À l’approche des élections de mi-mandat du 8 novembre prochain, dans un discours controversé, le président Joe Biden a accusé les Républicains MAGA (acronyme de « Make America Great Again », le slogan de Donald Trump et de ses partisans) de « détruire la démocratie américaine » et d’être « une menace pour ce pays » et pour « les fondements mêmes de notre république ». Quelques jours auparavant, il avait déclaré que la philosophie de ces Républicains pro-Trump était « presque du semi-fascisme ».
Ces mots forts constituent une véritable rupture chez un président qui avait fait de la réconciliation nationale le cœur de sa rhétorique, répétant inlassablement sa volonté d’unifier et non de diviser le peuple dès l’annonce de sa victoire, puis dans son discours d’investiture.
Toutefois, il n’est pas le premier président à dénoncer d’autres Américains comme une menace existentielle pour la nation. Son prédécesseur, Donald Trump, avait ainsi désigné les journalistes qui le critiquaient comme des « ennemis du peuple ». Trump n’a d’ailleurs pas tardé à répliquer aux attaques de Biden en le qualifiant d’« ennemi de l’État. Quant au chef du groupe républicain à la Chambre des Représentants, Kevin McCarthy, il a déclaré que Biden avait raison de dire que « la démocratie est en jeu en novembre »… mais que c’étaient « Joe Biden et la gauche radicale à Washington [qui] sont en train de [la] démanteler ».
Qu’en est-il vraiment ? Ces propos des uns et des autres relèvent-ils d’une simple stratégie électoraliste visant à mobiliser les électeurs, ou bien la démocratie est-elle vraiment en jeu en novembre ?
Une opinion publique inquiète mais divisée sur la question de la démocratie
Il semble en tout cas qu’une majorité d’États-Uniens (69 %), Républicains comme Démocrates, considèrent que la démocratie est « en danger d’effondrement », selon un récent sondage de l’université Quinnipiac.
Il faut dire que, pour la première fois de l’histoire des États-Unis, un président sortant n’a toujours pas reconnu sa défaite, affirmant même avoir obtenu une « victoire écrasante », et n’exprime aucun regret pour avoir incité ses partisans à l’insurrection en se lançant à l’assaut du Capitole afin de bloquer la certification des résultats du vote du collège électoral.
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L’inquiétude commune du pays cache cependant de profondes divisions : d’après un sondage réalisé par CBS, si une majorité des sondés citent comme menace majeure les « personnes qui tentent de renverser les élections », aux yeux des Républicains ce sont les « personnes qui votent illégalement » qui représentent l’une des menaces les plus graves.
En outre, alors même que nombre d’analyses sérieuses, y compris universitaires, ont clairement démontré qu’il n’y avait aucune preuve de fraude électorale qui aurait pu changer le résultat de la présidentielle de 2020, force est de constater que, sondage après sondage, une large majorité de Républicains (70 %) continuent de contester la légitimité de Joe Biden, refusant de croire qu’il a réellement remporté cette élection.
Cette remise en cause de la légitimité d’un président n’est pas entièrement nouvelle : en 2016, 72 % des électeurs républicains doutaient toujours de la citoyenneté du président Obama (en 2000, les Démocrates étaient sceptiques quant à l’élection de George W. Bush, mais la situation était bien différente, et surtout, Al Gore avait, lui, reconnu sa défaite).
De plus, la remise en cause du résultat des élections – un principe de base de la démocratie – a été soutenue par une majorité d’élus républicains. Au lendemain de l’attaque du Capitole, près des deux tiers des Représentants républicains à la Chambre avaient refusé de valider les résultats de l’élection présidentielle. Une majorité des sénateurs républicains ont, quant à eux, refusé pour la seconde fois de voter en faveur de la destitution de Donald Trump, cette fois pour « incitation à l’insurrection » après l’assaut du Capitole, ce qui aurait empêché l’ancien président de se présenter aux présidentielles de 2024.
Le vote : une affaire très locale
Alors que les élections de mi-mandat sont traditionnellement un scrutin sur le bilan, notamment économique, de l’administration élue deux ans plus tôt, la campagne de 2022 prend une tournure tout à fait inédite.
