Dans un tweet du 14 septembre, un chercheur canadien spécialisé dans la politique états-unienne écrivait : « On a commencé le calendrier des primaires il y a six mois avec une question principale : à quel point Donald Trump domine-t-il toujours le Parti républicain ? Le processus des primaires a pris fin hier soir, et la réponse est claire : il le domine toujours. Outrageusement. »
Cette remarque semble répondre à la question principale que se posent tous ceux qui s’intéressent à ce pays et va, selon leur camp, les rassurer ou raviver leurs craintes, au moment où les États-Unis s’apprêtent à organiser, le 8 novembre prochain, les élections de mi-mandat (l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants seront renouvelés, ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat ; en outre, les Chambres et Sénats de nombreux États seront renouvelés ce jour-là, de même que les deux tiers des gouverneurs et d’autres postes électifs).
Cela signifie-t-il que Trump a fait la pluie et le beau temps dans les primaires du Parti républicain qui ont été organisées pour désigner les candidats à tous les postes en jeu ? Qu’il a choisi la majorité des candidats ? Qu’il a influencé le programme du parti ? Qu’il a tissé un réseau qui va le reconduire directement à la Maison Blanche en 2024 ? Qu’il a écarté tous les autres prétendants possibles ? Et puis, question complémentaire : est-il à ce point inoxydable que rien ne peut effectivement l’atteindre et que toutes les affaires dont les journaux parlent du matin au soir ne pourront finalement pas le rattraper ?
Trump a-t-il vraiment pesé sur les primaires ?
La domination décrite dans le tweet, et qui est largement et régulièrement évoquée dans les médias, parait répondre à toutes ces interrogations. Pourtant, levons tout de suite un doute : Donald Trump n’est pas une composante particulière du Parti républicain, un « courant », qui aurait pesé et fait élire au cours des primaires une majorité de candidats chargés de porter leur propre programme.
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Tout d’abord, il n’y aucun programme particulier auquel les candidats « trumpistes » ou MAGA (pour Make America Great Again, son slogan fétiche) peuvent se référer, sur lequel ils se retrouvent toutes et tous, si ce n’est la dénonciation du « Big Lie » (Le Grand Mensonge) – l’affirmation que l’élection de 2020 a été volée par Joe Biden, ce à quoi il convient de rajouter quelques thèses complotistes, du moins pour certains d’entre eux.
Par ailleurs, sur les plusieurs milliers de postes en jeu, Donald Trump n’a soutenu que 236 candidats, le faisant très souvent au dernier moment, à quelques jours du scrutin, par opportunisme, en choisissant celui ou celle qui était (souvent largement) en tête dans les sondages, comme Tudor Dixon dans le Michigan, ou associant son nom à côté de candidats qui n’avaient aucun opposant dans leur circonscription, et ne pouvaient donc pas perdre (pour plus de la moitié de ceux qu’il a soutenus, dont 61 qui n’avaient aucun opposant). La victoire ainsi promise alimentait une légende qui reposait donc sur du vent.
La propagande a bien entendu exploité ce filon du pouvoir de Trump sur le Parti républicain. Ses équipes de communication et ses supporters ont notamment beaucoup insisté sur les 21 candidats à des postes de sénateurs qui lui devraient leur victoire dans les primaires. Or ce total est là encore très exagéré puisque onze de ces candidats soutenus par Trump – John Boozman (Arkansas), Mike Crapo (Idaho), Chuck Grassley (Iowa), John Hoeven (Dakota du Nord), Mike Lee (Utah), Jeremy Moran (Kansas), Rand Paul (Kentucky), Ron Johnson (Wisconsin), John Neely Kennedy (Louisiane), Tim Scott (Caroline du Sud) et Marco Rubio (Floride) – étaient des sortants et n’avaient besoin de personne pour remporter leurs primaires respectives (96 % des sénateurs sortants sont réélus). Et sur les 10 restants, il n’y a en réalité eu que 7 victoires aux primaires : Katie Britt (Alabama), Ted Budd (Caroline du Nord), Adam Laxalt (Nevada), Blake Masters (Arizona), Mehmet Oz (Pennsylvanie), James David Vance (Ohio) et Herschel Walker (Géorgie). Avec peu de chances toutefois qu’elles se concrétisent en autant de postes au Capitole en novembre, mis à part Adam Laxalt, qui est déjà la surprise de ce scrutin, de par ses bons sondages.
