Le président Jair Bolsonaro a fait une déclaration depuis le Palácio da Alvorada (résidence officielle du président), mardi 1er novembre – d’une durée de 2,07 minutes –, rompant ainsi un silence de 45 heures après les résultats du second tour. Il a affirmé : « Les mouvements populaires actuels [les barrages de routes dans plus de 20 Etats] sont le fruit de l’indignation et du sentiment d’injustice de la manière dont s’est déroulé le processus électoral. » Bolsonaro a donc évité de qualifier les mouvements de barrages routiers de violents ou même d’utiliser des termes négatifs pour les décrire. Il a présenté ainsi ces initiatives de la base bolsonariste : « Les manifestations pacifiques seront toujours les bienvenues, mais nos méthodes ne peuvent pas être celles de la gauche, qui ont toujours porté préjudice à la population, comme l’invasion des propriétés, la destruction du patrimoine et la limitation du droit d’aller et venir. »
Il n’a jamais cité Lula ou reconnu clairement sa défaite sanctionnée par le résultat du 30 octobre. L’intervention qui a immédiatement suivi celle de Bolsonaro fut celle de Ciro Nogueira [1], responsable de la Maison civile, autrement dit le cabinet présidentiel. Il a indiqué sa responsabilité dans l’organisation du processus de transition. Dans les rangs du vainqueur, Lula, Geraldo Alckmin, vice-président élu, membre du PSB (après avoir été membre du PSDB), est responsable de l’équipe de transition.
Bolsonaro a commencé son intervention en remerciant « les 58 millions de Brésiliens qui ont voté pour moi le 30 octobre dernier ». Il a souligné que : « La droite a véritablement émergé dans notre pays. Notre solide représentation au Congrès montre la force de nos valeurs : Dieu, la patrie, la famille et la liberté. » En effet, le parti de Bolsonaro (Partido Liberal-PL) et ses alliés disposent de 36% des sièges à la Chambre des députés. Les alliés de Lula et du PT disposent de 21% des sièges.
Bolsonaro était accompagné de l’essentiel des ministres se trouvant en première ligne dans son gouvernement. Après la déclaration, Bolsonaro a été accompagné par le ministre de l’Economie Paulo Guedes jusqu’à la Cour suprême (STF). La Cour a publié la note suivante : « La Cour suprême enregistre l’importance du discours du président de la République en garantissant le droit d’aller et venir par rapport aux barrages, en fixant le début de la transition, en reconnaissant le résultat final des élections. »
Au-delà de ce constat immédiat, on ne peut exclure la validité de la remarque faite le 1er novembre par l’ancien responsable de la Folha de São Paulo, Vinicius Torres Freire : « Bolsonaro fait semblant de s’adapter aux règles, tout en guettant les ouvertures comme un prédateur, et en maintenant son projet d’agitation permanente. »
***
Selon Brasil de Fato (publication liée au « camp Lula » et au MST) du 2 novembre : « La nomination du vice-président élu Geraldo Alckmin – faite le 1er novembre – pour coordonner l’équipe de transition du gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva a été bien accueillie par les politologues interrogés par Brasil de Fato : “Alckmin a été placé comme coordinateur exactement pour ne pas créer de friction majeure avec les bolsonaristes, après tout Alckmin est une figure du centre droit qui est apte à maintenir un dialogue avec les bolsonaristes plus radicaux sans impliquer les petistes en première ligne. Cela garantit une transition plus harmonieuse entre le gouvernement Bolsonaro et le gouvernement Lula”, explique le politologue Paulo Nicolí Ramirez. » Selon ce dernier, « le choix de l’ancien gouverneur de São Paulo comme vice-président sur le ticket de Lula laissait déjà présager un dialogue avec les secteurs conservateurs de la politique brésilienne. C’était une tentative des pétitionnaires de chercher un soutien au centre-droit, car Alckmin est une figure que, d’une certaine manière, le monde des affaires respecte. »
Toujours selon Brasil de Fato : pour le politologue Carlos Machado, de l’Institut de sciences politiques de l’Université de Brasilia (Ipol/UnB), « la nomination d’Alckmin montre l’intention de Lula de construire un gouvernement très large, qui ne soit pas lié spécifiquement aux intérêts de la direction du PT. Cette indication montre que nous nous dirigeons vers un gouvernement multipartite. »
***
Dans un article publié le 1er novembre sur le site de Brasil de Fato, Valério Arcary, membre du courant Resistencia du PSOL, conclut ainsi son analyse de l’importante victoire de Lula : « La clé de l’évolution de la situation politique sera une lutte pour la consolidation d’une nouvelle majorité sociale. En termes marxistes, pour le renversement du rapport de forces social que nous avons hérité des six dernières années [soit depuis l’accession de Michel Temer à la présidence]. La volonté de reprendre un rôle politiquement actif s’est accrue dans les secteurs les plus avancés de la classe laborieuse et du peuple, comme en témoignent les manifestations dans les rues lors du second tour et du dimanche de célébration. Ce changement dans le sentiment des masses populaires est la chose la plus précieuse. La volonté de se battre doit être stimulée. Aujourd’hui [le 1er novembre], cette aspiration passe par la défense de la victoire électorale contre les putschistes. Il est prévisible que l’impact de la victoire [de Lula] se traduira dans la démoralisation des secteurs les moins radicalisés des classes moyennes, dans des divisions bourgeoises plus marquées en raison de la nécessité de préserver leurs intérêts face au nouveau gouvernement, et même dans des divisions au sein de l’extrême droite. Le défi pour la gauche sera la lutte pour l’hégémonie parmi les couches disposant de « revenus moyens », cela afin de construire l’unité de la classe laborieuse. Il ne faudrait pas solliciter le soutien de la fraction bourgeoise qui a pris la défense de Lula seulement après le naufrage de la troisième voie [un candidat se situant entre Lula et Bolsonaro].
« Le défi politique stratégique sera la rupture avec le néolibéralisme et la recherche d’une capacité de gouverner par la mobilisation ouvrière et populaire. Tel doit être le rôle de la gauche socialiste et, pour le remplir, elle doit préserver son indépendance. Même si cette indépendance est initialement mal comprise. Personne ne peut prédire ce que sera réellement le gouvernement Lula. Le plus probable sera la recherche d’un consensus avec les fractions bourgeoises qui exercent un chantage ininterrompu, acceptant certes un élargissement des programmes de lutte contre l’extrême pauvreté [le thème de la faim a été central dans le discours de Lula du 30 au soir], mais exigeant une politique sociale responsable. En d’autres termes, le contrôle des dépenses, l’acceptation d’un nouvel équilibre budgétaire, mais avec une limitation de l’expansion de la dette publique. »
La rédaction de A l’Encontre