission de Radio Azattyk (le service en kazakh du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty), le 23 octobre, sous des prétextes techniques. Trois jours plus tard, ils bloquent les sites du média après un reportage sur des affrontements à la frontière tadjike, sous couvert d’une loi sur les fausses informations. Par ailleurs, la révision en cours de la loi sur les médias, dont le projet a été présenté le 28 septembre, fait craindre le pire. “Cette loi vise à se débarrasser des sites qui déplaisent au gouvernement […] et à empêcher l’accès à des sources d’information variées sur des sujets sociaux importants”, souligne le centre d’analyse juridique indépendant le Media Policy Institute.
Evguenia Markon
Reporters sans frontières (RSF)
Human Rights Watch
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