On a aussi abondamment parlé des « verdicts » rendus par Donald Trump, condamnant à la défaite ceux qui l’avaient trahi, ne l’avaient pas soutenu comme il le souhaitait ou – pis encore – avaient voté pour sa destitution en janvier 2021. La légende des « félons battus » a été largement diffusée, commentée et exagérée : chaque défaite d’un des dix Républicains qui avaient voté en faveur de l’impeachment a semblé donner corps à sa force de frappe, portée par son désir de revanche.
Sauf que la réalité a été amplement déformée : quatre de ces élus ne se représentaient pas et, si trois sur les six restants ont effectivement été battus, c’est un peu léger pour en faire la base d’une démonstration quelconque.
Porter au crédit de Trump le fait que certains de ses adversaires au sein du parti ne se sont pas représentés cette fois est également ridicule : les mêmes observateurs affirmeront-ils que Biden a conduit 15 à 20 % des membres du Congrès à ne pas se représenter en 2024 ? C’est pourtant bien ce qui devrait arriver, mais pour une raison très simple et très logique : 23 % des membres du Congrès actuel ont plus de 70 ans. Pour rester sérieux, il y a des gens qui ne se représentent pas, à chaque élection, tout comme il y a des battus, y compris parmi les sortants.
Cette année, 39 Démocrates et 117 Républicains ont perdu leur siège lors des primaires, qu’ils aient concouru pour la Chambre ou le Sénat des États-Unis ou pour la Chambre ou le Sénat de leur État. Mais remettons tout cela en perspective : il y avait 1 901 sortants républicains et 1 432 démocrates. 156 des défaites recensées sont dues au redécoupage électoral, qui a été décidé l’année dernière. Trump n’y est pas pour grand-chose.
Et puis, il y a eu les battus chez Trump, qu’il faut aussi évoquer, les plus connus étant Madison Cawthorn, le plus MAGA des MAGA, défait en Caroline du Nord, Charles Hebster, battu dans le Nebraska, David Perdue en Georgie ou Janice McGechin, vaincue en Idaho.
Si on fait dire ce qu’on veut aux chiffres et aux événements, il a été de façon surprenante presque ignoré que Trump a fini par sombrer totalement en Géorgie, lorsque Brian Kemp a remporté la primaire pour le poste de gouverneur et Brad Raffensperger (l’homme qui avait refusé de « trouver 11 700 voix » pour Trump en 2020) celui de secrétaire d’État. Ils étaient bien pourtant tous les deux, aux yeux de Trump, des cibles privilégiées à abattre en priorité.
Ajoutons que lorsque les candidats soutenus par Trump fléchissaient dans les intentions de vote, l’ancien président n’a pas hésité à leur retirer son soutien, comme dans le cas de Mo Brooks en Alabama, ou à jouer le flou artistique en lançant un étrange « vote Eric », lorsque Eric Schmidt a été annoncé vainqueur par les sondages dans le Missouri… alors que l’ancien président avait apporté son soutien officiel à Eric Greitens, qui a finalement fait un piètre score et a perdu, le soutien du chef des MAGA ne lui ayant rien apporté.
Quelques camouflets cinglants
Il n’y a donc rien de bien nouveau : on a été confronté à une stratégie d’enfumage et de manipulation, que le 45e président maîtrise parfaitement bien. Rendons à César ce qui est sien : quelques candidats ont pleinement bénéficié de son aura, qui leur a permis de gagner dans des combats difficiles, comme J.D. Vance en Ohio ou Mehmet Oz en Pennsylvanie.
Mais comme il s’agissait de confrontations au sein même du Parti républicain, comment ne pas s’étonner que la supposée domination outrancière de Trump n’ait pas suffi à éliminer la concurrence acharnée à laquelle « ses » candidats ont été confrontés ? D’ailleurs, même un « très bien élu » comme Blake Masters en Arizona n’a finalement récolté que 40 % des voix des votants s’étant identifiés comme sympathisants du Parti républicain, ce qui signifie que 60 % n’ont pas souhaité pour le candidat de Trump.