Tout d’abord parce que jamais un ancien président n’a dominé les primaires d’une élection de mi-mandat comme l’a fait Donald Trump. Il a ainsi soutenu plus de 200 candidats, non seulement au niveau fédéral mais également au niveau local. Car si le scrutin intermédiaire de novembre 2022 renouvelle l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des Représentants, ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat au niveau fédéral, il concerne également des centaines d’élections locales : seront mis en jeu des postes de gouverneurs, de secrétaires d’État, de procureurs généraux locaux, et la plus grande partie des assemblées législatives locales. Or, il ne faut pas oublier que dans le système fédéral des États-Unis, ce sont les États, et non le pouvoir fédéral, qui sont en charge de l’organisation des élections.
Selon la Constitution de chaque État, les gouverneurs et les secrétaires d’État peuvent avoir un pouvoir de contrôle plus ou moins important sur les élections, même s’ils ne peuvent, à eux seuls, renverser les résultats d’une élection. On se souvient que, le 2 janvier 2021, après la présidentielle, Donald Trump avait demandé au secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, de « trouver 11 780 voix » afin de modifier le résultat final en sa faveur (en Géorgie, Trump accusait un retard de 11 779 voix sur Biden), transformant ainsi instantanément un poste de second plan, non partisan et administratif, en une fonction politique, partisane et très médiatisée.
Cette année, lors des primaires républicaines, Trump a fait du déni du résultat de l’élection présidentielle de 2020 un test de loyauté essentiel au sein du Parti républicain. Les résultats vont dans son sens : aux midterms, 60 % des Américains auront la possibilité de voter en faveur d’un candidat qui nie le résultat des élections de 2020. Il s’agit non seulement de faire du 8 novembre une revanche de la présidentielle 2020, mais aussi de préparer la présidentielle de 2024. Et, en cas de défaite en 2024, si ce n’est dès 2022, de pouvoir contester, bloquer, voire confisquer l’appareil électoral, ce qui pourrait potentiellement conduire à une crise constitutionnelle.
L’extrémisme, une stratégie risquée qui ne paie pas forcément
Historiquement, les candidats les plus extrémistes qui gagnent les primaires réduisent les chances de leur parti de gagner les élections générales.
Ce constat a poussé les Démocrates de certains États à mettre en œuvre une stratégie risquée et quelque peu cynique : financer des campagnes publicitaires visant à mettre en avant les candidates républicains les plus extrêmes dans les primaires, en les liant à Donald Trump par exemple, dans l’espoir de les battre plus facilement dans les élections générales.
Si cette stratégie a fonctionné par le passé, elle pourrait se retourner contre eux dans un environnement hautement polarisé où l’appartenance à un parti se confond de plus en plus avec un sentiment d’identité.
L’autre espoir des Démocrates est la question du droit à l’avortement. Elle est devenue un enjeu local démocratique majeur depuis que ce droit n’est plus garanti au niveau fédéral, suite à l’arrêt Dobbs de la Cour suprême en juin dernier.
À en croire le vote test du Kansas cet été, même les électeurs d’un État très conservateur restent largement favorables au maintien de la garantie constitutionnelle sur l’avortement. En outre, l’augmentation conséquente du nombre de femmes inscrites sur les listes électorales pour ce scrutin pourrait indiquer qu’il s’agit là d’un sujet mobilisateur.
L’ironie de l’histoire est que ce sont, désormais, les Démocrates qui mettent en avant des questions morales et sociétales et livrent aux Républicains, à leur tour, une guerre dite « culturelle ». Ces derniers, de leur côté, et même si l’immigration et la criminalité restent pour eux des sujets de prédilection, cherchent avant tout à maintenir l’attention sur les questions économiques comme l’inflation, actuellement galopante – ce qui, en temps normal, suffirait probablement à leur assurer une victoire écrasante.
Un scrutin essentiel
Ainsi, la transformation d’un scrutin intermédiaire en « match retour » de la présidentielle de 2020 (entre un président relativement impopulaire et un ex-président encore plus impopulaire et radicalisé, à l’image des candidats qu’il soutient) rend les pronostics bien incertains.
Si la question de l’avenir de la démocratie est donc bien l’un des enjeux de ces élections, c’est aussi parce que, au-delà de Trump lui-même, ce qui s’y joue, c’est l’emprise du trumpisme et du négationnisme de la réalité sur un Parti républicain en guerre avec lui-même.< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>
Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris Université