N’est-ce pas le même Trump dont on nous disait qu’il était soutenu par 90 % des électeurs du GOP avant qu’il ne soit battu en 2020 ? Si on ajoute que le même Blake Masters avait également le soutien du richissime businessman Peter Thiel, qui a déversé ses millions sur cette campagne, le score obtenu est vraiment très décevant.
Ni Trump, ni les candidats qui ont reçu son soutien n’ont dominé les primaires. Elles ont même été très difficiles pour eux, et le Parti démocrate a parfois joué avec le feu en finançant des vidéos pour attaquer certains d’entre eux, en ne doutant pas une seconde du résultat engendré : cette campagne inattendue projetait le candidat en question sur le devant de la scène et lui apportait le plus souvent les quelques voix qui lui manquaient. Pour les Démocrates, il s’agissait de rejeter le Parti républicain à l’extrême droite, pour qu’il soit plus facile de le battre en novembre, lors de la véritable élection.
Vidéo
Trump n’a donc rien contrôlé du tout. Pis encore : en panne d’idées, il a poursuivi sa stratégie de division, durcissant son discours et se montrant de plus en plus complotiste, notamment sur son réseau Truth Social. La conséquence a été perceptible dans les élections partielles, provoquées par une démission ou un décès.
En Virginie, Glenn Youngkin l’a emporté en ne citant pas une seule fois le nom de Trump. Cette victoire, quasiment inespérée sur une terre qui avait été reprise en 2016 par les Démocrates, a montré qu’il y avait une autre voie possible. En juillet 2021, le républicain Jake Ellzey a suivi ce même chemin et a battu la candidate soutenue par le boss, Susan Wright, causant un véritable émoi au plan national. Pas encore de quoi retourner les esprits et encourager à la fronde ; mais tout de même, il s’était passé quelque chose… Rien ne s’est arrangé par la suite, jusqu’à la défaite surprise de Sarah Palin en Alaska qui, de surcroît, donnait le siège à une Démocrate ! Et dans la campagne de réélection (il s’agissait d’une partielle), et à trois semaines du scrutin, l’ancienne candidate à la vice-présidence des États-Unis est à la traîne de plus de 25 points d’après les sondages. L’effet Trump a fait pschitt.
Le début de la fin pour Trump ?
Tout le monde a parfaitement compris que la stratégie de Donald Trump n’allait pas changer : tout comme il avait réussi à agglomérer 74 millions de voix autour de son nom en 2020, il lui semblait évident qu’il lui fallait cultiver les divisions de l’Amérique pour être placé sur la rampe de lancement d’un retour prévu en 2024. Il a donc commencé à évoquer ce retour, à faire miroiter une annonce imminente.
Mais on a désormais l’habitude : la politique américaine n’aime pas beaucoup les scénarios écrits d’avance… La cote personnelle de Trump n’a pourtant pas chuté auprès de ses partisans, et tous les sondages confirment qu’il reste toujours aussi aimé au sein du Parti républicain. Mais, cruellement, ces mêmes sondages commencent aussi à faire entendre une autre musique.
Telle la reine dans Blanche-Neige qui n’était plus la plus belle dans le reflet de son miroir, les électeurs de droite posent désormais leurs regards, dans la perspective de la prochaine présidentielle sur quelques autres, dont l’ancien vice-président Mike Pence, qui a entamé une grande campagne dès le début de l’été, ou le gouverneur de Floride, Ron de Santis, souvent appelé le « mini-Trump » et qui n’espère qu’une chose : devenir plus grand. Les meetings de Donald Trump ont commencé à se vider, les salles ne se remplissent plus : même au congrès de la Conservative Political Action Conference en février, il n’y avait que 1 500 convaincus dans une salle prévue pour 3 000 personnes. En Arizona, à 28 jours de l’élection et dans un des États les plus critiques, ils n’étaient pas plus nombreux.
Enfin, n’oublions pas les potentiels ennuis judiciaires à venir de Donald Trump. En effet, à partir du 9 novembre, tout le monde s’intéressera à 2024. Mais Trump aura très certainement d’autres préoccupations en tête : le ministre de la Justice a donné la consigne de ne pas inculper l’ancien président pendant la période électorale. Il n’a pas parlé de ce qui va se passer après…< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Université Paris 2 Panthéon-Assas